
Avant-hier, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un dépliant qui vantait les qualités d’une salle de sport. Un gym comme on dit ici. Je parle désormais québécois. Pas le choix, c’est l’intégration qui veut ça.
J’ai d’abord cru, bien naturellement qu’une de mes connaissances me faisait une blague. Une plaisanterie. Une joke comme on dit ici. Encore une fois, pas le choix, c’est l’intégration.
Que la personne m’envoyait là un subtil message, presque subliminal, du genre Il faudrait peut-être songer à aimer ce corps si négligé 😉
Même si il est vrai que j’ai des bourrelets qui tombent de manière disgracieuse sur des hanches disparues et avalées par une forte masse graisseuse, je les considère comme des bouées de sauvetage qui m’empêchent de couler à pic dans l’océan de conformité, de ressemblance, dans lequel le quotidien un peu instagraméen se noie la gueule grande ouverte.
Que l’omniventripotent que je suis ne se souvient plus de la dernière fois qu’il a pu voir son sexe caché bien au chaud sous une montagne de lard.
Que mes seules cuisses nourriraient toutes les armées du Siège de Candie, et il en resterait encore.
Que mon triple menton recouvre ma gorge et mon long cou les protégeant ainsi du grand froid de ces hivers interminable qui feraient mourir d’hibernation un ours.
Que j’ai un superbe cul d’éléphant et l’allure ultra sexy qui va avec. Yep. Depuis Kim Kardashian et son Break The Internet, les gros culs c’est la nouvelle tendance. La trend In & Hot comme le dirait l’urbanoïde montréalais. Alors je bombe mon gros cul pour un effet maximal, en plus je ne me suis pas aspergé d’Axe.
J’ai trouvé la joke d’un goût bien senti. J’aime l’humour corsé. Il est intelligent. Surtout qu’il se tient souvent à distance. Hors de portée du coup de poing dans la face.
Bien sûr, je joke. Et comme le dirait l’Hermite désabusé, les professions de foi n’engagent que ceux qui y croient.
Le dépliant a fini à la poubelle.
Vous me direz que j’ai eu tort. Que cette attention devrait davantage me faire prendre conscience de ma dégradation corporelle au lieu de provoquer en moi une vexation puérile.
Et vous auriez tort vous aussi.
Déjà, cela ne me vexe pas. Du tout. Lorsque l’on est gras on apprend à faire du surpoids un bouclier anti-moquerie. On se protège contre la vilenie. Un blindage épais qui voit rebondir sur lui toutes les mesquineries de la société obèsophobe.
Ensuite, j’ai assez conscience de ce que je suis, ma sublime mocheté, pour ne pas avoir besoin des leçons de morale d’Ayatollahs de l’hystérique religion du corps apollinien. Les mêmes qui se mettent des auréoles et se font prélats de la beauté intérieure, celle sous la graisse visqueuse, dégueulasse.
Je n’en ai cure du fantasme grec des sculptures antiques. M’en fous royalement des trésors intérieurs des gens. C’est comme ça. Pas le choix. Le McDo prend tout mon temps. C’est l’intégration qui veut ça.
La semaine dernière, un Apollon s’est jeté sous le métro.
Sa dégradation était plus grave, elle était dans sa tête.
Et j’aimerais qu’il y ait autant de centres du bien-être de l’esprit que de salles de sport. Mais parfaire sa sérénité, de trouver un certain équilibre intérieur, est moins important et urgent que de céder, de s’esclavager, au diktat de l’apparence physique.
Ne pas s’inquiéter de son apparence.
Les gym pullulent. Il y en a à chaque coin de la rue. Les gens bouffent comme des porcs. Vivent comme des animaux. Pensent comme des pierres. S’émeuvent comme des bêtes. Veulent le jouissif immédiat, jetable, non-recyclable. Sont appelés à s’adonner au culte de la performance. A accumuler tout ce qui est matériel et superfétatoire. A se faire aimer par des personnes qui ne s’aiment pas, qui s’aiment peu, ou qui s’aiment trop.
Les gym pullulent. Il y en a partout. Et même à proximité d’un cimetière. Les gens se stressent et sont stressés pour un rien. Ils courent à perdre la raison. Ils sont pressés et n’ont aucune patience. Ils veulent tout là, tout de suite, l’accessible instantané, celui qui dure le temps d’un selfie, d’un like, d’un Snapchat. Je les vois depuis mon McDo. Je prends le temps, j’engraisse, je marche comme un escargot et je fatigue vite. J’ai essayé aussi le selfie, trop d’énergie pour moi. Trop intellectuel aussi. Penser à la luminosité, à la pose, aux retouches, etc. C’est épuisant. Trop compliqué.
Les gym, un vrai filon. Ça fait rouler l’économie. Comme la malbouffe. Le pétrole. Le nucléaire. Les antidépresseurs. Les gym, c’est aussi une communication bien pensée. Quelques fois agressive, culpabilisante. T’es moche? Va au gym! T’es pas au gym? T’es forcement moche!
Les réseaux sociaux abondent de témoignages d’anciens gros qui sont heureux d’être admis parmi les privilégiés, les beaux, les gymfantastics. Les affiches publicitaires n’aiment pas beaucoup les personnes corpulentes, pour faire political correctness. On les veut le plus loin possible du visible.
Il existe bien un mouvement Venez comme vous êtes, les ronds, les carrés, les triangles, les sphères, les trucs bizarres. Il est marketing. Il est c’est votre fric qui compte. Il est McDo.
Et comme je suis d’une âme militante, je supporte l’initiative, je vais au McDo.
J’y vais comme je suis, une forme sphérique version flasque. Et McDo me fait un sourire de clown.
