Dès lors, il s’agit pour le relationniste – dont la mission est l’atteinte et la préservation de la confiance des publics ou des parties prenantes, dans une dynamique d’influence en mode dialogique – de faire de l’intersubjectivité la base du processus de prestation de services.
Cette intersubjectivité est – en s’inspirant de la célèbre formule de Valentin Voloshinov – ce pont qui établit la communication des sens entre l’organisation et les publics (Marxism and the Philosophy of Language, Cambridge, Harvard University Press, 1973, p. 86).
Intersubjectivité pour le relationniste, intersubjectivité pour l’organisation.
Une organisation ne saurait se faire comprendre, capter l’attention, réaliser une stratégie de conversion, maintenir le lien avec ses publics (loyauté, adhésion), si elle ne saisit pas toute la dimension communicationnelle de l’intersubjectivité. C’est au 21e siècle la clé de sa réussite.
L’intersubjectivité dans les rapports inter-organisationnels (Business-to-Business), institutionnels, individuels (Business-to-Consummer) est une solution pertinente, nécessaire voire impérative, pour surmonter à la fois l’obésité communicationnelle actuelle (meilleure ciblage des publics selon le type de conversation qu’ils ont avec l’organisation) et le sentiment pour de nombreuses organisations de vivre une espèce de crise de l’incommunicabilité (Les relations publiques: Le Syndrome de la Cage de Faraday, Danielle Maisonneuve, p. 2) :
- L’incompréhension de leur message par les publics
- La saturation des apories
- Les dissonances (valeurs, mission, vision, actions)
- La course médiatique aux polémiques
- Les tensions entre les interlocuteurs
- La paranoïa du scandale
Une crise de l’incommunicabilité qui pousse à un « repli des organisations derrière les murs symboliques d’une Cage de Faraday« , un « blindage » contre les nuisances dangereuses d’un environnement a priori hostile puisque morcelé en communautés des sensibilités.
Les organisations qui ne parviendront pas à survivre à la complexité des publics actuels, qui se réfugieraient terrifiées dans une Cage de Faraday sont définitivement prisonnières de la « distorsion des perceptions« .
La Cage de Faraday, c’est s’emmurer dans un cercueil. Si le cercueil offre l’avantage de la sérénité, de la paix, du confort, et garantit l’intégrité organisationnelle, il n’en reste pas moins qu’il reste un cercueil. Ce n’est pas de l’ordre du vivant.
Les organisations se doivent de sortir du cercueil, de la stratégie du minimum communicationnel (pour faire le moins de vague possible et donne l’impression de frayeur, d’apurement, d’opacité, d’absence de confiance), de la massification de leur communication (qui illustre souvent leur non-maîtrise de l’essence des identités des publics cibles), de la saturation (ou de la surcharge) communicationnelle (parce qu’elles croient encore que le bon vieux matraquage ad nauseam du message).
Le matraquage permanent – est-il utile de le rappeler – est une stratégie inadéquate dans une société certes de surconsommation accélérée mais plus que jamais « sélective », « personnalisée » et extrêmement « émotionnelle ».
Si l’émotion est universelle son signifiant est très riche et varie selon les particularismes des publics. Exemple, la joie tout le monde la connaît et la reconnaît, mais elle ne veut pas dire la même chose pour vous, pour moi, pour les autres.
Il est donc important d’aller au-delà de la simple expression de cette émotion pour saisir tout son sens, ses implications, ses catalyseurs.
C’est Caroline Sauvajol-Rialland dans son Mieux comprendre pour mieux communiquer qui le résume mieux : décrypter, sélectionner, transmettre.
Présentement, l’on met une telle énergie dans la sélection des messages et dans leur transmission, on veut être clair, on veut être percutant, on veut être précis, on veut du R.O.I., du S.E.O., etc. On veut anticiper, et on est quelques fois, peut-être trop souvent, à côté de la plaque. Si le décryptage est mal fait, le reste est un château de cartes qui va s’écrouler.
Décrypter les publics pour mieux les comprendre et communiquer n’est pas une science infuse. Dans cette perspective, le modèle théorique de Lasswell est un bon support de départ parce qu’il est celui de la persuasion dont le but est l’adhésion.
Il offre une compréhension globale des motivations réelles des acteurs de la communication, tout en observant leur inter influence.
Toutefois, il est important d’amender Lasswell, puisque pour le relationniste moderne, la persuasion n’est plus une communication autoritaire (un lavage de cerveaux, une guerre psychologique, une uniformisation des ensembles) – Bernays, Propaganda en relations publiques, c’est fini.
L’analyse des conversations et des opinions (open mining) (valeurs, tonalités, portrait psychosociologique global des acteurs-émetteurs-récepteurs-influenceurs/leur degré d’influence, cf. la « Two-step flow of communication » de Paul Lazarsfeld et Elihu Katz) combinée à celle des comportements est une condition sine qua non de réussite pour les organisations.
