Goodbye my lover, goodbye my friend

Bande sonore : Goodbye my lover – James blunt.

Hier, Karlita m’a demandé : « Pk tu veux tant mon attention ». Je n’ai pas trop sur le coup compris la question sans point d’interrogation. J’ai voulu lui dire: « Je ne veux pas ton attention, je veux juste te connaître et apprendre à te connaître, bien naturellement tu ne m’indiffères pas », mais je n’ai pas dit ça. Je crois que pour Karlita c’était une manière de me dire : « Criss moi patience ». C’est ce que j’ai fait. Tout le monde a besoin d’attention, mais tout le monde n’a pas besoin de l’attention de tout le monde. C’est cela la liberté, il faut respecter ça, nous avons tous le droit de décider vers qui va notre estime, à qui on demande ou on attend de l’estime, nous avons le droit je dirai même absolu de choisir qui on veut découvrir ou prendre connaissance, qui a le droit de nous découvrir ou de prendre connaissance de nous. C’est cela le principe philosophique et moral de l’autonomie. Cela même être Humain, autonomie de la volonté, liberté. Et c’est le principe de justice aussi que j’ai toujours défendu. Bien plus que l’égalité. L’équité bien plus que l’égalité. Le respect bien plus que l’amour ou l’amitié. La liberté qui oblige nécessairement à la responsabilité, la responsabilité qui dit solidarité, la solidarité qui dit le fait d’avoir le souci de l’Autre. J’ai souvent beaucoup trop le souci de l’Autre, trop d’amour pour l’Autre, trop de considération pour l’Autre.

L’Autre quelques fois n’en demande pas tant. Et quand je respecte cela, que je laisse l’Autre dans sa liberté, l’Autre finit par me le reprocher, il se dit que je ne l’aime pas, il pense que je le méprise, il souffre d’être invisible à mes yeux, il souffrance de mon absence ou mon déni de reconnaissance. Avec l’Autre, j’ai souvent cette drôle d’impression d’avoir le cul entre deux chaises, c’est une position durablement intenable, il peut y avoir risque d’hémorroïdes. Et l’Autre, être postmoderne, être contemporain, veut que je sois disponible quand lui il veut, la relation humaine se transforme à une espèce de service à la carte, je dois le considérer au moment qu’il a décidé, je dois le reconnaître à l’instant souhaité, je dois l’aimer quand son besoin s’en fait sentir, je dois avoir une responsabilité d’autrui dans la situation qu’il a décidée, je dois être présent selon l’utilité qu’il décidée. Sauf que, comme l’Autre, je suis doué d’autonomie de la volonté, je suis une liberté, un être humain, un Humain, et non un service à la carte ou un service personnalisé. Liberté contre liberté. Autonomie contre autonomie. Alors on fait quoi? 

Je ne recherche pas « tant l’attention » de Karlita. En fait de son attention, je m’en contrefiche un peu, dans le sens que je n’ai jamais fait les choses par rapport à elle, je veux dire ce n’est pas une de mes sources d’inspiration, je n’ai pas besoin de son regard, et je dis ça sans la dévaluer du tout – grand dieu non – simplement que ceux dont j’ai le plus besoin du regard parce qu’ils m’inspirent profondément sont âgés d’au moins cinquante ans, ils sont vraiment peu nombreux, ce sont des modèles. Leur regard me permet de valider le fait que je suis le chemin très initiatique de la connaissance de soi, et de la compréhension du monde. Leur regard me permet de me valider comme Padawan qui rêve un jour de devenir un Me Jedi afin non seulement de lutter contre le côté obscur de la Force mais surtout de guider d’autres Padawans. Leur regard est important pour moi, puisque je leur dois beaucoup de ce que je suis, qui je suis, et ce que je veux être

Karlita m’a toujours plu. Je ne l’ai jamais caché. J’aime les yeux de Karlita, et son cul vraiment ne m’intéresse pas – comme tous les culs d’ailleurs, je ne l’ai jamais caché. J’aime voir son regard pour ça, et je n’ai pas besoin de son attention. C’est deux choses radicalement différentes. Par contre, quand je lui demande comment elle va, ce que je cherche ce n’est pas son attention, face à son silence je veux simplement m’assurer qu’elle ne me snobe pas, m’assurer qu’elle ne frappe d’invisibilité, m’assurer que je n’ai pas fait un truc qui lui a causé du tort, m’assurer qu’elle va bien, m’assurer simplement qu’elle est encore de ce monde. Et m’assurer aussi que comme toutes les personnes que je côtoie, que je connais, que je fréquente, elle n’est pas malheureuse, qu’elle ne vit pas l’enfer intérieur, qu’elle n’ira pas se noyer dans l’océan. Le souci d’autrui. L’amour d’Autrui. La considération, la reconnaissance, et tout le reste. Ceux qui lisez ce blogue, ceux d’entre vous que je côtoie au quotidien, ceux d’entre vous que j’ai rencontrés une fois, vous le savez. Dave est un putain de sensible au cœur trop faible. Quelle connerie.

Depuis que je l’ai rencontrée tout est allé de travers, je lui ai dit que chez moi les malentendus, les quiproquos étaient un grand classique. Je comprends mal les gens, je pose des gestes peut-être inadéquats et eux ne me comprennent pas et cela va simplement en couilles. La première fois que j’ai dit un truc sur ce que je pensais de Karlita, c’était sa face de bitch, je n’avais pas saisi le drame du truc chez elle. Hier, elle m’a dit : « Ne sois pas trop dramatique », j’ai failli lui dire que c’est l’hôpital qui se foutait de la charité. Elle qui souffre de la solitude, elle qui vit si souvent le drame. Je n’ai rien fait de la sorte, j’ai simplement présenté mes excuses pour toutes les offenses que j’avais involontairement pu bien lui faire. C’était la moindre des choses. C’est cela l’humaineté. Elle m’a fait comprendre qu’une fois, en contre-réaction à une de ses attitudes, je l’avais traitée d’impolie, et c’est possible, je crois même que c’est vrai. Je peux être un salaud, je suis souvent et très souvent un trou du cul (mon ex-femme le confirmerait). Seulement, faut comprendre le contexte, la situation, toujours.

Le contexte avec Karlita c’est que depuis qu’elle et moi avons fait connaissance, j’ai souvent eu cette impression qu’elle soit elle était en compétition contre moi (ce que je trouvais proprement absurde) soit elle pensait que j’avais une opinion dévalorisante d’elle. Et, j’ai souvent eu l’impression qu’elle en faisait trop, trop pour ne pas être traitée comme rien ou peu de choses alors qu’au fond elle était quelque chose de brillant, d’ailleurs je l’ai écrit dans un compte-rendu qui résumait une présentation universitaire que nous avions faite ensemble. Elle l’a lu, le compte-rendu, et son changement d’attitude s’est manifesté clairement.

Karlita s’est sentie reconnue, comme le dirait Ricoeur dans son Parcours de la reconnaissance: elle avait le sentiment d’avoir reçu l’assurance plénière de ses capacités. Elle s’est sentie estimée, et elle a eu une plus grande estime d’elle, de soi. Tout le monde est en quête de reconnaissance, parce que tout le monde a un besoin vital d’être considéré. Je n’invente rien, cela vient de Charles Taylor le philosophe canadien, tout le monde a un besoin de reconnaissance c’est-à-dire de réalisation de soi. 

La réalisation de soi va de pair avec la construction de son identité, de ce Soi (identité singulière) qui fait en sorte que vous n’êtes pas moi et que je ne suis pas vous, l’on est des singuliers tout en étant des semblables (identiques) puisque nous avons conscience que l’Autre c’est un alter ego (une personne rationnelle, une dignité humaine). Sous un autre angle, Ricoeur dans son Soi-même comme un autre constate que l’Autre n’est plus aujourd’hui qu’une simple contrepartie de l’ego (du Je) ou un simple alter ego cartésien, l’Autre est devenu ma référence parce que être soi-même c’est une constitution de sens intime qui passe de plus en plus par l’Autre (l’altérité).  L’Autre comme Soi-même avons donc une relation beaucoup plus étroite que la simple ressemblance. Un lien beaucoup plus profond. 

