Couvrez ce racisme systémique québécois que je ne saurais voir

À la question de savoir si le Québec souffre d’un racisme systémique, je vais vous la faire très court : oui.

Maintenant, vous pouvez ne pas poursuivre la lecture de ce très long billet et le catégoriser parmi les « accusations insupportables » contre les « Blancs » dont ces « minorités ethniques et culturelles » – bien entendu perpétuellement « victimaires » – ont le chic et qui agacent tant.

Vous pouvez considérer qu’il s’agit là d’une énième volonté de demander à cette très très large majorité blanche de s’autoflageller ad vitam aeternam, de faire le procès très « Sorcières de Salem » des « Québécois » (en supposant ainsi que lorsque l’on dit « Québécois » on ne voit que du Blanc).

 

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À entendre ces discours, vouloir réfléchir aux enjeux de discrimination systémique et de racisme au Québec, c’est accuser l’ensemble de la société d’être raciste ou la comparer à l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Voilà qui est aussi ridicule que si on prétendait que la consultation de 1995 sur la discrimination salariale au Québec ayant mené à la Loi sur l’équité salariale équivalait à accuser l’ensemble des Québécois d’être misogynes et d’entretenir un système digne de l’Afghanistan…

 

Vous pouvez également me taxer de « raciste anti-Blanc », dans une tentative très extrême-droite d’inversion de l’accusation avec pour objectif de renvoyer dos-à-dos les « victimes auto-déclarées » et les « accusés désignés », de mettre une connerie très ultra minoritaire sur le même pied d’égalité qu’une bêtise structurée en un système. De diluer l’ignominie d’un discours et d’actes abjects – encore inscrits dans les mœurs – prenant de plus en plus ses aises dans l’espace public et médiatique. De relativiser les fautes des « accusés ». De refuser d’écouter des histoires terribles parce que cela reviendrait à se poser des questions difficiles, ainsi possiblement à faire une introspection douloureuse. De refuser de voir une réalité inacceptable au XXIe siècle – à l’heure où la dignité humaine est sacralisée – qui montre que derrière les grandes constitutions avec ses valeurs humanistes les choses n’ont pas aussi fortement évolué comme on pourrait le penser et que nous vivons plus que jamais un siècle où la problématique raciale demeure toujours un foyer de tensions invraisemblables.

Vous pouvez accepter de balayer d’un revers de la main cette réalité, vous insurgez contre l’idée même de dire que oui il y a du racisme systémique au Québec, comme encore malheureusement partout ailleurs. Vous insurgez n’y changera pas grand-chose, la réalité est têtue. Ce n’est pas en faisant dans le déni que les problèmes disparaissent, c’est en les reconnaissant et en y faisant face que l’on arrive à les solutionner.

 

« Le racisme systémique se manifeste lorsqu’une institution, ou un ensemble d’institutions agissant conjointement, crée ou maintient une iniquité raciale. Cette attitude n’est pas toujours intentionnelle et ne signifie pas nécessairement que le personnel au sein d’un organisme concerné est raciste. »

Exemples d’inégalités engendrées par le racisme systémique : 

À compétences égales, un candidat qui se nomme Tremblay ou Gagnon a 60 % plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’une personne qui se nomme Traoré ou Ben Saïd.

Parmi les universitaires nés au Canada, le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les personnes appartenant à une « minorité visible » qu’il ne l’est chez les autres (3,1 % contre 6 %).

Sources : Direction générale de l’action contre le racisme de l’Ontario, Ligue des droits et libertés, CDPDJ, Statistique Canada, 2016

 

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Commission publique sur le racisme systémique au Québec : politicienne et électoraliste

Et ce n’est pas la Commission publique sur le racisme systémique au Québec qui y parviendra. Lorsque le Parti Libéral du Québec (PLQ) a instauré cette « enquête » – longtemps exigée par la plupart des groupes et de certaines personnalités dits « minoritaires » afin de donner la parole à ceux qui subissent quasiment au quotidien l’exclusion et des traitements discriminatoires du fait de leur appartenance ethnique, culturelle, s’interrogeant sur la très faible présence de la « diversité » dans les sphères décisionnelles publiques et privées, organisationnelles et autres – l’intention derrière était du pur calcul politicien. Il faut le dire.

