Je suis l’homme parfait. Excusez la modestie, mais je suis honnêteté radicale. J’ai cru comprendre que c’est une pathologie. D’une certaine façon, c’est vrai. Je préfère être malade.
Alors je le dis je suis l’homme parfait, dans sa phase terminale comme au zénith de sa prétention.
Je suis l’homme parfait. Un idéal rare. Beau. Brillant. Riche. Sadomasochiste. Avant Grey et ses nuances fadasses.
En supplément, je suis noir, avec l’ensemble des avantages sexuellement inclus et attendus. La chaleur tropicale qui donne des fièvres du samedi soir, le rythme dans la peau qui enflamme les soirées maussades, le verbe exquis charmeur et l’aura qui captive et emprisonne. Je vais encore être radical, je crois avoir inventé le mot charisme. Et c’est avec humilité que je l’affirme, je suis tout simplement génial.
Je suis l’homme parfait. Suprême archétype du fantasme universel. Je donne mon corps aux femmes pour qu’elles me dévorent. Les hommes font la queue pour une dégustation mémorable, au propre comme au figuré. Et les autres m’attendent dans leur caverne afin que je les sorte de l’ombre pour les ramener à la vie.
C’est humanitaire et dans cette perspective principalement égoïste, je me donne bonne conscience pour mieux rester éveiller la nuit, et tous les faire jouir en prenant d’abord mon pied. Je devrais me faire décerner le Nobel. Le problème c’est que de nos jours c’est comme la Légion d’honneur, et Sartre avait raison à l’époque.
Je suis l’homme parfait. J’ai nourri pas mal de crève-faims, ce n’est pas un exploit ou une vantardise, seulement quelques uns étaient mannequins ratés, avec des rêves de grandeur financés par d’autres, et d’une telle banalité, humaine, intellectuelle, comme les longs soupers de belle-famille, qu’il m’est arrivé de les prendre en pitié.
Pourtant, en d’autres circonstances, on achèverait l’animal. Par bonté du cœur et pour soulager ses souffrances, j’ai couché avec. C’est mon côté zoophile.
Je ne suis qu’un méprisable personnage profitant de la situation. Oui, certainement. Je suis capitaliste et donc foncièrement opportuniste. C’est méprisable. Probablement. Et je n’en ai strictement rien à cirer. C’est tout. A trente ans ou presque, songer à devenir la prochaine Tyra Banks pubertaire, c’est aussi ambitieux, réaliste, qu’un noir voudrait se faire élire président durant la Guerre de Sécession.
Quelques fois, l’ambition, c’est formidable. La lucidité, c’est mieux. Les deux, c’est intelligent. L’absence de l’une est soit de la bêtise pure soit du défaitisme stérile ou de l’inertie morbide. En cas d’absence des deux, il faut consulter. Rien ne dit que ça se soigne.
Je suis l’homme parfait. Je n’aime pas spécialement les gens. Je ne les déteste pas particulièrement. Mes sentiments envers eux restent toujours d’ordre général. Invariablement. Mes relations et celles qui ne le sont pas, mes amours et les autres Me Too, mes aventures et leur effet placebo, ma famille et la belle-famille. Tout est d’ordre général. Même ceux qui se plaignent en longueur de journée comme des phoques en Alaska. Ou qui guettent la moindre attention avec la fébrilité de nymphomane sevrée.
Ceux qui ont l’impression que les autres les jugent alors que c’est vrai et qui devraient cesser d’angoisser pour qu’enfin les juges puissent véritablement jouir en paix à leur détriment. Dans ce type de contexte, le seul truc à faire est de se tenir à bonne distance de la giclée. Parce que au fond l’on ne peut empêcher les juges de se faire plaisir.
Je suis l’homme parfait. Ma femme me trouve psychopathe, exactement ce qu’il faut et comme il le faut. Ma femme n’aime pas les psychopathes, j’étais le seul black potable qui traînait dans le coin. Elle m’a regardé droit dans les yeux et a tout de suite vu que je n’allais pas la flanquer sur le trottoir ou sur un podium agrippée à un poteau. Je ne sentais pas les bars à danseuses, ni L’Homme de Yves Saint Laurent, encore moins Le Mâle de Jean Paul Gaultier. Seulement du N° 1 Imperial Majesty de Clive Christian. Je puais la chrétienté, c’était rassurant.
Ma femme me traite de pauvre connard coincé, élitiste, snobinard, à l’humour douteux, et immuablement assis dans ses livres étranges dans lesquels on prend du crack en baisant des pédés – dévoilant ainsi la meilleure part des hommes. Dans lesquels des mecs veulent mourir une grenade dégoupillée contre leur cœur et que l’on nomme Les Bienveillantes. Dans lesquels Faber est un destructeur dans une époque si insensée que détruire c’est de l’humanisme.
Elle a ce bleu dans le regard qui m’élève et me perd dans l’azurien, bien naturellement infini. Elle a cette intelligence jamais égalée par quiconque. Sauf par moi, bien raisonnablement.
Elle est d’une grande énergie, moi d’une calme lenteur. Elle est rude mais polie. Je suis rude et impolie. Elle est irrésistible, je suis indicible. Elle peut être effrontée, je suis indompté. Et lorsqu’elle dit que je suis psychopathe, et donc parfait, c’est une manière de nous garder vivants.
Je suis l’homme parfait. Quand on me voit remuer les fesses comme Magasco dans son Kumba Market, ou hocher la tête comme Jovi dans son Don 4 Kwat, charisme à l’excès, suprême sans finir monstre sacré parce que ce serait vraiment chiant, on ne peut s’empêcher de se tourner vers l’Olympe et voir que le crâne de Zeus orne un pic, et que je suis effectivement le seul survivant parmi les dieux.
Encore une fois, excusez la modestie, je suis honnêteté radicale.
Jupiter – Pauvres gens ! Tu vas leur faire cadeau de la solitude et de la honte, tu vas arracher les étoffes dont je les avais couverts, et tu leur montreras soudain leur existence, leur obscène et fade existence, qui leur est donnée pour rien.
Oreste – Pourquoi leur refuserais-je le désespoir qui est en moi, puisque c’est leur lot ?
Jupiter – Qu’en feront-ils ?
Oreste – Ce qu’ils voudront : ils sont libres, et la vie humaine commence de l’autre côté du désespoir.
Jean-Paul Sartre, Les Mouches, p. 238, Scène 2, Acte 3