C’est dans cette idée que pour en arriver au « Be Yourself » c’est nécessairement se mettre un peu beaucoup sous (la) tutelle de l’Autre, réciproquement. Personne dans la vie sociale, d’interactions sociales, ne peut faire fi de cette réalité. On n’est jamais « Myself » que par rapport à l’Autre, et en allant plus loin on ne peut être « Myself » que si l’Autre nous valide, nous confirme, nous atteste, comme « Self ». Goffman l’a montré dans sa Mise en scène de la vie quotidienne, les individus portent des masques (dans le sens étymologique latin de persona) qui sont en fait des faces qu’ils présentent aux Autres, et les Autres (qui portent aussi des masques ou qui présentent aussi leurs faces) doivent confirmer cette face, cette image de soi. La présentation de soi dans la grande scène qu’est notre quotidienneté est une validation, une confirmation de la face. Une confirmation réciproque, sans laquelle l’espace social est invivable. On peut transposer cette réalité dans la sphère privée. Vous êtes en couple avec quelqu’un qui a validé votre face, qui vous a estimé, qui vous a reconnu une valeur, vous avez fait pareil (sinon vous ne seriez pas en couple). Cette réalité s’observe dans les amitiés, nous nous validons confirmons mutuellement nos faces, nous nous reconnaissons réciproquement. 

Sous un autre angle, Charles Taylor considère que ce que l’on valide et confirme chez l’Autre et ce que l’Autre confirme et valide chez nous, c’est nos authenticités. C’est-à-dire ce que l’on a décidé d’être, nos individualités (l’authenticité c’est avant tout et peut-être seulement être sincère envers soi-même, Grandeur et misère de la modernité de Charles Taylor le formule mieux : « Etre sincère envers soi-même signifie être fidèle à ma propre originalité, et c’est ce que je suis seul à pouvoir dire et découvrir. En le faisant, je me définis du même coup. Je réalise une potentialité qui est proprement mienne. Tel est le fondement de l’idéal moderne d’authenticité, ainsi que des objectifs d’épanouissement de soi ou de réalisation de soi dans lesquels on le formule le plus souvent. »). Nous recherchons tous cet épanouissement de soi ou de réalisation de soi.

Cette réalité est saisissable dans nos vies quotidiennes où l’on se présente aux Autres généralement en exigeant d’eux qu’ils reconnaissent et respectent cette authenticité, nos personnes authentique. Nos sociétés actuelles (post-disciplinaire) sont celles-là, contrairement sans doute à celles d’une modernité antérieure (sociétés disciplinaires). Cela a une certaine cohérence avec l’individu dit pluriel ou à l’identité éclatée par ses pluri-appartenances (vous et moi avons d’innombrables identifications, nous pouvons nous reconnaître dans une pluralité de communautés souvent si (radicalement) différentes les unes des autres mais pourtant que cette nature identitaire éclatée nous fait incroyablement sens, d’ailleurs nous nous posons même pas quelques fois la question, c’est naturel ou cela va de soi). Nous sommes dans ce sens des individus moins disciplinés (nous nous incorporons de moins en moins dans une norme préétablie, une norme agrégative des singularités, et la société moins en moins en mesure d’imposer des structures sociales stables à même d’assurer l’incorporation des individus – on parle de plus en plus d’anomie dans le sens durkheimien : désorganisation sociale, fragilisation des systèmes de valeurs, etc.). Aujourd’hui, en ayant cette lecture des choses, l’on pourrait en arriver à dire que c’est l’authenticité le nouveau contrat social. La liberté bien plus que l’égalité. 

Nous au XXIe siècle ne ressemblons pas à l’individu du monde bi-polaire (Guerre froide), avec ces Nations – imaginaires collectifs – et ces blocs idéologiques qui tendaient à discipliner les singularités. Tout ça pour dire, que plus que jamais la reconnaissance est un besoin vital pour l’individu, les structures sociales ne lui offrent plus comme avant toute l’assurance de son authenticité, il a besoin de plus en plus besoin des Autres pour se faire connaître, se re-connaître, se reconnaître. Et cette dernière, la reconnaissance n’est pas a priori (Charles Taylor le souligne notamment dans sa Grandeur et misère de la modernité), pour dire plus aussi automatique qu’avant (dans les sociétés disciplinaires avec des catégories sociales figées et acquises), d’où aussi les luttes pour la reconnaissance. Tout le monde est en lutte et vit des luttes pour la reconnaissance. Tout le monde.

Et tel que l’a montré Alex Honneth, le philosophe social, le déni de reconnaissance qui peut être soit l’absence de reconnaissance soit le refus de reconnaissance peut créer en chaque individu une brèche psychique douloureuse dans laquelle peuvent s’engouffrer colère, honte, humiliation, etc. En ce sens, reconnaissance rime autant avec estime de soi qu’avec souffrance. Honneth dans ses Luttes pour la reconnaissance va même jusqu’à offrir une autre lecture des conflits sociaux dans nos vies de tous les jours qu’ils décodent comme des demandes de reconnaissance. Les Gilets Jaunes en France peuvent être regardés comme des demandeurs de reconnaissance, des demandes d’estime sociale. Charles Taylor, sous l’angle de la réalisation de soi (qui diffère de l’approche honnethienne de l’estime de soi – ici rattachée à l’utilité, à la valeur sociale), n’en dit pas moins dans son Multiculturalisme : différence et démocratie : « L’absence de reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate […] peuvent constituer une forme d’oppression ou emprisonner certains dans une manière d’être fausse, déformée et réduite. […] Le défaut de reconnaissance ne trahit pas seulement un oubli du respect normalement dû. Il peut infliger une cruelle blessure en accablant les victimes d’une haine de soi paralysante. La reconnaissance n’est pas seulement une politesse qu’on fait aux gens : c’est un besoin vital. » 

Lorsque je vous reconnais en vous disant ceci : « T’es brillante. » Ou que « T’es beau ». Je ne fais pas seulement être poli, je réponds à votre besoin vital d’être reconnu. Combien d’entre nous avons vécu des dépressions à cause d’une absence, une reconnaissance inadéquate (qui reconnaisse la chose qui n’était pas l’objet de notre demande de reconnaissance, ou que le sens donné à la chose qui est reconnue ne soit celui qui était proposé), ou d’un déni de reconnaissance. Si je vous dis devant un travail qui objectivement est de (très) bonne qualité (que vous me présentez pour validation, confirmation, appréciation) : « Mouais », ou que je fasse silence, alors que votre travail votre effort c’est plus qu’un « Mouais », c’est un « Oui », ou un « Wow », qui ne mérite pas un silence, il est possible que vous en souffriez. Que vous vous sentiez déconsidérés, dévalorisés, par ce que j’ai nié vos capacités propres. J’ai autant été un empêchement dans votre réalisation de soi, que dans votre demande d’estime de soi ou sociale, mais aussi je vous ai méprisés, je vous ai manqués de respect. Et j’ai porté atteinte à votre intégrité (psychologique, etc.). C’est une blessure, c’est une violence, dont vous ferez l’expérience. Vous pourriez vous sentir insultés, dégradés, et le vivre comme une injustice (Nancy Fraser, la philosophe rebelle, dans son article « Justice sociale, redistribution et reconnaissance » va aller jusqu’à développer l’idée que la reconnaissance est au-delà de la réalisation de soi et de l’estime de soi est surtout une question de justice, et dans ce sens qu’un déni de reconnaissance est moralement condamnable, pour il peut être immoral de ne pas reconnaître – « Il faut plutôt déclarer injuste le fait que des individus et des groupes se voient déniés le statut de partenaires à part entière dans l’interaction sociale en conséquence de modèles institutionnalisés de valeurs culturelles à la construction desquels ils n’ont pas participé sur un pied d’égalité et qui déprécient leurs caractéristiques distinctives ou les caractéristiques distinctives qui leur sont attribuées. »). 