 

Pourquoi alors suis-je tout de même d’accord avec l’idée d’une consultation sur la discrimination systémique et le racisme ? Parce que, à mon sens, on peut à la fois reconnaître que le Québec est une société ouverte et accueillante et vouloir qu’il soit encore plus égalitaire. De la même façon qu’on peut reconnaître que, même si le Québec est une société parmi les plus avancées sur le plan de l’égalité hommes-femmes, il reste encore du travail à faire en matière de prévention des violences faites aux femmes.

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Je disais que je suis d’accord avec l’idée d’une consultation. Mais je reste sceptique quant à l’utilité d’une consultation dans sa forme actuelle. Pour que le processus soit crédible, il aurait fallu une consultation dirigée par des experts indépendants, et non par la Commission des droits de la personne, qui est à la fois juge et partie dans ce dossier.

 

Après une décennie au pouvoir, de manière presque ininterrompue, le PLQ n’a vu l’urgence d’une telle discussion qu’à la veille d’une élection s’annonçant très compliquée pour lui. Dans un contexte d’émergence d’un populisme nauséeux (vous pardonnerez le pléonasme), dans un climat de perte de confiance, de défiance de l’opinion publique ayant subie de plein fouet la violence inouïe d’une politique d’austérité injustifiée – même pour plusieurs institutions de Bretton Woods telles que la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International – une telle Commission relève de l’ordre de la petite stratégie politique. 

 

Il ne faut évidemment pas conclure que toute austérité budgétaire devrait être évitée. Avec le temps qui passe et le ralentissement démographique qui s’installe, il devient impératif que le Québec recommence à observer sa Loi sur l’équilibre budgétaire et à s’acheminer vers la cible de 45 % que sa Loi sur la réduction de la dette commande à son ratio dette/PIB d’atteindre en mars 2026. Les ajustements requis exigent que le solde budgétaire augmente pendant un certain temps.

Il aurait cependant fallu prendre le temps de réfléchir et de former des consensus avant, puis étaler ensuite les réformes nécessaires sur quelques années, plutôt que d’agir à toute vitesse. On aurait pu suivre un plan qui soit à la fois crédible auprès des agences de crédit et respectueux de la capacité d’absorption de l’économie, et tout particulièrement des éléments les plus fragiles comme les régions éloignées, les PME, et les travailleurs vulnérables. Le fast track de Margaret Thatcher en Angleterre, ça a marché au début des années 1980, mais avec 2 millions de chômeurs de plus, et la guerre des Malouines pour s’en sortir.

 

Nullement, le PLQ n’a voulu réellement s’attaquer à la question du racisme systémique, il a voulu parler à une partie de sa clientèle : les minorités ethniques et culturelles. Le message peu subtil étant simple : « Nous sommes le seul parti inclusif au Québec. Nous autres on ne vous stigmatise pas. On ne se fait pas du crédit politique sur votre dos. Nous sommes le parti de l’ouverture. ».

 

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Le Parti Libéral du Québec : une clientèle « minorités visibles, ethno-culturelles » pour une formation politique pas si inclusive

Sauf que dans les faits, le PLQ ce n’est pas vraiment si inclusif. La preuve, quelle est la proportion de la diversité dans ses instances ? Relativement insignifiante. Certes, le PLQ n’est pas le parti stigmatisant comme l’a été un Parizeau amer le soir de la défaite du « Oui » au dernier référendum sur l’indépendance du Québec, d’une Pauline Marois maquignonne à souhait – en proposant une charte de la laïcité et des « valeurs québécoises » dans le but de régler un « problème » quasi inexistant et qui fût l’occasion de libérer partout la parole crasse d’un racisme jusque-là confiné essentiellement dans la sphère privée (aux soupers des mononcles et des matantes, aux apartés avec ses commentaires qui dérapent),  d’un Jean-François Lisée (petitement) cynique, sans colonne vertébrale idéologique, aux convictions sondagières, prisonnier volontaire d’un électorat baby-boomer vieillissant conservateur et dépassé.

