Furie

Bande sonore : Newen Afrobeat feat. Seun Kuti & Cheick Tidiane Seck – Opposite People (Fela Kuti).

 

Qu’est-ce qui te plaît le plus chez moi ?

Sans réfléchir ?.. Ton cul..

Ah !

Mais la réponse est évolutive..

Toi t’es un comique hein ?..

Heu, mouais, cela dépend du couillon en face de moi.

Comment ça ?..

Hum, t’sé il y a différents genres de couillons, le terme pour le coup est générique.

C’est quoi un terme générique ??

Ah.. Euh.. Beh comment dire ça.. Un fourre-tout… Un peu bazar… Très bisexué et autogame. Je te dirais même hermaphrodite. Le masculin et le féminisme ensemble, aux accords grammaticaux testiculaires. Le meilleur des mondes quoi. Les pussyriots et autres Pussylluminati ne conviendraient avec moi, c’est pas progressiste. Mais cela évite les nouvelles dénominations et orthographes catastrophiques du type : « couillon-e-s », avec cette voyelle détachée comme un membre amputé et coincée entre les dents telle une salade, cette chose au milieu d’une atroce fragmentation, faut dire, c’est à la fois épouvantable à entendre que moche à voir, sans parler de la bêtise qu’elles représentent. Bon, le terme générique préserve de cette torture, imagines-tu seulement de lire ou d’écouter prononcer « couillon-e-s », « droits humain-e-s », ou « droit des anim-a-ux-les » – parce qu’au rythme où c’est parti dans les jours prochains quelques hystériques nous feront comprendre que « un animal » c’est discriminatoire, sexiste, patriarcal et que sais-je encore, donc faudra désormais dire « une animale », « une chevale » – pourquoi dire « une jument » changer de terme pour désigner le féminin hein ? C’est d’une violence et d’un apartheid inouïs, alors « une chevale » égalitaire et inclusive ! Au pluriel, l’accord sera « cheva-ux-les », et encore il est possible que le Québec, cet irréductible village gaulois aux mœurs yankee, oppose son veto à « Chevaux » ; tu le sais ici les gens ont de la misère à comprendre pourquoi faudrait mettre des veaux dans les « Chevals », cela n’a aucun sens. Je suis d’accord, vu comme ça, c’est bien le mélange des genres, bien beau l’interculturalisme version assimilation intégrale d’une catégorie dans l’autre ou le multiculturalisme ghettoïsé, mais ne faut tout de même pas charrier dans les bégonias, il y a des limites. Du veau dans les « Chevals », c’est clairement abusé. Comprends-tu ?

Heu.. Pour dire vrai, non.. C’est un peu tiré par les cheveux, tu mélanges bien des affaires ! 

(Sourire du mec absolument ravi et con sans-pince rire) Pas grave. Ça arrive tout le temps.

Tu m’étonnes.. (Les cils kilométriques de Jenny lèvent vers les cieux, un soupir « What The Fuck » aussi puissant qu’un ouragan dans les Caraïbes se fait entendre, ses lèvres se tordent comme un cul de poule, dans sa tête il y a des réflexions « existentielles » comme le dirait Claudia – dont la situation « Emploi » sur Facebook indique fièrement « Maman en temps plein », ce qui de nos jours n’est pas très féministe, montréalaise exilée à la campagne et des boules telles des ogives nucléaires : « C’est vraiment moi ça me taper des connards pareils », « Heureusement qu’il ne baise pas comme il cause », « Je le préfère encore quand il ronfle », « Il est tellement chiant et sans intérêt, merde quoi! », etc.)

Alors, tu as aimé ta nuit ? (Sourire pornstar à la Rocco Sifriedi après une scène hardcore)

(Jenny rougit, lâche ses errances philosophiques, revient au sujet de conversation centrale d’un vagin et d’un phallus en mode pseudo conversationnel) Pas mal… (Elle pèse ses mots, une provocation que trahit ses cuisses qui se referment brusquement et sa langue se baladant sur ses lèvres)

La prochaine fois, on passera à la vitesse supérieure, j’appelle ça « La Furie ».

(Jenny serrent plus les cuisses, là d’où je suis, je peux sentir la chaleur de fournaise que ne retient plus suffisamment son string noir-rose, et qui met son clitoris dans tous ses états) Oh, Hmm, et « La furie » c’est…??

Ce soir, tu verras bien.. (clin d’œil taquin et sourire « I’m Gonna Fuck You So Hard »)

Oki.. Hmm.. J’ai hâte.. (Sourire « Yeah Daddy Fuck Me So Hard » et noyade vaginale dans des eaux en feu).