C’est tout le propos d’Alex Honneth dans son article  « Integrity et disrespect : Principles of a Conception of Morality Based on the Theory of Recognition » : « Nous devons notre intégrité […] à l’approbation ou la reconnaissance d’autres personnes. [Des concepts négatifs comme « insulte » ou « dégradation »] sont liés à des formes de mépris, au refus de la reconnaissance. [Ils] sont utilisés pour caractériser des formes de comportement qui représentent une injustice pas simplement parce qu’ils entravent la liberté d’action des sujets ou leur causent du tort. De tels comportements sont injurieux également parce qu’ils portent atteinte à la capacité de ces personnes de développer une compréhension positive d’elles-mêmes, compréhension qui s’acquiert par le biais de l’intersubjectivité. » 

Cette situation d’irrespect, de déni de reconnaissance, d’absence de reconnaissance, peut être vécu comme une offense qui en appelle souvent à une contre-offense. Tu me manques de respect, je réponds aussi irrespectueusement à ta personne, je te réponds par une contre-offense. Tu ne me reconnais pas, je ne te reconnais pas, tu me méprises je te méprises. Ce qui peut aller jusqu’à l’escalade de la violence, le conflit, la guerre, etc. Si on regarde le conflit israelo-palestinien par cette lentille on comprend autrement les choses. La loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent, appliquée presque à la lettre, jusqu’à ne produire au final que des générations de borgnes ou d’aveugles, et à coup sûr d’édentés. Voilà jusqu’où peut aller l’absence, le déni de reconnaissance. 

L’on peut aussi regarder différemment les actions des hommes et femmes politiques. On peut regarder ces individus comme ayant un besoin (peut-être plus que) vital de reconnaissance. Qu’ils sont prêts à tout pour ça, que certains ont une attitude liée à ce qu’ils ont vécu comme un mépris, une offense, faite à leur personne, et sont entrés dans un pattern de réponse à l’offense. Sur ce point, il est raconté que Trump a décidé de se lancer dans la course à la présidentielle américaine en ayant vécu une humiliation lors du dîner des correspondants de la Maison blanche. Son offenseur était Obama (qui lui répondait aux attaques de Trump sur le fait que le président américain n’était pas réellement de nationalité américaine). Nous étions en 2011. Ce fût le début entre les deux hommes d’une bisbille qui s’est poursuivie au dîner des correspondants de la Maison blanche en 2016, et dont on connaît la suite. Je t’ai reconnu comme une merde parce que tu m’as traité comme une merde, et on s’envoie réciproquement des merdes.

Trump a été traité médiatiquement comme une merde durant la campagne électorale présidentielle et c’est le moins que l’on puisse dire comparativement aux autres candidats (ce qui est un secret de polichinelle). Trump n’est pas un tendre, un enfant de chœur et c’est un euphémisme. Qu’importe qui a offensé l’Autre en premier, il y a eu une contre-offense, qui en a appelé d’autres, aujourd’hui autant avec une partie de la presse américaine qu’avec certains dirigeants politiques internationaux, si on regarde les actions de Trump qui ont l’apparence de l’incongruité il est possible d’y voir des atteintes à l’intégrité et une série d’attitudes irrespectueuses constituant autant de déni de reconnaissance ou de reconnaissance inadéquate (puisque l’on peut tout dire sur les uns et les autres, chacun a des mérites qui valent d’être reconnus et non niés). La politique ou même la politique internationale, les affaires internationales, les relations internationales sont aussi une question de reconnaissance (en droit international, la notion de reconnaissance est consacré par la notion de reconnaissance diplomatique).  On pourrait même le voir dans le monde économique (comme le besoin des entreprises de se faire confirmer par les consommateurs ce qu’elles croient ou présentent être leurs qualités propres). Pour dire, la reconnaissance n’est pas rien. Ce n’est pas simplement un sujet d’importance dans les théories en sciences sociales et en philosophie, mais surtout dans la vie de tous les jours. 

Ainsi, lorsque j’ai rendu à Karlita tout son mérite dans ce compte-rendu, je l’ai reconnue et elle s’est reconnue, s’est sentie renforcée dans son intégrité. Lorsque je lui ai dit peu de temps après qu’elle m’ait snobée sans que je ne sache pourquoi que je la trouvais impolie, je répondais à une offense par une contre-offense, elle s’est sentie méprisée insultée injuriée comme moi par elle, ce qui a construit ce cercle vicieux de violence, créé des brèches psychiques, des souffrances absolument pas nécessaires. Parce que elle comme moi sommes foncièrement Humains. Nous n’avons pas agi en personnes civilisées, car des personnes civilisées se considèrent, se reconnaissent mutuellement, se respectent, et ne font rien qui puissent porter atteinte volontairement à l’Autre aussi dignité que soi. Nous avons agi comme des barbares, et le reste ou la suite des affaires relève de la pure sauvagerie. 

Karlita me lit très sournoisement, elle a toujours eu ce truc, ce besoin, et plusieurs de mes billets sont particulièrement par elle. Je veux dire ça lui ressemble. Et chaque fois qu’elle clique dessus, je fais « Ah, t’es de retour toi, welcome back sweetie ». C’est comme quand Dorothée, elle entre toujours par le même billet avant de s’aventurer dans d’autres. Certains billets de ce blogue sont des portes d’entrée qui localisent et identifient mes lecteurs assidus bien plus que (quelques fois leur fausse) géolocalisation. En parlant de ça, je veux dire « 🙂 » « Come on », pas besoin de tout ça pour assumer que vous lisez Dave, je veux dire il ne faut pas avoir honte, personne ne vous accusera d’être sur xhamster. Peut-être que si. 

Karlita me lit donc sournoisement. Comme les Autres. Je m’en fous un peu beaucoup que les Autres me lisent ou non, font semblant de ne pas le faire, c’est leur problème.  Moi je lis ce qui m’en donne l’opportunité, je dévore ce qu’ils écrivent et publient, je leur en parle et j’essaie d’entrer dans leur monde de sens et leur univers de significations. C’est en passant par l’extériorité des mondes et univers des Autres que l’on constitue aussi son propre sens et ses propres significations. Je ne l’invente pas, je n’invente rien. Et quand je lis les Autres, quand ils m’en donnent accès, je ne fais pas semblant de n’être pas passé par là, je le leur fais savoir. Ceux qui me côtoient sur les réseaux médias sociaux le savent, et oui je n’hésite pas à partager ce que j’ai vu et reconnu en eux, souvent je ne suis pas idéologiquement d’accord avec leurs pensées, quelques fois je ne suis pas philosophiquement sur la même ligne de pensée qu’eux, et en matière de formes je m’ouvre à leur style, pour dire je m’y noie parce que c’est en plongeant dans leur genre que je me perfectionne. Les Autres écrivent pensent ont des styles sans lesquels, Dave ne serait pas. Il n’y aurait pas ce blogue. Il n’y aurait purement rien. Les Autres sont ma référence. Je le leur dit, je le reconnais, je les reconnais. La reconnaissance, encore une fois. 

Ainsi, qu’untel passe par la porte des étoiles ou un vortex pour me lire afin que je ne le sache pas, que voulez-vous que ça me fasse, si j’en parle c’est pour en venir à un point : celui qui consiste à avoir conscience de l’Autre, de ressentir le besoin de l’Autre, et en même temps de le frapper d’invisibilité – pour dire, de faire comme s’il n’existait pas, de le lui faire ressentir, de le rendre à la fois néant et inutile. Ceux qui le font sont d’après mon expérience ceux qui ne supporteraient pas de vivre cette situation, ils ne supporteraient pas la réciprocité, je l’ai vu chez eux. Le pire, c’est que les mêmes utilisent vos réflexions, s’inspirent de votre style, puisent dans votre travail, toujours en vous déconsidérant, à vous déniant toute reconnaissance, toujours en vous mettant dans la non-existence, le néant. 