Le PLQ n’a pas ce besoin viscéral de stigmatiser ces « eux autres » pour tenter d’exister et se faire entendre, pour masquer un vide de projet, pour palier à une incapacité d’inspirer le peuple et de le tirer vers le haut comme ce fût le cas durant la Révolution tranquille, mais il n’en reste pas moins que par son mutisme face à une opinion publique anxieuse, par son absence de pédagogie afin d’expliquer la réalité factuelle concernant l’immigration, par son refus de montrer la voie en mettant davantage en avant ces minorités qui regorgent dans ses rangs, par son attitude paternaliste envers ces minorités-là, il contribue à leur stigmatisation.

 

Depuis l’arrivée au pouvoir de Philippe Couillard en 2014, 46 des 1496 personnes ayant été nommées par le conseil des ministres sont issues des minorités visibles. […] Ainsi, toujours selon ces chiffres, les minorités visibles représentent 3 % des nominations, alors qu’elles composent 11% de la société québécoise. 

«Le gouvernement ne fait pas ce qu’il prêche; il devrait utiliser les nominations comme un levier pour donner le bon exemple et rectifier le tir», juge M. Khadir.

La professeure à l’école de relations industrielles et titulaire de la Chaire en relations ethniques à l’Université de Montréal Marie-Thérèse Chicha rappelle toutefois qu’il n’y a «rien de nouveau» dans ces données. «L’équité en matière d’emploi est un droit fondamental garanti dans des lois canadiennes et des chartes internationales, souligne-t-elle. Si le gouvernement, qui fait adopter des lois sur l’égalité, ne les observe pas lui-même, il envoie un mauvais message aux employeurs du secteur privé.»

 

Quand on voit que sur le plan national, le Parti Libéral du Canada (PLC) de Justin Trudeau n’hésite pas à offrir des postes importants dans son gouvernement à des personnalités plus que compétentes issues de la diversité, et que de l’autre côté de l’échiquier politique fédéral le Nouveau Parti Démocratique du Canada (NPD) vient d’élire comme chef,  Jagmeet Singh, un Canadien « d’origine » et de confession Sikh – portant un turban, une barbe nourrie et kirpan (ce qui a provoqué des commentaires assez « dégueulasses » au Québec, les gens s’arrêtant à ces détails bien plus que sur ses idées, son projet et sa moralité), on peut se poser la question de la sincérité « inclusive » de ce PLQ demeurant encore largement monochromatique. 

 

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Le Parti Libéral du Québec : le nouveau Parti Néolibéral du Québec

Je vais vous le dire très franchement, j’ai été membre du PLQ, et ce dès mon arrivée au Québec, en 2012. Non pas parce que j’appartiens à une minorité visible, car à l’époque j’ignorais que les gens comme moi pour la plupart votaient PLQ, mais par conviction philosophique et politique. Je suis, j’ai toujours été, libéral. Ce qui signifie qu’idéologiquement je suis en faveur de la liberté, de la responsabilité et de la justice. La liberté individuelle et collective, la responsabilité qui en découle, et l’instauration ainsi que la préservation d’une justice (impartiale du point de vue institutionnelle, s’enracinant dans l’équité, sociale en termes d’égalité des chances et de protection des plus vulnérables). La liberté qui favorise la compétition juste, donne le choix, permet la pluralité. La responsabilité qui tout en tenant compte des circonstances particulières ne se trouve pas d’excuses. La justice qui réduit l’écart entre les puissants et les faibles. La méritocratie qui s’indiffère des origines, valorisent l’effort, reconnaît ceux qui en arrachent, consacrent ceux qui osent, et offrent à chacun les moyens nécessaires à son épanouissement, des outils et un soutien qui encouragent les gens à aller ou à se mettre – pour reprendre une formulation américaine – « à la poursuite du bonheur ».

Cette conviction vient de mes origines, elle a été forgée par un vécu, donc en mettant les pieds au Québec mon premier réflexe fût de rejoindre le parti qui en apparence l’incarnait. C’était une famille de pensée à laquelle j’adhérais. L’épisode des « Carrés rouges » et la Commission Charbonneau ont été les premiers chocs qui m’ont fait prendre conscience que le PLQ n’avait plus rien à voir avec l’essence du libéralisme philosophique et politique. L’austérité purement doctrinale (la volonté de démonter l’Etat-providence, d’écœurer l’opinion publique en réduisant le financement des services publics essentiels tels que la santé et l’éducation afin qu’elle finisse par l’usure par revendiquer et accepter la privatisation, l’obsession de sévir contre les « profiteurs du bien-être social » et de protéger les « fraudeurs fiscaux », etc.) qui s’en est suivie fût la cerise sur le gâteau.

