Bande sonore : Odezenne – Je veux te baiser.
Cette histoire finit mal. Son héros est un salaud. L’auteur d’un homicide violent. Il a bouffé une femme. Un homme devenu une femme. Homme -> femme. Pour être plus exact, encore entre les deux. Mais le cul est resté pareil. Nul ne peut en changer. Qu’importe les métamorphoses. Même s’il est entre deux chaises. Équilibriste. Dilaté. Ferme. Serré, léché, flairé. Faux. Vendu. L’orifice ne change jamais. Substantiellement. Le trou du cul reste un trou du cul. Vous excuserez la tautologie. Il est important que tous sachent de quoi il est question. Du cul, le véritable. Pas l’ensemble dont il fait partie. Pas un cul synecdoque comme dans le « Gros cul », pour dire une paire de fesses aussi large qu’un cuirassé – ce qui depuis Kim Kardashian & Co. n’est pas toujours une vulgarité doublée d’une insulte. Ou dans le littéraire « N’ayant plus que cette mortelle offense à bombarder au nez de la troupe, elle montre son cul » d’un Zola presque admiratif. Encore moins dans « La Mireille en plus du cul étonnant, elle avait des yeux de romance, le regard preneur » du lyrico-argotique Céline – l’écrivain génial et aryen, pas la chanteuse rossignol. Non, pas de ce cul-là, mais le seul dont on parle quand l’on s’écrie : « Dans ton cul ! » accompagné souvent du geste qui sied. Oui. L’authentique, le trou, l’orifice, qui ne change jamais. Bref. Vous avez sans doute compris.
Tout a commencé par une envie de cornet au chocolat avec une légère touche crémeuse. L’été tenait ses promesses, chaudes. Il y avait des rencontres libidinales sur la terrasse de l’Open Bar et attablées devant des cocktails frais. Des poils pubiens flottant dans les airs comme les pappus de pissenlit soufflé par le vent. Des orgies criardes et de l’hystérie collective déchaînée des festivals de musique. Des carrosses décapotables tirés par quelques centaines de chevaux bien attelés sous le capot. Des foules exubérantes avec le sourire niais du bonheur parfaitement photoshopé vu dans les photographies qui le suggérait en vendant un truc absolument futile. Des masses battant le pavé comme les révolutionnaires d’autrefois sauf que cette fois-ci le pavé était un podium de fashion-week et chacun(e) de ces non-révolutionnaires fashionistas présentait sa camelote à un public jugeant impitoyablement derrière ses grosses lunettes noires. Et des nudités revendicatrices se faisaient porte-étendard d’une certaine idée de l’égalité des culs. Francis Clabrel a écrit une chanson là-dessus, Des culs pareils.
Vous, vous êtes et nous, nous sommes
Des culs pareils
Plus ou moins nus sous le soleil
Semblables jusqu’au moindre atome
Blancs, noirs, rouges, jaunes, créoles
Des culs pareils
Moi, j’ai des morpions, j’ai des hémorroïdes
Moi, j’ai des chancres syphilitiques, j’ai des syphilides végétantes
Moi, j’ai des ulcérations multiples, j’ai des purulentes d’adénopathie
Moi, j’ai des chlamydioses, j’ai de la donovanose
Moi, j’ai de la papillomatose, j’ai une pseudo-tumorale
Moi, j’ai de l’herpès, j’ai des infections à poxvirus
Moi, j’ai de l’amibiase, j’ai de la lambliase
Et nous sommes
Des culs pareils
Plus ou moins nus sous le soleil
Nageant dans le même aquarium
Quel que soit le prix qu’on se donne
Dans ce monde polychrome
Des culs pareils
Se baladaient îlots solitaires et archipels dans l’immense océan des transpirations estivales. Certains se prenaient la main, pour ne pas trop se sentir seuls. Beaucoup s’agrippaient à la main de l’autre, prise pour une bouée de sauvetage. La définition même du couple contemporain. « Deux solitudes » s’accrochant l’une à l’autre pour ne pas se noyer chacun de son côté. Essayant de se survivre. Le temps que cela allait durer. C’est-à-dire jusqu’à la fin de l’été. Et plus si affinités. En prévision de l’hiver qui vient. D’autres espéraient en prendre une, de main, et se rendaient compte que ce rêve avait quelque chose de la malédiction de Sisyphe. Masochistes à l’instar du fils d’Éole, ils persévéraient et se prenaient, encore, toujours, des vents. Ceux-là n’étaient pas convaincus de l’égalité des culs. Le salaud aussi. Héros de cette histoire tardant à entrer en scène, que voulez-vous le scribouilleur qui l’écrit aime les préliminaires. Selon Psy’cause Magazine, les préliminaires préparent à la dégustation, à l’ancienne – celle qui ne se mettait pas trop vite à poil. Patience et imaginaire. Dégustation, comme une reconnexion au vrai goût des choses dans le merveilleux monde fast-food de nos désirs gloutons. D’accord avec vous, ce sont des conneries. Personne ne perd son temps avec les préliminaires, et ça se passe assez bien.