Ils n’ont pas beaucoup lu Ricoeur, Goffman, Honneth, Taylor, Fraser, et les autres. Notamment Kwame Anthony Appiah dans The Ethics of Identity et son Identity, Authenticity, Survival : Multiculturel Societies and Social Reproduction, qui met non pas l’accent sur la liberté de soi comme le fait Charles Taylor ou Alex Honneth, mais sur le principe d’autonomie de soi au-delà de la  la réalisation de soi et l’estime de soi. Pour dire, vous pouvez être reconnus libres de vous réalisez comme cela vous chante mais seulement vivre des situations qui rendent contrairement à d’autres cette liberté de soi ou d’affirmation de soi effectivement impossible comme c’est le cas des minorités sexuelles. Ainsi, la question n’est plus tant la liberté d’être mais la réelle capacité des gens à être, l’autonomie dans le pouvoir être. Une lecture faisant écho dans un sens à celui de Nancy Fraser. On pourrait rapprocher cette lecture de la reconnaissance de l’analyse du philosophe et économiste Amartya Sen – mais aussi de celle de Martha Nussbaum – qui a développé sa théorie des capabilités – une façon de dire pour être ou exercer sa liberté d’être telle que reconnue à tous juridiquement encore faut-il en avoir la capabilité, la possibilité de faire les choix parmi tous les biens que vous jugez estimables et de les atteindre. Etre libre, comme principe normatif, règle constitutionnelle par exemple, ne suffit pas en soi et sans tenir compte de cette réalité ne signifie pas grand-chose, c’est une coquille vide.

Exemple : les Afro Américains étaient libres de se réaliser après la fin de l’esclavage, sauf que entre les Jim Crow Laws, le racisme, la ségrégation raciale plus ou moins insidieuse, la violence raciale, on peut questionner cette liberté d’être soi. Pareillement pour les pauvres qui sont libres d’être ce qu’ils veulent mais on sait que l’accès à l’école de bonne qualité n’est pas toujours un choix accessible, qu’il faut tenir compte que ces pauvres n’ont souvent pas grand-chose dans le frigo ou à manger, qu’ils vivent dans des conditions qui sont souvent socialement construites afin de les maintenir hors de toute participation effective dans l’espace social, dans les interactions sociales avec les Autres, etc. Dès lors, quand je te reconnais c’est aussi créer les conditions pour toi nécessaires à ta participation effective dans l’espace social, quand je te reconnais ainsi je te fais exister effectivement dans cet espace, je te sors de l’invisibilité ou je mets fin à ton invisibilité dans un tel espace. 

Ainsi, quand ces gens vous font ça, vous retirent le droit d’être tout en se servant de vous comme un moyen au lieu comme Emmanuel Kant dans sa Métaphysique des moeurs le dirait d’une fin en soi. C’est immoral de traiter les Autres comme des moyens. Personne ne souhaite être considérée de la sorte. Quand ces gens vous font ça, vous êtes invisibles. Comme le montre Alex Honneth dans son article « Visibilité et invisibilité. Sur l’épistémologie de la « reconnaissance » – en partant du livre L’homme invisible, pour qui chantes-tu? de Ralph Ellison – l’invisibilité dont est frappée la personne n’est pas « non-pré-sence physique, mais plutôt une non-existence » (pour Honneth pour le coup c’est le sens social de non-existence). Honneth le formule remarquablement : « Le sujet ne peut prétendre qu’une autre personne « regarde à travers » lui, l’ignore ou le néglige, que si elle a déjà réalisé une identification primaire du sujet. De ce point de vue, l’invisibilité au sens figuratif présuppose la visibilité au sens littéral. » Pour dire, avant de rendre invisible, on rend d’abord visible, on prend connaissance de l’Autre, on l’identifie, on le reconnaît comme individu – comme de cette nature semblable à nous-même. Honneth poursuit : « la différence entre « connaître » ( Erkennen) et « reconnaître » ( Anerkennen) devient plus claire. Alors que par « connaissance » d’une personne, nous entendons exprimer son identification en tant qu’individu – identification qui peut être graduellement améliorée –, par « reconnaissance », nous entendons un acte expressif par lequel cette connaissance est conférée avec le sens positif d’une affirmation. Contrairement à la connaissance qui est un acte cognitif non public, la reconnaissance dépend de moyens de communication qui expriment le fait que l’autre personne est censée posséder une « valeur » sociale. »

Reconnaître c’est une façon de publier ou publiciser une valeur que l’on confère à l’Autre. J’ai écrit que Karlita était brillante, j’ai d’abord procédé intérieurement (cognitivement) à lui donner un sens dans mon propre système de valeurs (ou dans le cadre global symbolique, mon univers de sens et de significations), je l’ai singularisée par rapport à d’autres (je l’ai détachée de la masse des Autres, j’ai mis fin à son anonymat), je l’ai inscrite dans une sorte de Totalité (au sens que l’entend Levinas dans son Totalité et Infini) sans toutefois la réduire dans cette Totalité. Pour dire, je l’ai normalisée en lui conférant un sens qui n’est plus anormal ou étrange dans mon intériorité, je sais qu’elle est Même – identique en tant que personne comme moi (altérité) – et non identique car ayant sa propre identité. Je l’ai placée à côté des Autres dont le sens se rapproche le plus d’elle, c’est dans cette idée que je l’ai normalisée – c’est-à-dire je l’ai inscrite dans ma norme intérieure. Mais je sais que malgré ce rapprochement, cette normalisation, Karlita n’est pas une autre Karlita – s’il en existait déjà une dans mon cadre symbolique intérieur, comme je sais que Tremblay rencontré hier n’est pas un autre Tremblay rencontré avant-hier, comme je sais que telle ex qui porte le même prénom que telle autre ex n’est pourtant pas identique, elle n’a pas le même sens, elles n’ont pas la même valeur.

La vérité me semble, Mansour, d’une effrayante simplicité :
nous avons tué Kaïré parce qu’il était différent de nous
et trouvait cela normal.

̶  Boubacar Boris Diop, Les traces de la meute.

La Totalité dans la conception hégélienne tend à dissoudre cette singularité dans le Même (l’identique) en gommant toute la singularité de l’Autre. Ainsi, ici dans ma conception normaliser comme inscription dans la Totalité n’est pas une dissolution de ce qui fait que Karlita ne soit ni moi ni un(e) Autre.  Karlita est Tout Autre tout en étant dans une Totalité de sens semblables. Assimilable à et toute aussi différente à. Pareille et singulière. Quand je finis ce processus (que nous faisons tous, sans en avoir tout le temps conscience), je pose un acte d’attestation qui est le fait de lui reconnaître qu’elle est brillante, elle est singulière en tant que Karlita, je lui reconnais des qualités propres, je la valide, je la confirme dans sa demande de reconnaissance. En posant cet acte public, je fais un geste de communication en rendant ce sens (c’est une communication nécessairement performative), un existant dans l’espace social (car il est désormais accessible dans un de mes travaux de recherche accessible à tout le public), mais aussi puisqu’elle me lit un existant pour elle (sans parler du fait que je le lui ai communiqué verbalement). Karlita était non seulement visible, mais en plus je l’appréciais (dans le sens d’évaluer une valeur, de conférer un sens). Et cette valeur était sociale. Un existant, une reconnaissance. Une visibilité. 

L’invisibilité est donc vécue a posteriori à la connaissance, comme le dirait Honneth « c’est seulement parce que nous possédons une connaissance commune de ces formes positives d’expression dans le cadre de notre seconde nature que nous pouvons voir dans leur absence une marque d’invisibilité et d’humiliation » voire de mépris, de déconsidération. Cette invisibilité, Honneth explique sa source : « À considérer ce qu’on vient de dire, il pourrait sembler que l’acte de reconnaissance est dû à la combinaison de deux éléments : l’identification cognitive et l’expression. Une certaine personne est avant tout connue en tant qu’individu avec des caractéristiques particulières dans une situation particulière, et dans une deuxième étape, cette connaissance reçoit une expression publique en ce que l’existence de la personne perçue est confirmée aux yeux des personnes présentes par des actions, des gestes ou des expressions du visage. » Rendre invisible, c’est l’absence de cette expression qui conforme l’Autre d’abord comme existant ensuite comme singulier et à la fin comme normal. L’expression publique de la reconnaissance peut se faire par un « Wow, t’es beau aujourd’hui ». Ou « T’es vraiment lumineuse ». Ou « Tu as fait un travail remarquable ». Au pire si la personne ne vous plaît pas, dites-le en la respectant, le respect et l’honnêteté sont indissociables pour ne pas porter atteinte à la dignité des gens.