Le PLQ a nié le libéralisme philosophique et politique qui fit du Québec une nation progressiste, protectrice, celle qui a tenté de conjuguer l’impératif du développement économique et la nécessite du progrès social. A ne pas privilégier l’un au détriment de l’autre. Un libéralisme d’émulations et d’équilibres.

En ce sens, le PLQ de 2017 n’est ni responsable ni juste, c’est le Parti Néolibéral du  Québec.

 

Il ne faut évidemment pas conclure que toute austérité budgétaire devrait être évitée. Avec le temps qui passe et le ralentissement démographique qui s’installe, il devient impératif que le Québec recommence à observer sa Loi sur l’équilibre budgétaire et à s’acheminer vers la cible de 45 % que sa Loi sur la réduction de la dette commande à son ratio dette/PIB d’atteindre en mars 2026. Les ajustements requis exigent que le solde budgétaire augmente pendant un certain temps.

Il aurait cependant fallu prendre le temps de réfléchir et de former des consensus avant, puis étaler ensuite les réformes nécessaires sur quelques années, plutôt que d’agir à toute vitesse. On aurait pu suivre un plan qui soit à la fois crédible auprès des agences de crédit et respectueux de la capacité d’absorption de l’économie, et tout particulièrement des éléments les plus fragiles comme les régions éloignées, les PME, et les travailleurs vulnérables. Le fast track de Margaret Thatcher en Angleterre, ça a marché au début des années 1980, mais avec 2 millions de chômeurs de plus, et la guerre des Malouines pour s’en sortir.

 

Je n’ai pas renouvelé ma carte de membre. Et quand bien même le PLQ s’évertue à me dire aujourd’hui qu’il est le seul à me reconnaître comme Québécois indifféremment de ma couleur, de mon accent, de mon origine, cela m’importe peu au fond car d’un je sais qui je suis (je suis Québécois et rien ni personne ne me le retirera, je vis ici travaille ici paie mes impôts ici respecte les lois d’ici adhère aux valeurs communes et souhaite contribuer à la grandeur de cette société) et de deux ce n’est pas pour moi la question qui est par contre celle des politiques économiques et sociales provoquant d’inacceptables et d’irrémédiables injustices.

Les conséquences des politiques désastreuses du PLQ à l’heure actuelle  ne connaissent pas de racialisation, d’identitaire, d’ethnicisation, presque tous les citoyens les subissent de plein fouet. Les 99% sont tous logés à la même enseigne. Ce sont des précaires, des crevards, des catégories de survivants bien plus que de vivants. Ce n’est pas juste. Ce n’est pas libéral.

Voilà pourquoi le message « inclusif » que m’envoie le PLQ sonne creux, il est totalement à côté de la plaque. 

Alors oui, c’est une minorité visible et un ex PLQ qui considère que cette Commission sur le racisme systémique au Québec est une tactique politicienne de bas-étage. Contrairement à ceux qui la vilipendent trouvant qu’elle est inutile pour ne pas dire relevant du « racisme anti blanc », il est bien vrai qu’elle est opportuniste, mal pensée, mal constituée (on aurait aimé une approche multipartite, un mécanisme de consultation clair et consensuel, une composition équilibrée, des intervenants sans doute moins « polémiques », un engagement réel de tout le Québec et sur l’application des recommandations qui en sortiront), mais trouver que ce soit du « racisme anti-Blanc » est outrancier, cette Commission qu’importe les motifs réels de sa création n’est pas sans intérêt. Au contraire. Elle a le mérite de soulever une problématique importantissime. 