Alors voilà, le salaud ne croyait pas en l’égalitarisme des culs et il avait une envie de cornet au chocolat avec sa délicate cerise crémeuse, parce que près de lui les fashionistas en léchaient un de façon tellement évocatrice. Les Hmmmm qu’elles lâchaient ne laissaient aucun esprit tordu indifférent, particulièrement les ayatollahs de toutes sortes. Des flagellants barbus iraniens aux soutanes vaticanes sous lesquelles se cachaient des enfants de chœur en passant par les wahhabites lapidaires pères fouettards clients-pétrodollars favoris des agences occidentales d’escortes, les moyenâgeux Haredim, les homos homophobes du conservatisme chrétien et autres magistrats des mœurs. Il y avait une invitation à la jouissance dans ces Hmmmm irrésistibles, le salaud voulait y répondre. Jouir de tout son être comme les fashionistas. Laisser entendre à son tour ces onomatopées résonant dans ce lieu open space qu’était la terrasse de l’Open Bar, le tout au diapason des voix du vibrant Oh Freedom ! de The Golden Gospel Singers.
Lorsque sa bouche impatiente se mit enfin à dévorer le cornet servi par une préposée au décolleté vertigineux, il comprit rapidement que la sonorité n’était pas seulement pour capter l’attention du public. Le cornet était bon. Trop bon. Le froid chocolat, des plantations du sud où crèvent des esclaves, mélangé à la crème onctueuse, dans sa bouche, fondait comme un glacier arctique. La transe extatique ne tarda pas. Les Hmmmm sortirent donc naturellement, ponctués de quelques « /ˈdʒiːzəs/ ! » et « /ɡɑd/ ! » de circonstance.
À quelques tables de la sienne, un regard avala chacun de ces Hmmmm avec délectation. Le spectacle, que lui offrait le salaud nettoyant avec sa langue gourmande le cornet le long duquel glissaient le chocolat fondu, était beaucoup plus excitant que la plupart des vidéos pornographiques qu’il s’était tapées entre deux coups d’un soir. Cette langue vorace lui plaisait. Puisque c’était l’été, la saison de chasse attendue par tous, avec ses proies sacrificielles et ses prédateurs phallocrates vaginocrates rien-à-foutristes clitomaniaques wonderwomaniaques carnistes végans végétaliens vergetalien(ne)s, que tout était permis en respectant les fatwas en vigueur, le regard verrouilla sa cible. Quelques instants plus tard, il tenta un rapprochement qui ne déplût pas au salaud. Faut comprendre que le regard n’était pas une horreur. De beaux nichons – peut-être refaits, de nos jours c’est un peu compliqué de savoir, les plasticiens faisant des miracles – aussi bien présentés qu’un produit en solde sur une étagère de supermarché. Des lèvres dessinées par un dieu perfectionniste qui n’avait pas refilé le travail à ses serfs fainéants responsables de tous ces visages barbares que l’on croise trop souvent. Une silhouette photogénique à même d’être présentée tel un trophée sur les réseaux sociaux. Le salaud aimait ce qu’il voyait.