Comme mon éducation Jésuite me l’a enseigné il faut toujours rendre à César ce qui revient à César, qu’importe la tronche de César. Simple expression qui ne coûte franchement rien et qui ne donne pas à l’Autre le sentiment d’être à la fois transparent, inutile, rien. Vous l’avez attendu souvent des Autres, cela peut être un like, un emoji ou que sais-je encore. Et quand vous ne l’avez pas reçu cela vous avez souvent atteint dans votre intégrité. Tout le monde sans exception a un jour vécu cette situation. D’où mon étonnement devant cette façon de snober les Autres, de leur donner le sentiment qu’ils sont des personnes invisibles. 

Le pire, comme je l’ai dit c’est non seulement faire ça (ce qui déjà juste inhumain) mais d’ajouter comme Nancy Fraser le dirait l’insulte à l’injure en se servant de l’Autre frappé par nous d’invisibilité comme moyen pour nos propres fins. C’est immoral, doublement immoral, injuste et inhumain. Karlita sait de quoi je parle, elle l’a vécu et le vit souvent. Comme les Autres. Je pense notamment à Anaïs pour qui j’ai une belle considération, je l’ai dit et écrit, elle le sait, elle n’a jamais été invisible à mes yeux, je ne l’ai jamais snobée, je l’ai reconnue dans ce qu’elle est et ce qu’elle me présentait d’elle. Mais Anaïs a fait une connerie, elle a snobé d’Autres.

Il y a quelques mois, j’ai créé un groupe de partage littéraire, le but c’était que chacun des membres sélectionnés parce que je connaissais leur goût ou leur intérêt pour la littérature (ou toute autre forme d’art) puisse offrir son univers aux Autres, car il y avait là une opportunité de s’imprégner de la diversité.  De s’enrichir du divers. Le but inavoué était que les individus que je connaissais personnellement et qui ne se connaissaient pas souvent entre eux par le partage découvrent les Autres ou osent tout au moins la découverte de l’Autre qui ne sait-on jamais peut nous en apprendre sur nous-même. Quelques rares ont compris le truc, ont beaucoup partagé, les Autres ont dans leur large majorité snobé, frappé d’invisibilité ceux qui faisaient presque don. Cela m’a profondément choqué. Je me suis dit : « Come on, on fait ça pour nous enrichir et non pour se faire la tronche, ou faire les trucs un peu je m’en-foutiste ». J’ai supprimé le groupe. Anaïs m’a écrit peu de temps après la suppression : « Hé ! Je ne suis plus dans le groupe ☹ » J’ai failli lui répondre : « Te te fous de moi right ? » Je n’ en ai rien fait et je lui ai simplement expliquée que le groupe était supprimé, elle a fait « Ah ok ». Depuis, j’ai envie de la supprimer de mes réseaux médias sociaux, mais pas de bol son profil n’est jamais accessible, alors Anaïs si tu me lis, s’il te plaît supprime-moi de tes contacts, et je te souhaite une belle et formidable chance dans la vie. Bises. 

Je veux dire : « Franchement. » Je suppose que c’est la norme de ce siècle. Des nouvelles générations avec qui j’ai quoi cinq ans d’écart ou légèrement plus. Mais, chez moi cette norme pour toutes les raisons susmentionnées n’est ni accpetable ni tolérable, c’est bonnement inhumain et immoral. Je les ai tous supprimés de mes contacts. Et je leur souhaite de vivre heureux dans leur normalité. Goodbye my lovers, goodbye my friends

Les gens, vous savez, vous réduisent à rien, vous êtes inutiles, non-participants, inexistants, et puis ces mêmes personnes se sentent rejetés, blessés, méprisés, dévalorisés, lorsque vous leur rendez la pareille. C’est-à-dire que vous leur faite comprendre que la reconnaissance est d’abord une question de dignité humaine, de valeur de la dignité humaine que l’on se confirme mutuellement. Autrement formulé, quand vous ne leur accordez pas la reconnaissance à laquelle ils s’attendent, parce qu’ils ne vous l’ont pas accordée. Ils se disent : « Il ne m’aime pas, il ne m’estime pas, il me voit comme une merde, etc. » Et ne se demandent jamais : « Qu’ai-je bien pu faire pour ça? »

Sur un autre plan, ils vous font endosser un rôle identitaire qui n’est pas le vôtre mais auquel on vous assigne comme on colle une étiquette ou on vous met en cage. C’est cela la méconnaissance. Méconnaître une personne. C’est un déni de reconnaissance. Et si vous méconnaissez les Autres, bah il est très possible qu’ils vous méconnaissent en retour, question de réciprocité, et c’est reparti pour un tour de connerie d’un type tension bête et stupide, conflit bête et stupide, quiproquos et malentendus, etc. Etc. Etc. Du n’importe quoi auquel nous sommes habitués. Nous méconnaissons, nous sommes méconnus, nous sommes méprisés et nous méprisons, espace social hobbesien, relations interpersonnelles sous tension et de tensions, déchirures et déchirements, crises angoisses anxiétés et véritable foutoir. C’est ainsi que nous construisons La Société du mépris.

Et pas grand monde aujourd’hui ne prend le temps de se poser les questions sur le sens profond de la vie parce que comme Karlita me l’a dit : « J’ai un boulot super occupant » et donc en conséquence « Je suis super occupée », ce à quoi vous voulez leur répondre : « T’sé, moi je dois glander toute la journée devant net-syphillis« . Les gens se réfugient derrière cette « vie super occupée » pour se convaincre et justifier leur léthargie totale, leur unidimensionnalité, je veux dire leur linéarité qui va souvent d’un bout à l’autre de l’encéphalogramme plat. Et quand tu prends le temps de regarder le super boulot occupant qui rend mort-vivant, tu as juste le sourire. Mépris pour mépris. Apocalypse now

Je vous jure il y a des trucs que les gens vous sortent juste pour vous faire croire à quel point s’ils ne s’interrogent jamais sur eux-mêmes, sur les actions, sur leurs attitudes, sur les situations qu’ils vivent, sur leur bonheur, leur joie, leur traumatisme, leurs brèches psychiques, c’est parce qu’ils ont un « boulot occupant ». Quand ce n’est pas en plus d’avoir une famille à gérer. Vous regardez ça, et vous souriez.

Parce que ceux qui vous le disent bien entendu ne savent rien de votre réalité, ils ne savent pas ce que vous faîtes dans la vie, ne savent rien de vos sacrifices et tout ce que vous éliminez de votre propre plaisir pour tenter de donner un sens aux choses, ne savent pas comment vous vous organisez pour vous poser des questions sur le sens supposément profond de la vie, qui n’a rien de profond, c’est juste le sens de la vie.

“Il faut apprendre à philosopher, et non pas la philosophie”

Emmanuel Kant

“Que puis-je connaître? – Que dois-je faire? – Que suis-je permis
d’espérer?

– Emmanuel Kant, Critique de la raison pure.

“Pense par toi-même”

– Emmanuel Kant.

“Deviens ce que tu es”

Nietzsche, Ainsi Parlait
Zarathoustra.

Le sens au-delà de l’ordinaire sens commun du type « avoir un boulot occupant » « baiser comme un film porno en mode repeat sur youporn » « faire la java ou comme on dit au québec le party en longueur de temps » « lâcher son instagram, facebook, et autres réseaux médias sociaux » etc. Le sens de la vie n’a rien de profond, je veux dire il ne s’agit pas de plonger dans les abysses de l’existence, simplement aller au-delà de l’évidence, de la générale banalité des réponses toutes faites qui peuvent ne pas s’appliquer à chaque spécificité (la singularité de nos vies). Aller au-delà du Love Yourself et simplement se demander qu’est ce que cela veut vraiment dire, pourquoi, et en quoi cela m’est applicable. Aller au-delà du mantra, de la pensée mainstream, du convenu, du facile, de l’artificialité. Je vais vous avouer un truc, à caque fois qu’une chose devient mainstream, que ça devient le sens partout matraqué, je trouve cela systématiquement suspect.

