Ce billet est une présentation orale faite récemment sur la problématique de la diversité culturelle et du droit international devant un parterre d’internationalistes et universitaires. J’ai voulu la mettre à la disposition des curieux afin qu’elle puisse éventuellement leur être utile. Je n’ai absolument aucun problème si le public que vous êtes en fait usage, ma seule condition est double : référer à ce blogue (à son auteur) et l’utiliser pour le bien-être collectif. Le reste vous appartient.
La suite de cette présentation est téléchargeable en fichier PDF à la fin de ce billet.
Introduction
Il faut de tout pour faire un monde, des beaux et des moches, des pas fun et des lol, des likes et des why nobody loves me, des Famous et des Anonymous, des hot et des WTF !, des crises et des banquiers, des pure laine et des Made in Ailleurs, des Barbares et des Civilisés, des ceux qui parlent le grec et des ceux qui parlent emoji, bref il faut de tout pour faire un monde.
La pluralité ébranle, elle peut être conflictuelle, elle peut rassurer en permettant la comparaison, elle peut déclencher une remise en question toujours par la comparaison, elle peut inspirer. La pluralité est une source de connaissance, une opportunité d’enrichissement, une chance de découverte, une curiosité qui peut permettre d’évoluer. La pluralité est en ce sens une (possible) richesse. Avoir autour de soi, des gens dissemblables ou des choses différentes ne laissent jamais indifférent, et ça c’est une bonne nouvelle cela signifie que l’on n’est toujours vivant.
Je vais parler dans cette (longue) réflexion (et présentation) du vivant. De ce qui existe et de ce qui lutte pour ne pas cesser d’exister. Pour ne pas disparaître. Je vais parler de diversité culturelle.
Plurivoques et polysémiques, les notions de diversité et de culture sont en termes de sens une véritable auberge espagnole, un party de significations, dans ce billet malheureusement le party n’est pas à l’ordre du jour. Nous allons chercher et trouver un cadre conceptuel compréhensible pour tous et pertinent par rapport au droit international. Ce sera notre porte d’entrée.
Ensuite, nous allons nous demander pourquoi il est apparu si important de mettre en place un régime juridique international de la diversité culturelle, quelles sont les facteurs qui ont poussé à cette édification et dans quelles conditions s’est-elle faite. Nous verrons les origines d’une formulation de la diversité culturelle dans le droit international, l’évolution du concept à travers l’histoire récente et de façon simultanée la création d’instruments juridiques comme produits d’un contexte international particulier.
Puis, dans un troisième temps et final, nous allons avoir une conversation sur la problématique contemporaine de la diversité culturelle. En d’autres mots, où en est-on, quelle est son actualité, quel est le débat, quel est l’enjeu prédominant de l’heure, et quelles perspectives d’avenir ?
Problématique
Comment le droit international favorise-t-il et protège-t-il les identités culturelles ainsi que le dialogue interculturel?
○ Quels sont les apports du droit de l’UNESCO relatif aux expressions culturelles (perspective du protectionnisme économique – avec une forte teneur commerciale)?
○ Quels sont les apports du droit international des droits de la personne (perspective des droits culturels – sous la double approche dignité humaine et démocratie)?
Pourquoi protéger et promouvoir chaque singularité identitaire tant individuelle que collective?
Pourquoi la “diversité culturelle” est-elle une question si importante qu’il faille élaborer un régime juridique international protecteur?
En quoi consiste cette protection? Quels objectifs principaux visent-elle? Quelle est la situation qui légitime cette action impérative?
Cadre conceptuel
Qu’est-ce que la diversité culturelle?
“Article 4 – Définitions
Aux fins de la présente Convention, il est entendu que :
1. Diversité culturelle
« Diversité culturelle » renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux.
La diversité culturelle se manifeste non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l’humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés. – Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (adoptée le 20 octobre 2005, entrée en vigueur le 18 mars 2007. La Convention est un instrument juridique international contraignant.
Que doit-on comprendre?
Diversité
Du latin diversus : divers, contradictoire, différent.
- Un état, un constat de :
○ la pluralité, la variété (sujets, objets) dans un environnement
Diversité : indique la présence de différences, reconnaît l’existence de particularismes, pointe des origines, insinue des nuances et des contrastes, laisse entendre des pratiques spécifiques et des expressivités multiples, suppose à la fois un rapport conflictuel une dynamique des oppositions et laisse envisager la promesse d’une richesse née des convergences, de l’interpénétration.
Proposition définitoire dans le cadre de cette réflexion : la diversité ou un ensemble de singularités existant dans un espace donné.