Jenny est arrivée bien avant l’heure. J’étais en retard. Pour ne rien changer. Elle attendait dans le café près de l’appartement qui me sert accessoirement de baisodrome. Lorsque je l’ai retrouvée, elle prenait une photo de son breuvage, « Pour mon compte InstaPix » m’a-t-elle rassuré. Je ne l’ai pas été. Mais au fond cela m’importait peu, Jenny je ne l’épouserai pas, ne lui ferai pas d’enfant, entre nous deux le contrat est limpide avec des clauses conventionnelles sans ambiguïté :

 

Les parties consentantes s’engagent à :

Article 1 : Baiser.

Article 2 : Un coït d’une fréquence de deux (2) à trois (3) fois par semaine, conformément aux normes sociales en vigueur, à moins d’un cas de force majeure.

Article 3 : Augmenter la fréquence du coït si besoin se fait sentir, en tout temps, par simple avis envoyé au cocontractant, ce dernier est réputé y avoir consenti s’il échoue à s’y opposer de façon expresse.

Article 4 : Résilier unilatéralement cet engagement pour cause légitime et à contretemps, sans préjudice, en informant le cocontractant, dans un délai raisonnable, par simple avis.

Article 5 : Renouveler automatiquement les termes de cet accord après chaque coït, sauf avis explicite contraire d’une des parties.

Article 6 : Reconnaître par les présentes que les parties ne jouissent sur l’une comme sur l’autre, d’aucun droit de propriété et d’exclusivité. Aucune reddition de compte ne saurait découler de cet accord, aucune obligation matrimoniale de quelque sorte que ce soit ne serait fondée, aucune exigence d’une nature autre que celle faisant l’objet du présent engagement ne saurait être acceptable ou considérée.

Article 7 : Accepter qu’en cas de litige, apparent ou manifeste, sur les articles susmentionnés, ou sur tout autre aspect de cet engagement, le contrat prenne immédiatement fin, sans préjudice.

 

Que Jenny aime prendre des photographies de son café StarGoats pour les exhiber sur les réseaux sociaux, n’était donc pas de nature à violer la lettre et l’esprit de notre convention. Elle pouvait bien être folle, narcissique, nombriliste, superficielle, un peu vulgaire, que je n’en avais cure. La super jeune avocate de l’un des cabinets les plus en vue de la métropole montréalaise, classé parmi les premiers sur les Top-List annuels des revues spécialisées et leader du marché de l’optimisation fiscale pesant une bagatelle de cent milliards de dollars, au bas mot. Un marché en croissance exponentielle. Jenny est l’une des étoiles montantes de son secteur d’activité. Plusieurs articles juridiques sur les mécanismes d’évitement « légal » du « racket fiscal » publiés qui lui ont valu le « Bravissimo ! » de ses pairs, de nombreux litiges gagnés à son actif tout en n’ayant jamais plaidé devant un juge – « Une série record ! » d’après les experts et confirmée par l’intéressée, « Je déteste perdre ! ». Jenny est une machine de guerre dotée d’une intelligence hallucinante. C’est ce qui la rend à mes yeux aussi fuckable. Même si elle ignore ce qu’est un terme générique. Au Québec, comme chez les autres, on peut être brillant et ne pas avoir le vocabulaire ni la culture qui va souvent avec. Le plus important et essentiel est ailleurs. Du moins, c’est l’histoire que l’on se raconte.

Les amabilités d’usage passées, « Ta journée ? », « Bien. Et toi ? », nous allons à mon appartement. Son style est ancien. Inspiré de ce qu’il se faisait de gothique classique à une époque lointaine, au « Siècle des cathédrales ». Ceux d’entre vous qui sont des familiers de la touche ogivale savent qu’elle est foncièrement barbare, comparativement aux canons esthétiques célébrés préservant « la noblesse des beaux-arts ». Molière, l’auteur reconnu et plagiaire émérite de Fables légendaires, dans son poème La Gloire du Val-de-Grâce d’une raillerie implacable, disait dans un lyrisme rugissant tout le mal que lui inspirait ce béotisme :

 

Tout s’y voyant tiré d’un vaste fonds d’esprit,

Assaisonné du sel de nos grâces antiques,

Et non du fade goût des ornements gothiques :

Ces monstres odieux des siècles ignorants,

Que de la barbarie ont produits les torrents ;

Quand leur cours inondant presque toute la terre,

Fit à la politesse une mortelle guerre,

Et de la grande Rome abattant les remparts,

Vint avec son empire, étouffer les beaux-arts.

 

Voltaire, l’une des grandes figures littéraires et philosophiques de la tolérance, quant à lui, dans le Dictionnaire des arts du dessin en 1838, la qualifie de « bassesse ». Le style gothique, cette « lourde et grossière architecture des Goths ». Même les plus grands esprits de cette nature peuvent considérer l’ouverture comme une fracture du crâne. Il ne faut pas trop leur en demander.