Pourquoi? Beh, parce que si je pars du fait que le sens est pluriel comme nos réalités sont diversifiées, si à un moment tous les individus se mettent à meugler la même affaire c’est qu’il y a un problème. Le mainstream est toujours à mes yeux suspect. C’est comme ce truc de populisme et de fake news à toutes les sauces dont on vous gave du matin au soir. La propagation du Selfie, les mêmes têtes partout, etc. Il y a un truc qui cloche, nécessairement. Je veux dire votre gueule n’est pas la mienne, votre cervelle diffère de la mienne, on ne peut juste pas au même moment devenir la même face et penser pareil, ça ne marche pas. Mais, c’est peut-être moi qui suis un peu loca loca – pour dire un peu what the fuck. Possible(s)

Et vous avez ces mêmes gens – qui vous ont dit à quel point ils étaient super occupés – quand vous vous êtes interrogés sur le sens de la vie, que vous l’avez publié, viennent vous poser un million de questions sur le pourquoi du comment de ça et de ceci. Parce qu’ils se sentent seuls, ressentent ce terrible spleen, sont en quête de sens, au bord du gouffre. Après vous avoir fait comprendre à quel point vous n’aviez presque pas de vie ou que vous n’aviez pas leur vie au « boulot super occupant ». Et ils s’étonnent après que vous leur tendiez une corde pour qu’ils aillent se faire pendre.

Les gens n’ont plus aucune curiosité sur leur propre personne, ne prennent plus le temps d’être tout bonnement curieux d’eux-mêmes, ou peut-être n’ont jamais appris ou voulu apprendre à l’être, ou trouve ça moins important que toute cette espèce de vacuité qu’est une existence sans sens menée par des individus sans sens d’eux évoluant dans un monde en perte de sens ou aux mille sens. Vous les regardez et vous ne dites simplement rien. 

D’autres font mieux, ils vous disent à quel point eux sont dans le réel, et que vous par vos curiosités vous êtes dans une sorte de monde aux licornes avec des strings fluo. La real life qu’ils disent, celle de quelques selfies, celui de tinder et autres, celui d’avoir sa tronche sur les panneaux publicitaires, de recevoir le prix du meilleur vendeur de maisons de riches et de le publier dans le journal du quartier voire de la ville, d’être « entrepreneur » (l’avez-vous remarqués comme de nos jours tout le monde est « entrepreneur » ou « propriétaire de son entreprise », c’est le truc hot du moment, ça pousse comme des champignons sur les profils des réseaux médias sociaux, et c’est très hallucinogène), celle d’être le meilleur ci et la meilleure ça, président de ceci, vice-président de cela, avoir sa gueule bien visible et au centre de la photo, avoir des milliers de like, des milliers de followers, être désirable et être désirée, devenir un ou une « influenceuse » (le nouveau truc aussi à la mode, le truc qui selon moi dans notre contemporanéité incarne clairement l’ère du vide lipovetskyen), etc. La real life. On va laisser faire. Mon monde aux licornes avec des strings fluo me suffit, largement. 

D’autres gens vous sortent ceci : « Je ne vais pas prioriser de jaser avec toi alors que je suis pris par le boulot ». Le truc c’est que vous ne leur demandez de le faire, vous leur faites juste parvenir un message. Message qu’ils voient, ne lisent pas pour que vous ne sachiez pas qu’ils l’ont lu. La super priorité du boulot se voit dans une série de photos qu’ils publient sur les réseaux médias sociaux, plusieurs heures plus tard, ils n’ont pas pris la peine de vous envoyer ce simple message : « Désolé, je te reviens plus tard ». Ou « Je ne sais pas trop quoi te répondre ». Ou bien encore un emoji con et bête qui vous fait comprendre qu’au moins vous avez été soit le soleil de leur journée soit la tête de con dans un Dîner de cons.  Vous êtes comme le dirait la mode à l’anglicisation de tout et n’importe quoi : ghoster.  La personne fait le mort comme un fantôme ou vous êtes mort à ses yeux comme un fantôme, en français vieux de France – je sais la langue française n’est plus sexy.

Ghoster, pour dire invisible, une non-existence, je vous dirais une inexistence. Ça c’est violent, ça c’est du mépris, ça c’est intolérable inacceptable inhumain. Je supprime automatiquement ce genre d’attitude. Ne jamais faire aux Autres ce que l’on n’a subi comme souffrance, tout le monde est passé par là, et beaucoup n’ont pas tiré une leçon d’une telle inhumanité. Moi si. Je les mets dans la toilette et je tire juste la chasse d’eau. Qu’ils soient heureux dans leur merde. Sincèrement. Faut pas traiter les Autres comme on ne souhaite pas être traité, aussi simple que ça. Comme je l’ai dit, on peut trouver les manières de faire comprendre des trucs aux gens, mais au moins le dire dans le respect et la considération de l’Autre – c’est-à-dire en se souvenant toutes les fois que l’on a été méprisées, dévalorisées, ghostées. Le monde est un carnage du fait du mépris. La longue histoire de l’humanité est une histoire de mépris, on s’est entre-tués à cause du mépris. On n’a pas reconnu les Autres, on les a méprisés, ça finit en génocides en conflits sanglants en traite négrière en holocauste, etc. Le mépris est inacceptable. 

Il y a quelques jours, une ex collègue belge a hurlé dans une soirée où toute la gang de confrères et consœurs se saoulaient la gueule : « Dave!! J’ai toujours pensé que tu ne m’aimais pas!! » J’étais sous le choc. « Pourquoi? » ai-je demandé. Elle m’a répondu : « Je ne sais… » Cela avait à voir avec mon attitude. J’ai compris ce que j’avais inconsciemment dû lui faire vivre comme souffrance, la souffrance venant d’un déni de reconnaissance. Pourtant, je la trouvais étincelante, aussi humainement qu’intellectuellement. Je l’ai prise dans mes bras, j’ai déposé mes lèvres sur son front, et je lui ai dit à quel point j’étais navré, désolé, et qu’elle devait savoir toute la considération qu’elle me suscitait, je lui ai parlée de toutes ses qualités propres, de tout ce que j’admirais chez elle, et tout ce que sans le savoir sans doute elle m’avait apporté depuis le mois de septembre dernier. On s’est serrés dans nos bras. Je ne lui racontais pas des histoires, je lui disais tout ce qu’elle avait à mes yeux d’unique et que je trouvais extraordinaire parce que je ne l’avais pas. Reconnaître, confirmer l’Autre dans ce qu’il a de plus substantifique. Cela ne coûte rien. Nous avons tous un besoin vital. 

Durant la même soirée, il y a eu un groupe de jeunes filles dans le début de leur vingtaine qui alors que tout le monde faisait gang ensemble se sont constitués un cercle un peu privé à l’écart de tout le reste. Mini club privé dans un truc d’être-ensemble. Dos tournés aux Autres. Je les ai méprisées. Cela m’a fait pensé au mur sud-africain de l’apartheid, cela m’a fait pensé au mur berlinois, cela m’a fait pensé à tous les murs du monde d’inhumanité, et pour moi à mes yeux chacune d’elles était morte. D’où je viens on ne tourne pas le dos aux Autres, c’est l’irrespect ultime. On ne fait pas bande à part dans le collectif, c’est la ségrégation absolue, l’individualisme irrécupérable immoral. C’est un manque de savoir-vivre, un manque d’éducation, c’est proprement impoli. Hier, l’une d’elle m’a envoyé une demande d’ami sur fakebook, je l’ai mise dans les toilettes j’ai tiré la chasse d’eau. Ne jamais faire aux Autres ce que vous n’aimerez pas que l’on vous fasse. Question de reconnaissance, de respect, de dignité, d’humanité, d’humaineté. 