Excuse-moi, mais on se connaît non ? On s’est déjà rencontrées il me semble…
Euh, c’est possible… Ton visage me dit de quoi…
L’accroche est usitée. Vieille comme le monde. Rien de sophistiqué, de créatif, d’intelligent. Mais ça marche. Simplement parce qu’au fond personne n’en a cure de comment on se fait accoster tant que la gueule qui ose l’abordage n’a pas une tête de cul. Les beaux nichons relativisaient l’absence d’originalité, l’agression ou l’intrusion, la grossièreté ou la maladresse. Le salaud n’en fit pas un plat, au contraire il les laissa monter à bord. L(a) corsaire s’installa.
Tu fais quoi dans la vie ?
Actuellement, j’en profite.
C’est génial ça !
Et toi ?
Moi je relaxe ben tranquille, je me fais du fun !!
Super !
Deux personnes échangeant du vide pour meubler le néant dans une espèce de rien tout en faisant semblant de parler de quelque chose. Le salaud humidifia ses lèvres tracées par le même dieu perfectionniste. Le regard les dévora.
L’exquise saveur du cornet au chocolat ne fit pas long feu. Ce qui la remplaça avait un goût de pisse fraîche, les amateurs de bière ces urophages qui s’ignorent adoreraient. De fil en aiguille, les deux se découvrirent une passion commune pour l’ondinisme, le gym, le selfie et le party. Ce fût de bon augure pour la suite.
Au fur et à mesure de la consommation, l’alcool remplissant sa fonction, les deux s’échaudèrent mutuellement, au point que les beaux nichons proposèrent au salaud de poursuivre cette belle rencontre dans un lieu plus approprié. Les deux se dirigèrent vers les toilettes de l’Open Bar. Et ce qui s’y passa choquerait les ayatollahs que certains d’entre vous sont. Le scribouilleur qui a écrit ces lignes a bien spécifié au narrateur qu’il était essentiel de censurer cette partie, qu’en aucun cas il ne devait dire que les deux se livrèrent à un accouplement digne du plus trash des productions X que l’on trouve sur les plateformes spécialisées, par ailleurs bien connues du grand public.
Le narrateur vous affirme donc que se barricadant dans les toilettes des femmes, les beaux nichons et le salaud approfondirent leur relation. Il biffe le paragraphe sur le salaud explorant le corps dénudé des beaux nichons et qui fait connaissance avec sa verge ornée de ces deux accessoires rondouillards et pendants. Il rature les phrases faisant référence à la dévotion qu’a le cœur à l’ouvrage qui s’exécute en recevant cet ordre martial : « Mange-moi ! ». Il raye nerveusement les longueurs descriptives sur la langue bouffant goulûment le cul de qualité supérieure des beaux nichons, barre les Hmmmm avec des points d’exclamation exprimant la petite mort qui s’empare d’un corps en transe hurlant sa satisfaction au criminel dont elle est la victime, saute les détails sur la magnifique petite poitrine du salaud faisant office de cornet au chocolat qu’embrasse des lèvres parfaites, finalement pose un post-it sur le paragraphe final et y inscrit un mot : « Fucké ! ».
Explique-moi un truc s’il-te-plaît…
Ouin, quoi ?!
Le salaud est une femme, right ?
Yep !
Pourquoi ne le dis-tu pas dès le début ???
Ben parce que « Salaud » est plus acceptable que « Salope » !
De quoi tu parles ?!
Ok, on fait un pari, choisis n’importe quel gars sur cette terrasse traite-le de salaud, pis fais la même chose avec une fille.
Et ???
Au pire tu te feras un peu brasser par le gars, mais avec la fille tu recevras une claque.
Tu gages quoi ?
Une bière.
La claque fût magistrale.
Bande sonore : Odezenne – Vilaine.