Singularité : unicité (caractère de ce qui est unique) – irremplaçable, inestimable (caractère exceptionnel). Aussi, une manière d’identifier et de s’identifier. Sollicite une considération, revendique une reconnaissance, exige un respect.
“Chez Aristote, l’individu est, en règle générale, une singularité sensible, perceptible, et l’universel est le genre ou l’espèce auquel il appartient.” – Tornau Christian, « Qu’est-ce qu’un individu ? Unité, individualité et conscience de soi dans la métaphysique plotinienne de l’âme », Les Études philosophiques, 2009/3 (n° 90), p. 333-360.
“La Déclaration universelle [de la diversité culturelle] insiste sur le fait que chaque individu doit reconnaître non seulement l’altérité sous toutes ses formes, mais aussi la pluralité de son identité, au sein de sociétés elles-mêmes plurielles.” – Koïchiro Matsuura (ancien directeur général de l’UNESCO, 1999 – 2009)
“[…] Cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l’humanité. […]” – article 1, Déclaration universelle de la diversité culturelle (2 novembre 2001), UNESCO
“ (2) Tous les individus et tous les groupes ont le droit d’être différents, de se concevoir et
d’être perçus comme tels. Toutefois, la diversité des formes de vie et le droit à la différence ne peuvent en aucun cas servir de prétexte aux préjugés raciaux; ils ne peuvent légitimer ni en droit ni en fait quelque pratique discriminatoire que ce soit, ni fonder la politique de l’apartheid qui constitue la forme extrême du racisme.
(3) L’identité d’origine n’affecte en rien la faculté pour les êtres humains de vivre
différemment, ni les différences fondées sur la diversité des cultures du milieu et de
l’histoire, ni le droit de maintenir l’identité culturelle.” – article 1, Déclaration sur la race et les préjugés raciaux (27 novembre 1978), UNESCO
Existant : qui existe. Et exister, c’est un verbe d’état ou un verbe
d’action.
- Verbe d’état : la constatation d’une réalité comme une donnée factuelle (au
passé comme au présent) - Verbe d’action : la conscience de soi (on “est” (une identité) – action
introspective : le « Je suis.. (Je) »). Mais aussi, la conscience de l’Autre (il/elle “est” – action de reconnaître le “Je” autre que soi, aussi semblable que différent; ou de saisir, intuitivement ou rationnellement, une réalité extérieure).
Ainsi, « exister » est l’affirmation et l’expression d’une certaine singularité. Le “Je suis”, c’est déjà “être” “singulier”. Le “Tu es”, c’est reconnaître cette singularité chez l’Autre. De telle sorte que « Exister » imposerait au sujet déterminé (“Je”, sujet pensant) un comportement non négociable tel un impératif moral catégorique dont la loi morale serait le respect de l’Autre (un devoir moral d’un type kantien : “Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.” – Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), Livre de Poche, 1993, 256 pages.
“Chez les humains, l’identité est intériorisée : elle désigne à la fois le fait d’être soi et de se savoir soi. La notion d’identité renvoie donc à celles de subjectivité (dans le premier cas) et de réflexivité (dans le second). On pourrait dire également, en première approximation, qu’elle consiste en la capacité de s’identifier et par là de se reconnaître, aussi bien qu’en le fait d’être identifié et reconnu par autrui.” – Thierry Ménissier, « Culture et identité. », Le Portique, 5-2007 | Recherches.
“Entre éthique, religion, science et sexualité, le soi serait cette part hypothétique dont l’individu aurait la responsabilité et qui procéderait d’une ontologie. […] selon l’adage du « Connais-toi toi-même » situé au fronton du temple de Delphes, la culture à laquelle il invitait ne se confondait en rien à ce qu’il en serait d’un vulgaire culte du moi. […]”
– Jejcic Marie, « Singularité plurielle ou de l’autre en soi », Le Coq-héron, 2008/1 (n° 192), p. 88-95.