Je n’accepte pas l’indifférence. Vous le savez, j’ai écrit et réfléchit sur l’indifférence ces derniers mois, j’ai écrit et réfléchit sur les rapports humains, et s’il y a une chose une chose que je trouve profondément inhumain ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence. L’indifférence c’est l’au-delà de la haine pour paraphraser Dominique Cupa dans la Revue française de psychanalyse. Cupa le résume brillamment : « Là aussi, il n’y a plus d’identification, de lien, de relation avec l’objet violenté qui n’est plus conçu comme un semblable mais devient l’objet de n’importe quelle destruction, partielle ou totale, sans culpabilité. Ce mouvement qui est au service de la mégalomanie narcissique marque une distance absolue avec l’autre par l’indifférence, l’autre n’étant plus de la même espèce, déraciné de son humanité par un sujet qui ce faisant a perdu son humanité. »

L’indifférence, c’est ainsi la première étape, l’étape initiale comme me l’a enseigné Robert Schwartzwald, cet autre Me Jedi, avant la déshumanisation ou/et l’infrahumanisation. C’est le premier pas, parce que celle de désengagement moral envers l’Autre, vers l’exclusion de l’Autre de la « famille humaine » (en paraphrasant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948). Quand cette étape est franchie le pire ne se fait jamais attendre. Massacres, guerres, esclavages, génocides, anéantissement total de l’Autre. Quand on hait, au moins il y a espoir comme l’a montré le film American History X. Il y a possibilité de renverser la dynamique. Quand on s’indiffère, tout est perdu. L’indifférence c’est la mort. Ce n’est pas ne rien ressentir, c’est sortir l’Autre de son champs moral cognitif émotionnel en tant que quelque chose. L’Autre devient une absence de chose ou une chose que l’on investit cognitivement plus de rien du tout, c’est un encéphalogramme plat. Rien du tout. Vous avez quand on me traite de « Sale nègre » ce qui arrive au quotidien, c’est blessant, très blessant, mais je sais au moins où se situe l’Autre, que pour lui je ne suis pas un encéphalogramme plat, un invisible, j’existe – certes pas comme un Humain comme lui, mais j’existe, et qui sait à force de mains tendues de rapprochements on finira par avoir une lueur d’humanité. Mais, quand on s’indiffère de vous, c’est comme si vous étiez un néant, du néant, du rien du tout. Un vide. C’est inhumain, immoral, intolérable. Je ne l’accepte simplement pas. Vous l’avez vécu dans votre vie, vous ne l’accepterez sans doute pas. 

Quand on fait de l’Autre une indifférence on le renvoie à cet état de choses. Le néant. Karlita me dirait « Ne sois pas trop dramatique », presque très arrogamment. Et je saurai à quel point elle est simplement hors champs de ma réalité. Et que entre elle et moi, comme avec les Autres, ce n’est pas possible. Je les ai tous virés de mon existence. Et c’est irréversible. Je vous l’ai dit, l’indifférence, le déni de reconnaissance, snober l’Autre, ce sont tous des éléments du crime contre l’humanité. C’est philosophique, c’est mon éthique, c’est bien plus cela relève de ma spiritualité.

Récemment, l’enseignante de ma fille l’a ignorée, le matin en la laissant à son école. Je ne l’ai pas supporté, j’ai retiré le jour-même ma Baby boss de cette école. Le soir, la directrice de l’institut privé m’appelait pour discuter des raisons de cette résiliation unilatérale, je lui ai dit : « Mme, j’ai passé mon temps à faire de la recherche universitaire, à réfléchir, et à écrire, sur l’humain, la dignité humaine, sur la reconnaissance, le fait nécessaire de voir l’Autre, et je n’accepterai jamais que quiconque soit frappé d’invisibilité, d’indifférence, votre employée a rendu ma fille invisible ce matin, elle était là et elle n’existait pas à ces yeux comparativement à d’autres enfants, ce n’est pas acceptable. » La dame a mesuré l’importance de l’affaire, nous avons discuté, elle m’a expliqué le pourquoi du comment de l’incident qui en fait n’en était pas un. C’était simplement un malentendu, une question de communication. Je n’étais pas au courant du contexte, de la situation, ni du pourquoi de la situation, nous nous étions pas parlés, nous avons fait chacun une interprétation fausse à partir de perceptions fausses, ce qui a mené au drame.

La communication, c’est la base de tout, de tout rapport humain, la communication dit que les interlocuteurs sont en processus d’échange, et qu’ils souhaitent s’en doute se faire comprendre. Communiquer, ce n’est pas informer, communiquer c’est attendre une validation de réception de sens. Cela demande de l’ajustement, d’un minimum de partage de vocabulaire, d’une base et des compétences à dire ou à comprendre. Mais, la communication avant tout c’est un possible, alors que sans communication le possible n’est pas, c’est le néant. L’indifférence est une impossibilité de communication, le néant. Le lendemain, ma fille retournait à l’école, j’ai eu une autre conversation avec la directrice et son enseignante, nous avons ri, beaucoup ri, nous nous sommes fait la bise, le monde s’en est porté beaucoup mieux.

Hier, Karlita m’a dit « Je ne te réponds pas tu capotes ». Ce n’est pas ça le problème, cette réponse est trop facile, le problème c’est que lorsque l’on s’adresse à quelqu’un la moindre des choses c’est de dire « Attends, je suis occupé, je te reviens stp ». C’est la moindre des politesses. C’est le minimum du savoir-vivre. Je le fais, et toutes les personnes qui me connaissent savent que quand je ne peux répondre dans l’immédiat je le fais savoir – à moins d’être dans la véritable incapacité de le faire (ce qui signifie que je ne poste de selfie de moi sur les réseaux médias sociaux, ou que je ne sois pas entrain de liker des trucs), jamais je ne laisse une parole adressée lettre morte – surtout si elle m’est directement adressée. Ceux d’entre vous qui me connaissez dans la vie le savez. Je suis toujours présent, même si la réponse n’est pas agréable, vous ne m’êtes pas invisibles. Je n’apprécierais pas le contraire et les Autres sont comme moi. Alors, non je ne capote c’est juste chez moi insultant, méprisant. Communiquer, ou ne le faites pas, c’est votre choix, mais les Autres aussi sont comme vous ils sont libres de faire un choix à la suite du vôtre, dans les actualités internationales cela se lit en missiles et autres boucheries. Les diplomates le savent, on le leur apprend à l’école (merci pour cela Yvonne, très chère de m’avoir instruit sur le sujet) : tant que la ligne de communication est ouverte, tout es possible, la paix est possible. C’est aussi simple et compliqué que ça. Qu’est-ce qui ne l’est pas? 

Hier, Karlita m’a dit à quel point elle avait énormément de boulot et qu’elle ne pouvait pas « prioriser » celui-ci pour « discuter et discuter sur le sens profond de la vie ». J’ai fait « Ouch. » Premièrement, parce que je n’ai jamais discuté avec elle du sens profond de la vie, et toutes les personnes avec qui je discute, à part bien sûr Rose et spécialement Dorothée, il n’est pas question de cette connerie ou que sais-je encore. Karlita racontait n’importe quoi, car je n’ai jamais eu à avoir ce type de conversation avec elle. Et lorsque nous avons parlé de la vie, l’on a parlé d’elle, de ses peurs, ses souffrances, sa fragilité, elle se confiait et je la recueillais, je la reconnaissais, je lui donnais comme Goffman dirait la face. J’ai trouvé cela condescendant, et je comprenais que c’était une contre-offense à un offense de ma part. Je lui ai présentée mes excuses. Les excuses ne sont pas rien, elles disent la reconnaissance de la faute, la reconnaissance de la victime, la reconnaissance de la souffrance de la victime, et la volonté de reparer et rendre possible pour l’Autre la guérison. Antjie Krog dans La Douleur des mots l’a montré l’importance des excuses, de l’aveu de ses torts, quand l’on a atteint l’Autre dans sa dignité. Seul l’aveu de ses torts, de la faute, l’engagement dans un processus de redemtion peut éventuellement permettre le pardon. Comme Jacques Derrida l’a un jour dit en reprenant les paroles d’une victime de l’apartheid sud-africaine : Personne ne peut pardonner à ma place, personne ne peut m’imposer le pardon.

