Ce billet est une analyse méthodologique de l’article « Political Parties and Foreign Aid » de Jean-Philippe Thérien et Alain Noël, publié dans The American Political Science Review, Vol. 94, No. 1 (Mar., 2000), pp. 151-162. L’article en lui-même est un travail méthodologique classique dont la recherche (scientifique) s’inscrit dans la pure tradition positiviste. Ici, il est compris par positiviste le modèle éponyme structuré de la façon suivante : la mise en contexte, la question de recherche, l’état de la question et les lacunes inhérentes, le cadre théorique, l’hypothèse, et la vérification. Ce billet se fera à partir de cette structure.
Mise en contexte
La réflexion de Thérien et de Noël se situe dans le contexte international de la mondialisation. Plus précisément, au moment où les Nations Unies définissent les Objectifs du Millénaire pour le Développement visant à réduire de moitié la pauvreté, les inégalités sociales, dans le monde[1]. C’est dans cet environnement d’effort global en faveur de l’aide au développement international que Thérien et Noël mènent leur recherche. Ils veulent comprendre les raisons pour lesquelles les pays de l’OCDE[2][3] peuvent diminuer ou augmenter leur contribution à l’aide étrangère.
La question de recherche
Dès lors, la question de recherche est de savoir si la situation domestique (sociopolitique) propre à un pays influe sur sa politique d’aide étrangère. Autrement dit, est-ce que l’appartenance idéologique (gauche/droite) des partis politiques exerçant le pouvoir a-t-elle une influence significative sur l’aide internationale; y-a-t-il une interrelation entre les deux réalités, si oui quelle est sa nature et ses facteurs constitutifs?
État de la recherche
Même si les auteurs ne font pas un état de recherche à proprement parlé, il n’en demeure pas moins qu’ils constatent que la littérature (scientifique) sur cette question ne permet pas d’en arriver à une réponse satisfaisante, ou une étude concluante. Des lacunes notables dans les approches qualitatives et quantitatives mettent en contradiction les différentes données explicatives, mais surtout tendent à ne pas prendre en considération l’impact de la durée au pouvoir des partis politiques sur l’aide internationale. De telle sorte que les variations observées dans les politiques d’aide étrangère sont davantage le résultat d’une mise en place dans le temps d’un système interne de valeurs idéologiques bien plus que la simple identité politique, ce que l’approche qualitative ne tient pas compte et que l’approche quantitative n’offre pas un modèle d’analyse dénué de carences. Il s’agit dès lors de décloisonner et de les concilier.
Cadre théorique
L’intention de Thérien et Noël est de briser la frontière entre le comportement des partis politiques et le comportement étatique afin de prouver qu’il n’y a pas dans le domaine de l’aide internationale une étanchéité absolue. Pour ce faire, leur ancrage est en politique comparée, et leur cadre théorique est institutionnaliste en même temps qu’historique. Cette innovation théorique comme nous le verrons plus loin est perceptible dans la formulation de l’hypothèse.
Hypothèse
Comment peut-on expliquer les différences de contribution à l’aide internationale entre les pays de l’OCDE? Pour les auteurs, ce sont les valeurs idéologiques couplées à l’exercice du pouvoir dans le long terme qui les explique. C’est leur hypothèse de recherche. Autrement dit, plus un gouvernement s’enracine idéologiquement à gauche, est socialement dépensier et qu’il exerce le pouvoir dans une longue durée, plus il tend à bonifier son aide internationale.
Comment mesurer les valeurs idéologiques et en quoi la durée au pouvoir est-elle importante? L’État providence dans cet article sert de mesure des attributs de gauche. La durée au pouvoir importe parce qu’elle tend à mesurer l’influence d’un parti politique sur l’organisation du jeu politique interne et l’effectivité des politiques sociales. Dès lors, la variable indépendante est l’État providence renforcée par des politiques sociales de longue durée (redistribution de la richesse, solidarité, appui aux couches sociales vulnérables, etc.), la variable dépendante est l’aide internationale puisque c’est elle qui est affectée.
Ainsi, un État (structurellement) généreux à l’interne le sera à l’externe, les valeurs idéologiques institutionnalisées et maintenues dans le temps impacteront sa politique d’aide internationale. Cette vision profondément constructiviste permet aux auteurs de briser les frontières interdisciplinaires (de la politique comparée et des relations internationales).
L’hypothèse nulle ici est que ce sont les partis politiques d’obédience religieuse (les partis chrétiens par exemple) et les dépenses sociales qui permettent d’expliquer les contributions positives à l’aide internationale. La variable indépendante étant le degré élevé de dépenses sociales, la variable dépendante l’aide internationale. En d’autres mots, plus un gouvernement de longue durée (imprégné de convictions religieuses) sans nécessairement institutionnaliser l’État providence a tendance à favoriser les dépenses sociales (comme une obligation morale de solidarité – chrétienne), plus il est enclin à augmenter son aide internationale. Dans les deux cas, la variable dépendante est mesurée grâce aux données de l’OCDE.
Vérification
Vérifier, c’est valider ou invalider les hypothèses. Pour y parvenir, les auteurs utilisent un modèle statistique de traitement de données – LISREL (modèle structurel d’équation); cette analyse essentiellement quantitative leur permet de valider l’hypothèse de recherche et d’invalider la nulle. Les exceptions relevées sont expliquées par l’approche qualitative. De telle sorte que cette hypothèse validée peut être généralisée et servir de modèle théorique susceptible de faciliter la compréhension, d’expliquer le phénomène, et de prédire les comportements étatiques pour ce qui est de l’aide internationale.
En somme, Thérien et Noël par une ontologie constructiviste et par une méthodologie positiviste proposent une nouvelle manière d’évaluer la part significative de la partisanerie politique sur les orientations étatiques en matière d’aide internationale. Cette proposition permet de résoudre les lacunes des approches qualitatives et quantitatives, sans toutefois dépasser le débat théorique sur la question. En effet, il est important d’observer ce qui se passe sur le plan domestique (d’examiner la conversation politique et sociale interne, d’observer l’institutionnalisation interne de certaines valeurs idéologiques) pour comprendre la réalité internationale d’un pays. C’est donc la prédominance de certains idéaux au sein du gouvernement combiné à l’influence politique durable d’un parti politique qui explique le mieux le comportement international étatique.
[1] Jean-Michel Severino, « Vers des objectifs mondiaux pour la globalisation », CERISCOPE Pauvreté, 2012, URL : http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part1/vers-les-objectifs-mondiaux-pour-la-globalisation-?page=show
[2] « La mission de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est de promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde. », http://www.oecd.org/fr/apropos/
[3] L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)