“Article 4 – Les droits de l’homme, garants de la diversité culturelle La défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Elle implique l’engagement de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales, en particulier les droits des personnes appartenant à des minorités et ceux des peuples autochtones. Nul ne peut invoquer la diversité culturelle pour porter atteinte aux droits de l’homme garantis par le droit international, ni pour en limiter la portée.” – Déclaration universelle de la diversité culturelle (2 novembre 2001), UNESCO
Espace : lieu ou environnement où se manifeste une présence qui peut être intrinsèque à l’existence – ex : la faune aquatique; dimension de rattachement :
○ idée de localisation (de localiser ou d’être localisé)
○ lié à un milieu, enraciné – ex : communauté
○ ancrage
○ matérialisé (ex: territoire) ou dématérialisé (ex: Internet)
“[…] Chaque singularité est un autre accès au monde.” – Jean-Luc Nancy, Être singulier pluriel, Paris, Galilée, 1996, p. 12
“[…] Affirmant que la diversité culturelle est une caractéristique inhérente à l’humanité, […]
[…] Rappelant que la diversité culturelle, qui s’épanouit dans un cadre de démocratie, de tolérance, de justice sociale et de respect mutuel entre les peuples et les cultures, est indispensable à la paix et à la sécurité aux plans local, national et international […]” – Préambule de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (20 octobre 2005)
“Article 2 – Principes directeurs 1. Principe du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales : La diversité culturelle ne peut être protégée et promue que si les droits de l’homme et les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, d’information et de communication, ainsi que la possibilité pour les individus de choisir les expressions culturelles, sont garantis. Nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée.” – Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (20
octobre 2005)
“La diversité culturelle est reconnue, dans l’esprit de la Convention, comme source de paix, de justice, d’égalité et de prospérité. Sa défense et sa promotion deviennent ainsi, sur le plan interculturel, des réponses à la complexe problématique de l’Autre et ce particulièrement dans le monde actuel, multiforme et en continu changement. ” – Anghel Laura, « La convention sur la diversité des expressions culturelles : état des lieux », Hermès, La Revue, 2008/2 (n° 51), p. 65-69.
Culturel(le) : qui concerne la culture, relatif aux comportements sociaux.
Culture
- Artéfact : façonné (intention + action)
- Ensemble de valeurs, normes, croyances, comportements guidant les interactions humaines
- Ensemble des idées, symboles, perceptions, coutumes et usages, institutions sociales, mode de vie partagé par un groupe d’individus (John Beattee)
Dans “Culture”, il y a une :
- Idée d’acceptation, d’adhésion (appartenance), de communication (transmission), d’imitation (reproduction) (Edward T. Hall)
- Idée d’acquisition (habilités et capacités – Edward Burnett Tylor), de tradition (impliquant des sentiments de loyauté et de trahison), de transmission de pratiques, savoirs, connaissances (via l’enseignement et l’apprentissage – Edward Schein dans son Organizational Culture and Leadership; la construction d’une mémoire collective, cf. Maurice Halbwachs et Les cadres sociaux de la mémoire ; la construction d’une sensibilité – « The correct way to perceive, think, feel », Schein)
- Idée de transformation, de dynamisme, d’évolution (la culture entendue comme une « social heredity » intergénérationnelle avec l’accumulation des expériences personnelles – Linton)
“Préambule
[…] dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée
comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et
affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre
les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être
humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances […]
[…] la culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même. C’est
elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et
éthiquement engagés. C’est par elle que nous discernons des valeurs et
effectuons des choix. C’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience
de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses
propres réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et
crée des oeuvres qui le transcendent. ” – Déclaration de Mexico sur les politiques
culturelles (6 août 1982)
“Article 1 : Cadre conceptuel
La culture prend des formes diverses à travers le temps et l’espace. Cette
diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités qui
caractérisent les groupes et les sociétés composant l’humanité. Source d’
échanges, d’innovation et de créativité, […] elle constitue le patrimoine
commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des
générations présentes et des générations futures.” – Déclaration universelle de la
diversité culturelle (2 novembre 2001), UNESCO
“Article 5
1. La culture, oeuvre de tous les humains et patrimoine commun de
l’humanité, et l’éducation, au sens le plus large, offrent aux hommes et aux
femmes des moyens sans cesse plus efficaces d’adaptation, leur permettant
non seulement d’affirmer qu’ils naissent égaux en dignité et en droits, mais
aussi de reconnaître qu’ils doivent respecter le droit de tous les groupes
humains à l’identité culturelle et au développement de leur vie culturelle propre
dans le cadre national et international, étant entendu qu’il appartient à chaque
groupe de décider en toute liberté du maintien et, le cas échéant, de
l’adaptation ou de l’enrichissement des valeurs qu’il considère comme
essentielles à son identité.” – Déclaration sur la race et les préjugés raciaux (27 novembre
1978), UNESCO
Cadre définitoire de « diversité culturelle » :
Diversité + culture(lle) = source importante en matière d’identité et de droits fondamentaux de l’homme – Koïchiro Matsuura, “Tous différents, tous uniques”, UNESCO, 2004
La diversité culturelle : une réalité protéiforme et un droit international polymorphe
La suite de cette réflexion est téléchargeable ici :