Coller la petite

Bande sonore : Coller la petite – Franko.

Ma salle de bain est le festival Osheaga sans les préservatifs usés et avec l’avantage qu’aucun artiste n’annule sa prestation onéreuse à la dernière minute – parce qu’il n’a pas su à temps, avant que son cerveau ne grille et que son cœur n’explose, stopper son oxygénation au sommet de l’Everest-cocaïne.

Ma salle de bain, c’est le club le plus branché de la planète. La version hype de The Truth dans la série Power. Point de rythmes stellaires passés par un DJ presque androïde shooté aux sonorités galactiques. EDM. Eurythmies Défoncées aux Magic-mushrooms. En matière de défonce, l’on a entendu mieux. Point d’odes robotico-psychédéliques à des dieux-rainbow venant du futur et roulant des mécaniques. Point d’étoiles, filantes ou pour le formuler comme de nos jours de « swipe left » – c’est-à-dire de rien à rien du tout, du néant à son infini. Point de ces étoiles mortes qui brillent haut dans des cieux aux nuages Tchernobyl. Nos « stars ».

Ma salle de bain, c’est le « Paradise city » avec des « Guns N’ Roses ». Far-west à la Quentin Tarantino où nu comme un vers je joue tous les Huit Salopards dans un décor médiéval Il nome della rosa créé par Umberto. Dans ma salle de bain, se joue une intrigue shakespearienne mise en scène par Warren Adler dans laquelle ma bouche lape la rose de Dorothée, et la sienne caresse mes épines. Jusqu’à sa petite mort, jusqu’à la mienne. Ce qui fait notre bonheur. Lorsque Gaston Bachelard a écrit dans La Psychanalyse du feu que « Pour être heureux, il faut penser au bonheur d’un autre », il venait d’assister – public attentif – à la p’tite baise de Dorothée et moi sous la douche. Danseurs fornicateurs, œuvres de chair, dans cette alcôve qu’est ma putain de salle de bain. Bachelard a psychanalysé le feu – Dorothée et moi, une b(r)aise incandescente.

Dorothée a voulu me souhaiter la bienvenue en barbarie-land. Hier, je suis arrivé des terres civilisées du grand nord, et je n’y ai pas rencontrées des Marcheurs blancs. Ils avaient tous migrés à Québec. La Capitale nationale voyait ces drôles de créatures battre le pavé en scandant des slogans contre l’invasion des détritus que sont d’après les pancartes brandies les « Immigrés illégaux, profiteurs et abuseurs ». « Le Québec n’est pas IslamLand ». « Non aux vidanges ! » « Sauvons notre identité et nos valeurs ! » « Ecœurer de la dictature des minorités visibles ! » « Non au multiculturalisme extrême ! », « Non au racisme anti-Marcheurs blancs ! », etc. En ce mois d’août de chaleur caniculaire, Québec a une tête de suprémaciste cagoulée d’un linceul de blancheur KKK. Ce qui est bien avec cette cagoule, c’est qu’elle protège du soleil. Des Marcheurs blancs bronzés ce serait pour eux une très mauvaise affaire. Mon pote Jon Snow pense pareil. Il m’a envoyé un message-texte rageur : « C’est quoi ce bordel ?! » Je n’ai pas su quoi lui répondre. J’ai remercié Dorothée et lui ai confirmé notre rencontre en soirée. Le temps de bien me rendre compte de mon retour à la réalité. En barbarie-land. Avec cette terrible impression d’avoir choisi comme certains dans The Matrix, la mauvaise pilule.

Dorothée est arrivée avec une espèce de corbeille de fruits de mer. En bouche, cela se mâchait comme du plastique. Je ne lui ai pas fait la remarque. « Délicieux, Do’ ! » Elle a rajouté « …Ré Mi Fa Sol La Si !, lol » J’ai souri avec un « Mdr ». Elle était heureuse comme un polonais saoul. D’ailleurs, je crois me souvenir qu’un de ses ex l’était. Polonais. Il avait débarqué à Montréal pour y trouver fortune et bonheur à l’instar des Premiers colons ; quelques mois plus tard il était déporté comme un Juif. Dorothée fût pour lui une tentative d’intégration à la culture québécoise par le coït. Le cœur et les restes est venu ensuite. « Il était vraiment bien intégré » m’a dit Dorothée. « Il avait tout appris d’icitte ! » « La langue, les valeurs, et même l’histoire ! Il avait une jobine et allait à l’université pour redevenir ingénieur ! » Cela n’a pas beaucoup ému le fonctionnaire qui signa son arrêt de déportation. Dans le processus d’assimilation d’un type « Mets ta langue dans ma bouche », « Baise comme un pur-laine » ou du moins pas comme un « Ostie d’Arabe ! » ou bien encore un « Tabarnak de Musulman ! » – c’est-à-dire du sexe non-halal, « Bouffe la poutine » comme on pratique un cunnilingus dans le sens le plus « Mange-moé ! » du terme, « Porte un maillot des Canadiens de Montréal » pour soutenir l’équipe – « Québec Fier » – des gladiateurs millionnaires courir après une galette, « Voue un culte quasi fondamentaliste à la Céline nationale », « Tape-toi la voix taverneuse d’un Éric Lapointe en grande forme » – pour dire dans son épouvantable normalité ou autrement dit comme un polonais saoul, l’ex de Dorothée a dû manquer un bout. Ou peut-être qu’il a été trop excellent. Quelques fois, dans son pays d’accueil, exceller plus que la moyenne soucharde est un crime qui ne pardonne pas. L’ex de Dorothée d’après ce qu’elle m’a dit vit désormais à Stockholm, il y conçoit des appareils d’intelligence artificielle.