C’est déjà mieux que chez Starbucks. Tout ce monde bien sous toutes les coutures, qui porte le masque de la constipation ou de la fanfaronnade, sauf pour l’incontournable selfie de leur breuvage, c’est d’un comique qui ne les fait pas rire. C’est sans doute le plus drôle.
Starbucks, trop serieux. Trop je-ne-viens-pas-comme-je-suis, ou je-viens-trop-comme-je-suis. Il y manque un truc du genre laxatif, pour rendre tout ça absolument, totalement, chiant.
Je rigole quand je vois du monde dépenser des centaines de dollars mensuellement pour mimer le corps parfait de la star dont on n’oubliera le nom la seconde d’après, et le visage lorsqu’elle finira dans la dépression ou sous une montagne de cocaïne, les veines éclatées par une dose excessive de cochonnerie.
Cette foule qui s’exhibe dans les gyms comme elle fait la plupart du temps la file au McDo, me laisse pantois.
On va au gym et on mange mal. C’est schizophrénique. C’est aussi intéressant que de se sevrer de sexe et se masturber. Il y a là quelque chose de l’ordre de la psychanalyse. Je ne ferai pas mon Jung ivre et soûlant. Je laisse ça aux experts.
Ah ces braves gens, tous pleins de leur zèle et de leur santé, ils me donnent toujours l’impression de têtards optimistes qui, serrés dans une mare, agitent gaiement leur queue au soleil dans l’eau la moins profonde qui soit et qui ne soupçonnent pas que dès demain la mare sera sèche.
Carl Gustav Jung
Mon obésité à cet effet est cohérente. Je m’empiffre et je ne vais pas au gym. Je ne prends pas de selfie en prétextant suer. Je laisse mon téléphone intelligent à côté, il n’a pas d’affaire à immortaliser pour l’auditoire réseau social cet effort dantesque de cannibalisme du Big Mac. C’est une confrontation intimiste. Une question de vie privée. Et personne n’en a rien à cirer.
Si oui, c’est du voyeurisme, et il faut aller consulter. En passant, Freud est mort. Il a posté un selfie d’outre-tombe sur Facebook. Ce n’est pas trop la grande forme pour lui. Manque de gym.
Le monde mange mal. Mais ce n’est pas grave. Il y a le gym. Même s’il coûte le même prix qu’une alimentation saine. Le monde s’en bat les trucs qui pendent. Les hommes surtout. Pour les femmes, le Wonderbra a tout sauvé. Du moins en apparence.
Le message est limpide. Gavez-vous comme des cochons, et venez dépenser votre fric sur des machines qui vous rendront hot. Puis les selfies sont encouragés. Le monde signe, de suite. Sans lire ou vouloir lire les petits caractères. On vous promet la shape mais pas le bonheur, dans votre vie, d’être moins con, de faire preuve d’altruisme, d’humanité, de respect, de transformation intérieure. Juste une belle gueule, c’est l’essentiel. Le reste, ça vous regarde, démerdez-vous! Bon voilà. Je reprend un autre Big Mac.
Un jour, je suis allé au gym pour ne pas mourir bête.
Une personne m’avait offert un forfait gratuit pendant les fêtes de fin d’année pour que je ressemble à un dieu grec l’été suivant. C’est sans doute la même personne qui m’a laissé le dépliant. Élémentaire, mon cher Watson.
Le forfait durait un mois. Les stratèges en marketing de la salle étaient désespérés.
Le premier jour, j’ai enfilé mon plus bel attirail. Je me suis désabonné des sites de rencontres et j’ai dit Adios! à mes amies miaou_la_soumise18, string_en_chaleur21, mister_34cm,casanova_du_plaisir69. Le gym, c’était mieux.
Des bimbos au fessier remonté comme il faut, des seins compressés à limite de l’explosion balançant façon Alerte à Malibu. Des Channing Tatum gonflés aux stéroïdes en montrant tout ce qu’il y a de généreux dans leur short. Et des gens comme moi, venus pour mâter, voire plus.
Drague sous transpiration. On se laisse séduire par l’odeur forte. La rose pue, et ça fait tourner les têtes.
J’ai compris le premier jour pourquoi il y a tant de célibataires au gym. Ou de futurs célibataires. Le premier fût mon dernier. J’ai retrouvé miaou_la_soumise18, string_en_chaleur21, mister_34cm,casanova_du_plaisir69. J’ai pris un forfait annuel. Il m’a coûté un paquet. Mais ça les vaut. Comme le gym pour les autres. Chacun s’assume comme il veut que l’on pense de lui. C’est cela la vérité de soi. lOl.
J’ai pris un abonnement à la pizzeria du coin où je retrouve quelques fois mes connaissances en compagnie de ces histoires de gym qui ne survivent pas au lendemain.
On parle de tout, puis de rien, on se bourre comme il faut, elles s’embrassent entre elles, prennent un selfie, et moi j’embrasse ma pizza pour carnivores, sans selfie. C’est intimiste. Non-écolo. Recyclable. Et contribuant via un orifice bien fait à rendre la terre moins stérile.
Et il arrive qu’en rentrant tout doucement de ce jouissif épicurien, je prenne le métro.
Et il arrive aussi qu’une voix monocorde, presque mécanisée annonce la nouvelle qui emmerde tout le monde.
Attention. Attention. Suite à un incident sur la ligne orange, le trafic est provisoirement suspendu.
Clameur silencieuse dans le métro.
Il arrive qu’une voix aussi militante que courageuse dise haut ce que tout le monde pense stupidement et bas.
Tabarnark! Il n’aurait pas pu crever un autre moment?! Criss!
L’incident est un Apollon sortant du gym, et gâchant la soirée de tous ces gens bien dans leur peau.
Il ne s’agit pas d’atteindre la perfection, mais la totalité.
Carl Gustav Jung
Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire.
Carl Gustav Jung