C’est à la victime de faire le choix du pardon, de trouver la meilleur façon pour elle ou celle dont elle a les moyens de parvenir jusqu’au pardon. Et quelques fois, la victime ne pardonne pas. Et elle a ses raisons que personne ne peut vraiment comprendre puisque personne n’a vécu sa souffrance. La souffrance est quelque chose de très intime, elle n’est pas transposable chez une autre. Elle n’est pas comparable, et c’est même absurde de le faire. Faut juste l’accepter et faire ce qu’elle attend de nous, l’accueillir dans sa souffrance. Le propos n’est pas de moi, c’est une de Me Jedi en victimologie qui me l’a enseigné un jour, il y a quoi trois millions d’années. Cette Me Jedi m’a initié à la justice réparatrice, la justice qui répare, la justice qui permet la guérison, je n’ai plus été moi-même après cette initiation. 

Hier, j’ai écarté l’indifférence, l’invisibilité, l’absence de reconnaissance et le dénis de reconnaissance de mes contacts, Nesra qui la première fois que je lui ai parlée m’a dit tant de mal du Danemark et qui dit souvent tant de mal des Autres, qui les juge impitoyablement alors qu’elle même est une traumatisée des souffrances infligées par d’Autres, elle n’a pas tiré les leçons de ses déchirures, Nesra et tous les Autres éliminés évacués, c’est brutal peut-être, mais ce que nous faisons est aussi brutal pour les Autres, à un moment, faut juste essayer de se mettre à la place des Autres, de leur donner ce que l’on espère recevoir souvent d’autrui, de les considérer comme on souhaite être considéré.

Et je vous le dis sincèrement un monde meilleur commence par ça. La reconnaissance, l’estime de l’Autre qui rend possible l’estime de soi, la réalisation de soi, la justice, comme Jean-Luc Nancy dans son article « L’être-avec de l’être-là » dirait l’être-avec qui n’a rien à voir avec l’être-à-côté :

« « Avec » est insignifiant et même non-signifiant. Que ce verre soit sur cette table avec ce crayon n’établit entre le verre et le crayon aucune espèce de rapport. Que je sois dans le bus avec une Africaine elle-même montée avec ses deux enfants n’engage aucune relation entre nous. Que toutes les galaxies de l’univers, ou bien tous les univers du multivers soient les unes ou les uns avec les unes ou les autres (sans que, peut-être, on puisse même dire dans quel autre ensemble supérieur ils seraient enveloppés) ne donne pas de sens particulier à cette co-existence. […]

L’« avec » est régi par deux grands principes – ou bien il met en place deux coordonnées essentielles. D’une part, la multiplicité, d’autre part le proche et le lointain. […] La multiplicité est inhérente à l’avec, puisque une chose unique ne saurait être avec aucune autre chose. Mais il n’y a pas de chose unique, puisque « l’un est sa propre négation » comme le dit Hegel. Une chose unique ne pourrait pas être dans un monde, ni faire un monde. […] « Avec » ne peut pas être simplement limité à une coprésence en extériorité mais implique que le « co » de cette coprésence engage de lui-même ce que le français nomme « partage » – terme qui désigne une division avec communication ou bien sous règle de communication : « partager un repas » ce n’est pas seulement le répartir en portions individuelles mais c’est, comme on le dit aussi, « le prendre en commun » c’est-à-dire échanger quelque chose de l’apaisement de la faim et du plaisir des saveurs.

[…] Le sens d’« être » en effet ne peut pas être limité au sens de l’exister humain. Être appartient à tout ce qui est – ou plutôt, être n’est pas une qualité ou propriété de ce qui est (Kant le disait déjà) mais rien d’autre que le fait d’être d’un étant quel qu’il soit. Ce fait est antérieur à toute espèce de qualité ou de détermination. Il est, pour le dire avec Kant, la simple position de cet étant dans le réel (étant entendu que le réel n’est pas un milieu dans lequel on viendrait poser quelque chose mais l’effectivité du « poser » lui-même). Or ce que nous avons dit jusqu’ici montre que « poser » ne peut consister, en tout état de cause, qu’à « poser avec ». Une chose unique, avons-nous dit, ne peut pas se poser sans se déposer immédiatement. La position même lui est impossible et étrangère, aussi bien au sens de « position par rapport à une autre position » (ou « situation ») qu’au sens de « action de poser », « mise en place » ou encore « déposition ».

[…] Le fait d’« être » et le fait que « être » ne soit que ce fait, et rien d’autre – le fait, donc, que « être » n’est pas ou n’est rien – cette factualité absolue derrière laquelle ne se trouve aucun autre absolu se trouve dans une corrélation elle-même absolue avec la factualité de l’« avec ». Il y a des choses – et non une chose – et ces choses sont les unes avec les autres. L’espace commun de leur « être-avec » est le monde. Mais cet espace commun n’est pas un réceptacle préexistant à la position des étants : il naît au contraire de cette position. Celle-ci est juxta-position, c’est-à-dire position les uns à côté des autres, et dis-position, c’est-à-dire position à l’écart les uns des autres. La corrélation du juxta et du dis donne la juste mesure de l’« avec » : espacement et proximité. Dans le monde, comme on dit (mais il n’y a pas de « dedans » ou ce « dedans » est entièrement formé par l’être-en-dehors-les-uns-des-autres de tous les étants), tout est espacé et proche. » 

Mais, Karlita me dirait comme les Autres que c’est le sens profond de la vie. Que la vie est un boulot trop occupant, une recherche universitaire (je comprends, la première fois je l’ai faite j’avais à peine plus de vingt ans, je sais ce que cela est éprouvant, mais à mon époque les réseaux médias sociaux étaient comme un épisode de Retour vers le futur), ou des rêves à poursuivre. Je ne lui dirai rien comme je l’ai fait avec les Autres. Je ne lui dirai pas que sans le sens de la vie les rêves n’ont aucun sens. Je la laisserai comme les Autres déballer son présentoir, montrer à quel point elle est quelque chose dans le sens le plus monde (post)moderne du terme, je ne lui rappellerai pas qu’elle peut oser être autre chose qu’une déclaration d’amour pour les livres et l’écriture (vous n’avez pas à dire que vous aimez les livres, si vous êtes amoureux des livres et des mots les Autres le seront bien assez tôt et bien assez vite – à moins de vouloir faire passer un message à un destinataire précis si c’est le cas mea culpa il faut bien se vendre du mieux que l’on peut et j’en sais quelque chose moi pute nymphomane et dealer de cock, le dire c’est à la fois factice dans le sens le plus UnReal du terme et un peu beaucoup fatuité). Mais, Karlita me répondrait : « Ce n’est pas vrai ». Je ferai silence. Comme avec les Autres. Toujours respecter la réalité des Autres. Bien naturellement, la mienne comprise.

Hier, j’ai mis Karlita dans les toilettes et j’ai tiré la chasse d’eau. Un Goodbye my lover, goodbye my friend. Sans possibilité de retour. Flushé c’est flushé. Loi du Talion. Borgnes, aveugles, édentés. Le bruit avait les sonorités de Gaza et des autres mouroirs d’inhumanité. Inhumain comme un humain, je suis comme vous. Je fais contre-offense à l’offense, je fais mépris contre mépris, indifférence contre indifférence, souffrance contre souffrance. Cercle vicieux, cercle infernal, cercles de l’enfer. Je ne suis qu’un Humain comme vous. Et je n’insisterai pas ou ne me ferai plus insistant, sur ce point. Plus rien à branler, pour vous dire vrai. 

En vous souhaitant comme l’a chanté Sinsemilia : Tout le bonheur du monde. Pour dire, Goodbye my lover, goodbye my friend

Bande sonore : Tout le bonheur du monde – Sinsemilia.

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