« Autochtoniser Montréal » : pour une « Présence Autochtone » effective dans l’espace urbain – lieu de mémoire

Il y a peu de temps, j’ai eu le plaisir d’assister à une conférence de Myriam Tirnish qui présentait à l’auditoire le projet « Autochtoniser Montréal ». J’ai souhaité en faire un (bref) compte-rendu, pour deux raisons : son sujet est plus que jamais d’actualité et son propos est original (en plus d’être le bon sens même). Mais également parce que je m’intéresse à la question Autochtone[1] (récemment de la mémoire et du souvenir), depuis (quasiment) mes premiers instants au Québec (une rencontre avec le chien Amérindien fût l’objet d’un billet que vous trouverez ici). Ce fût un des premiers coups de foudre. Dans mon cas, la foudre n’a eu de cesse de frapper au même endroit, plusieurs fois d’affilée. C’est donc calciné (cela saute aux yeux) que je vous parle de « Autochtoniser  Montréal ».

« Autochtoniser Montréal » est une exposition présentée dans le cadre du Sommet mondial du design et s’inscrivant dans les célébrations du 375e anniversaire de Montréal. Mme Tirnish en est une coordonnatrice. Elle a souhaité nous entretenir sur la « Présence Autochtone » dans la métropole, du point de vue de la construction de l’espace urbain (design urbain, architecture). Précisément, comment on pourrait la rendre effective et dans quel cadre éthique – respectueux de la mémoire, de l’identité, autochtone – l’inscrire. Le but étant de faciliter la découverte, la communication et la « guérison »[2]

« Autochtoniser Montréal » vise donc à faire sortir de l’invisible et de l’inexistant les peuples premiers du Canada. Un devoir de mémoire[3]. La réalisation de cette ambition passe d’après Myriam Tirnish par un nécessaire réaménagement de l’espace montréalais via un design urbain aux structures authentiques (fidèle aux valeurs et identités autochtones) et conciliatrices (de la diversité culturelle autochtone). Rendre vivant et restituer dans sa vérité identitaire une présence souvent dévalorisée (par une représentation archaïque voire raciste – tel que le Monument à la mémoire de Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve) quand elle n’est pas simplement une absence.

La génèse de cette idée selon Myriam Tirnish vient du constat que les Autochtones à Montréal connaissent des besoins importants d’habitat. Rapidement, il est apparu que ce n’est pas tant l’habitat comme infrastructure (structure physique) qui est recherché par ce groupe, mais l’habitat d’abord comme un milieu de vie où et dans lequel il puisse se sentir chez lui – (se) rassembler, (se) retrouver, (se) reconnecter. Dans ce sens, l’habitat devient un lieu qui commémore. Un abri de la personne, de la rencontre, et de la mémoire. Dès lors, « Autochtoniser Montréal » c’est repenser l’espace urbain en y introduisant une nouvelle symbolique; c’est penser et bâtir la ville à partir de l’Autochtone, ce qui n’a jamais été le cas. 

« Autochtoniser » bien plus que « Décoloniser ». Décoloniser étant pour Mme Tirnish le fait de remplacer une présence par une autre, alors que autochtoniser c’est adapter et faire coexister deux présences (le non-Autochtone et l’Autochtone) dans un même espace. Il ne s’agit pas d’effacer, mais de faire une place ou de mettre fin à l’absence.

Pour y parvenir, il est nécessaire selon Mme Tirnish de donner (enfin) la parole à l’absent, à l’inexistant, au Conquis – l’Autochtone. Lui qui fût écarté de la construction de Montréal – territoire Mohawk non cédé. Donner la parole, c’est-à-dire éviter d’imposer une vision, travailler de concert avec lui afin d’en arriver à une représentation authentique et conciliatrice de l’espace urbain. Cela a impliqué une consultation en trois temps : avec seulement les Autochtones, avec uniquement les professionnels du design urbain, et avec conjointement les Autochtones les professionnels ainsi que les responsables municipaux.

De cette consultation tripartite furent établis les principes d’un design montréalais autochtonisé : être culturellement informé et impliqué, axer la création sur l’esprit de communauté, permettre de se reconnecter, respecter et valoriser l’environnement, favoriser une visibilité positive. Ces principes (aussi inspirés d’ailleurs, par exemple de l’Australie de la Nouvelle-Zélande, du Groenland, de la Colombie britannique) devront s’appliquer dans un Montréal réaménagé.

La présentation de Mme Tirnish complète assez bien le texte de Katharyne Mitchell[4] (les sites mémoriels comme une instrumentalisation politique de la mémoire); et dans un sens illustre le fait que l’espace (urbain en l’occurrence) n’est pas neutre, qu’il est porteur de (lourds) signifiants. Cet espace n’est pas seulement un lieu de manifestations (matérielles, structurelles) de la mémoire, mais en lui-même un lieu de la mémoire[5] (ou des mémoires[6]) pouvant déchirer ou faire dialoguer les communautés, taire la souffrance ou dire le tabou, renforcer ou montrer le déni. De telle sorte qu’une ville offre une vision de l’interprétation (politique, sociale, culturelle)[7] que les individus et les communautés ont de leur Histoire, de la relation qu’ils entretiennent avec celle-ci. On peut y constater ce dont on veut se souvenir, ce que l’on ne veut pas dire, et ce que l’on veut oublier. À cet effet, la conclusion de Mme Tirnish est fort à propos : L’architecture et le design ne sont-ils pas de pertinents moyens pacifiques de protester? De s’affirmer culturellement ? Nous ajouterons, à sa suite, de rendre enfin justice et dignité (aux invisibles ou aux inexistants) ? 

 

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[1] Très prochainement, je partagerai avec vous ma lecture de l’anthropologue Serge Bouchard (« Récits de Mathieu Mestokosho, chasseur innu ») découvert grâce à mon ami Luc Panneton.

[2] Pacifier des relations aux blessures indéniables en encourageant un réapprentissage des cultures autochtones et une reconstruction des liens avec les non-Autochtones.

[3] À ce sujet, je vous conseille vivement la lecture de Avishai Margalit et « L’Éthique du souvenir ».

[4] Katharyne Mitchell (2003) Monuments, Memorials, and the Politics of Memory, Urban Geography, 24:5, 442-459, DOI: 10.2747/0272-3638.24.5.442

[5] Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984-1992.

[6] Mémoires collective, nationale ou officielle, savante, Culturelle.

[7] “the traces of memory left in the landscape point to the political, cultural and economic forces which cohered at that moment to produce a vision of the way a (dominant) society perceived and represented itself to itself” – Katharyne Mitchell (2003).



 

Les textes 

1/ Monuments, Memorials, and the Politics of Memory – Katharyne Mitchell : Mitchell_2003

2/ Autochtoniser Montréal : Cahier des oeuvres, Autochtoniser Montréal – Book of works, Indigenize Montréal

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