Le dessert est un gâteau au chocolat bourré d’additifs chimiques, une surdose de cochonneries. Le goût est obésité, diabète, cholestérol, et j’en passe. Je veux dire délicieux. Il y avait du bon dans ce retour en barbarie-land. Dorothée s’est empiffrée avec beaucoup de raffinement. Cela se voit comme une gourmandise aux petites bouchées. Qui prend son temps et qui ne laisse aucune chance au mets devant elle. Dorothée mange avec énormément de classe. Pas d’empressement, aucun coude sur la table, pas de rot – ce qui au Québec est quand même un exploit en soi, la bouche fermée quand elle mâche, assise le dos perpendiculaire à son cul, respectueuse en tout point des Manières de table de Ute Witt. C’est comme si je mangeais en compagnie du rabelaisien Gargantua éduqué à l’époque victorienne. Cela n’arrive pas tous les soirs.

Le dessert à peine digéré, Dorothée et moi nous nous sommes affalés sur le sofa « Cachalotte » design dont la couleur « sperme de baleine » m’a toujours laissé songeur. Mais, selon ma décoratrice d’intérieur, il paraît que c’est tendance. J’ai décidé de la croire, au prix qu’elle me coûte. Dorothée n’a pas remarqué la couleur, trop préoccupée à dévorer ma bouche – ce plat de résistance. J’ai remarqué son piercing sur la langue, et je n’ai pas voulu l’interrompre en lui demandant depuis quand il date. Certaines choses ont changé en barbarie-land. Pas le Journal du Mouroir. Un peu La Presse qui sans doute pour se sauver de la noyade financière a décidé de faire le trottoir. Comme je le disais à Jenny il y a quelques semaines, la prostitution est un métier comme un autre. Dans le cas des journalistes, faut juste rendre sa carte de presse avant. Sinon, c’est du foutage de gueule. Dorothée quant à elle ne se fout guère de ma gueule, c’est proprement un vrai travail de professionnel.

Nous nous sommes embrassés longuement. Pour dire, nous avons copieusement copuler. Sur le sofa. Et un peu partout dans l’appartement. L’odeur de nos ébats mêlée à celle de l’huile essentielle Ylang-ylang offrait un parfum des plus sauvages. Pour reprendre l’expression de Dany Laferrière dans son Comment fourrer un (phantasme) nègre sans mourir d’épuisement, l’appartement sentait la b(r)aise. En fond sonore : « Coller la petite » de Franko. Contrairement à Dany, je ne baise sous jazz. La musique d’ambiance ne doit pas être In Sentimental Mood trop parfait à la Duke Ellington et John Coltrane. Il ne s’agit pas de sentiment dans « baiser ». Seulement du :

On est là pour s’amuser,

On est là pour s’enjailler

Même la police ne va pas nous arrêter

C’est jusqu’au matin qu’on va travailler.

 

Alors il est surtout question de faire ce qu’il faut faire. En d’autres mots :

Récupère la petite,

Angoisse la petite,

Embrouille la petite,

Et maintenant colle la petite.

Collé Collé Collé Collé… colle la petite

Collé Collé Collé Collé… colle la petite

Sanga sanga sang sanga

Sanga sanga la petite

 

 

« Sanga sanga » comme jadis d’autres demandaient à leur Dorothée : « Laisse-moi zoom zoom / Dans ta Benz Benz Benz ». Les époques ont changé, les mœurs sont demeurées, baiser égale baiser. Avec ou sans « cam ».

Dorothée et moi nous avons, après le premier round, décidé de poursuivre la conversation sous la douche. Embrasement sous le déluge, une façon de nettoyer la boue par le feu. Bachelard nous y attendait, la barbe hipster et le regard « Ayoye ! » ce qui se traduit en français par un « C’est pour aujourd’hui ou c’est pour demain ?! » Nous ne nous sommes pas faits prier. Pas d’Allah akbar, pas de Pater noster, uniquement du « Notre jouissance, qui es aux septième cieux, que ce moment soit sanctifié, que la chair vienne, que la volonté soit faite, donne-nous aujourd’hui notre coït de ce jour, ne pardonne pas nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont donné la fessée, et ne nous laisse pas sur notre faim, mais délivre-nous de la Morale, Amen ». Bachelard a tout noté dans son calepin.

Ma salle de bain est un festival sans préservatifs usés, c’est sur ce point presque comme le festival international de Jazz de Montréal, mais sans Jazz. Les artistes ne chantent pas, ils baisent sous la douche. Les musiques ne sont pas stellaires, elles sont de chair. Les androïdes sont des poupées gonflables qui se laissent tripoter. En barbarie-land, c’est un sanctuaire qui protège des Marcheurs blancs, icitte il y a trop de soleil. Ma salle de bain est une affaire de salopard, de flingues et de roses, dans un ambrosiaque tumulte « Coller la petite » obscène. La p’tite chatte. La p’tite bite. Far-west, sans étoiles, filantes, mortes. Juste quelques petites morts. « Mon ami il y a quoi? » « Fais ton choix ».

Bande sonore : Et P8 Koi- Jovi.

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