Jenny, elle aussi. Elle trouve « Spécial » l’appartement. Dans le Dictionnaire québécois de la langue, « Spécial » est un euphémisme d’une politesse de velours. Un peu comme l’intonation québécoise. Invariablement de velours. Colérique, extatique, chialeuse, grincheuse, en amour. De velours. « Spécial » est donc tout en douceur. Le duveteux terme est générique, il a du moche, du très moche, du bizarre, du très bizarre, de l’incompris, du « What The Hell ! », du dégueulasse qui ne veut l’assumer en le disant, du « Je n’aime pas ! » qui se retient de le crier haut et fort, du contact avec la nouveauté entre l’indicible, la surprise, l’étonnement, et l’opinion pas encore totalement définitive. Un bazar. Jenny prononce « Spécial » et la sonorité est arc-boutée comme une œuvre architecturale, du Francesco Borromini à l’ouïe. Cela change des Parisiennes avec leur déclamation en pics qui saignent les tympans. Quand les Parisiennes, le terme est générique – masculin et féminin et trait d’union – parlent c’est une guerre qui s’entend, l’interlocuteur étranger pense à juste titre qu’il est ce fameux « sang impur » qui abreuvera les sillons parce qu’il a été accusé bien malgré lui d’être venu « égorger » les fils et les compagnes. Les Parisiennes version audio, ce n’est pas l’Hymne à l’amour, c’est « Aux armes citoyens ! ».

Jenny s’offre une visite guidée de l’appartement. Elle est rapide, comme celle des agences touristiques low-cost, « Juste pour dire que l’on a vu, on y a été, et pour la photo souvenir » du côté du touriste-consumériste, « Juste pour maximiser le profit à moindre frais » du côté de l’agence. Sauf que ma préoccupation n’est pas le fric, ni la photo, c’est le cul. Question de respect du contrat. Jenny semble d’accord avec moi. Arrivés dans la chambre du maître, elle trouve le lit beau, ne demande pas à le tester, le teste. Son petit corps qui ravirait tout bon esthète rebondit sur le matelas. La synchronisation lit-body effectuée, je rejoins ma doucereuse voix. Je l’embrasse. Elle commence à me dévorer. Sa langue fouille de fond en comble ma cavité buccale, plonge jusqu’aux amygdales, et m’aspire. Ses mains me dévêtissent avec une surexcitation qui n’épargne pas mes boutons de chemise, « Fais-moi connaître La Furie ! ».

J’ai baisé Jenny d’une manière moralement inconcevable. La seule qui vaille. Entre le cunnilingus avec ses caresses clitoridiennes pendant qu’un de mes doigts pénétrait son orifice vaginal et que l’autre explorait son œil de bronze, pratiquant simultanément une double stimulation, la position chienne ou doggystyle laissant apprécier le galbe de ses fesses magnifiques – ces incroyables amortisseurs permettant à mes coups de reins rageurs de mieux enfoncer mon phallus spéléologue jusqu’à ses tréfonds, l’assaut flibustier de ma verge mettant à sac son anus ferme et délicatement dilaté, ses cheveux agrippés par mes mains dompteuses comme un cowboy pliant sous sa volonté une jument sauvage, les baffes d’une violence sadomasochiste sur sa croupe offerte telle une offrande sacrificielle tandis que le rythme walkyrie d’une cadence wagnérienne allait crescendo – ne baissant jamais ainsi d’intensité, le kamasutra revisité et corrigé par l’imagination déchaînée et défiant toutes les lois physiques et pratiques gymnastiques connues, sa bouche massant mes testicules énormes et les mordant telle une Ève amatrice de pommes et libérée du Paradis, sa langue gloutonne bouffant sans se faire supplier et sans gêne mon trou de balle après avoir pomper diablesse de son état le caducée divin – et avalant dans un grand final chaque goutte crémeuse qui s’y échappait, son corps accroupi sous une douche chaude d’urine déversée en hectolitres telle les chutes du Niagara, et les séismes qui n’ont eu de cesse de la traverser provoquant plusieurs petites morts, Jenny a reçu la baise de sa vie. Jenny a connu La Furie. Ses morsures, son corps mutilé, le plaisir délié, son absence de limites, et une jouissance sans retenue.

Hier, j’ai reçu un avis de résiliation unilatérale de la part de Jenny. Un message-texte claire, univoque :

Salut toé, j’ai vraiment aimé passer du temps ensemble. La Furie, c’était quelque chose… J’ai adoré… Je dois malheureusement y mettre fin. Je vais me remettre avec le père de mon enfant. C’est sérieux. Faque on ne se verra plus. Bye.

 

Dans les normes contractuelles. Impeccable. C’est ce que j’aime chez elle. 

 

Bande sonore : Trio Da Kali and Kronos Quartet – Eh Ya Ye.

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