Il faudrait changer le contexte récurrent et traditionnel de la persuasion, celui-ci ne devrait plus s’exercer dans l’adversité (les publics ne sont pas les ennemis de l’organisation, mais de potentiels alliés – qui l’ignorent encore).
On ne les persuade pas à leur dictant quoi penser, mais en les convainquant (logique, arguments, faits, pratiques, rhétorique, authenticité). Les convaincre, aujourd’hui, c’est une négociation du sens, une conciliation des divergences, une jonction des intérêts. « On ne persuade aux hommes que ce qu’ils veulent » disait Joseph Joubert dans ses Pensées, encore faut-il savoir comprendre ces « attentes », vraiment. Car elle favorise la relation de connivence (complicité, sympathie, convergence).
« L’art de persuader a un rapport nécessaire à la manière dont les hommes consentent à ce qu’on leur propose, et aux conditions des choses qu’on veut faire croire » – Blaise Pascal, De l’Esprit géométrique et de l’Art de persuader.
L’intersubjectivité favorise cette démarche qui est une pratique communicationnelle durable. Pour le relationniste ainsi que pour les organisations, c’est une mine d’or.
Ainsi, les organisations qui en restant sur les pratiques classiques, convenues, éprouvées, essoufflées, parce qu’elles sont sécuritaires, passent à côté de leur époque. Elles sont déconnectées. Donc peu novatrices.
Les publics sont des individualités errantes, volatiles, éclatées, qui constituent des groupes polymorphiques aux appartenances plurielles.
Leur loyauté ne tient qu’à la satisfaction (immédiate) de leurs intérêts spécifiques. Le relationniste devrait aller à leur rencontre.
Établir, intégrer la conversation. C’est le fameux pont de l’intersubjectivité. Et toute son importance :
- La réalisation des objectifs stratégiques de l’organisation
- Le meilleur positionnement de l’organisation dans l’espace public (dans la conversation)
- La réduction de l’ambivalence du message (discours et pratiques) et des incertitudes chez les publics
- L’optimale déclinaison du message en fonction des publics
- La proactivité organisationnelle (anticipation, innovation, leadership)
En somme, l’intersubjectivité joue un rôle crucial dans le processus communicationnel de l’organisation.
Le relationniste est – qu’on le veuille ou non – d’abord un influenceur (et ouvert aux influences externes). Il n’est pas dans le cercueil.
De ce fait, il se doit de maîtriser l’environnement organisationnel et dans ses méthodes faire preuve de transversalité (capacité à faire le lien entre différentes notions, divers champs d’expertise, pluralité des approches).
Connecté, actif, réceptif, il « module les préoccupations » des parties prenantes (identification, compréhension, définition, priorisation, solution, évaluation) pour mieux répondre aux problématiques communicationnelles au fort potentiel de déstabilisation pour le modèle d’affaire de l’organisation.
Son impact sur la vitalité économique de l’organisation n’est pas toujours aussi évaluable que celui du publicitaire, du gestionnaire, du marketeur; par contre son absence – ou son déficit de compétence – dans la sphère décisionnelle se voit clairement et se mesure aisément, brutalement, à l’interne comme dans l’espace public.
Supplément
L’adoption massive des outils du web 2.0 par le public a renforcé l’intérêt pour le sentiment analysis, qui vise directement l’analyse de la tonalité, positive ou négative, des opinions recueillies. Les canaux d’expression spontanée des internautes se sont démultipliés (blogs, réseaux sociaux, systèmes de microblogging) et regorgent d’avis sur des produits, marques, personnalités, politiques publiques, etc.
Il est même possible de considérer les conversations web (qui sont devenues en tant que telles un objet d’analyse et de suivi notamment dans les relations avec les marques, voir « les marques en conversation ») comme une entreprise collective d’évaluation permanente de tout : articles de presse (à travers des commentaires), blogs anonymes (à travers des commentaires, des liens, des flux RSS, des tweets pour les signaler), pages web pour des produits, des événements, des personnes (que l’on attache directement sur son mur Facebook), etc.
Dominique Boullier et Audrey Lohard, Opinion mining et Sentiment Analysis, 2012
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La notion d’intersubjectivité – comme le dirait Danielle Maisonneuve: « l’appréhension d’une autre subjectivité organisationnelle » – dans les relations publiques montre l’importance des actions de communication dans la création d’une réalité favorable à l’organisation.
Une réalité qui ne peut être effective qu’en prenant en considération l’altérité, la bidirectionnalité, la compréhension mutuelle (la « communication des consciences« ).
A cet effet, une organisation n’est pas seule, une solitude ou un ostracisme. Elle ne peut être imperméable aux actions de son environnement. Surtout dans notre société en mouvance et (ultra) connectée.