 

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Québec Blanc, catho-laïc : le grand Mythe du Peuple fondateur

Croire qu’il n’y a pas de racisme systémique au Québec, c’est soit être de mauvaise foi soit faire preuve d’aveuglement volontaire (ce qui ne serait pas si surprenant que ça, nous avons au Québec l’habitude de refuser de voir ce qui nous dérange profondément, nous pensons toujours que le Québec est Blanc, catho-laïc et ne saurons être autrement, toute l’histoire du Québec est d’abord enseignée et vue comme celle d’une ethnie triomphante ayant pris possession d’un territoire qu’elle a construite seule et d’après son image – le grand Mythe du Peuple fondateur : « en débarquant à l’endroit précis où ils ont fondé Québec, les Français se sont implantés là où vivaient et florissaient depuis longtemps d’autres peuples avec leur histoire propre, intimement liée à l’espace que ces Européens s’appropriaient désormais ; l’essence fondamentale de la société québécoise participe de ce contact originel entre les deux groupes, et donc aussi, nécessairement, de la présence et de la mémoire mêmes des peuples autochtones ».) 

Au Québec comme au  Canada on tend à minimiser ou à nier « la valeur historique de l’apport des cultures autochtones à l’édification du Québec et du Canada. […] La négation de l’existence des peuples autochtones, de la pérennité de leur identité, de l’authenticité de leurs cultures, de leur marque sur le territoire reste en effet l’arme de choix pour quiconque entend ne pas admettre la validité et la justesse de leurs revendications contemporaines […] les fondements socio-institutionnels du Québec reposent sur une entreprise d’abord coloniale, marquée au coin de l’oblitération de l’Autochtone et teintée de desseins génocidaires. La « rencontre », ils l’admettent sans réserve, fut rarement aisée. […] Le tableau qui est brossé met plutôt l’accent sur le respect mutuel dont témoignent les alliances franco-amérindiennes, sur l’hybridité culturelle qui se tisse au travers d’échanges marchands, sur les emprunts qui se font à la culture, au style de vie ou à la technologie de l’Autre ou encore sur les unions interraciales, pour bien signifier que l’on ne peut penser le Québec sans que n’y figure en son centre l’Autochtone. Bref, on en garde au final l’impression qu’en dépit des incompréhensions inévitables et des appétits conquérants de l’Européen, on parvenait de part et d’autre à s’accommoder de la différence – à vivre avec. Le récit des origines en serait un d’accommodement, voire de réciprocité interculturelle, mieux, un récit de synthèse ethnoculturelle – une fusion d’horizons – dont le Québec a émergé comme entité sociétale nouvelle. L’image a de quoi séduire assurément ; elle vaut mieux que l’effacement de la mémoire collective auquel l’Autochtone a si souvent été condamné. »

 

En d’autres mots, il peut bien y avoir interculturalisme au sens le plus élémentaire du terme, c’est-à-dire qu’il peut y avoir échange, proximité, communication, intimité même entre des individus de groupes ethnoculturels différents – c’est surtout à ce type de dynamique que nos deux ouvrages s’attardent – mais pour qu’il y ait interculturalisme au sens fort du mot, c’est-à-dire au sens d’un vivre ensemble dont les modalités auraient été déterminées et agréées d’un commun accord par les groupes en présence, par-delà leurs différences et priorités normatives propres, il faut que se constitue en un élan partagé un espace politico-institutionnel dépouillé de rapports sociaux de pouvoir, de domination et d’exclusion et de toute expression d’hégémonie culturelle d’un groupe à l’égard de l’autre. Le statut intellectuel de la notion d’interculturalisme est encore passablement nébuleux en raison de son harnachement par la parole politicienne (Rocheret al., 2007), mais elle suppose minimalement une ouverture à l’Autre, une dynamique consciente de convergence réciproque vers l’Autre, un maillage socioculturel voulu, délibéré et le plus égalitaire possible du bagage normatif et culturel des uns et des autres.

Or, pareil maillage n’a pas vraiment pris forme dans le Québec des origines. La rencontre entre Européens et Autochtones a été marquée presque dès les débuts de coups de force, de rapports de pouvoir fondamentalement inégalitaires qui, malgré certains mouvements de résistance autochtone réussis, se sont toujours déclinés en dernière analyse au profit des Européens et de la consolidation de leur présence de plus en plus hégémonique dans le Nouveau Monde (Anderson, 1991 ; Green et Dickason, 1989 ; Seed, 1995). Les conséquences du « croisement des destins » qu’évoque poétiquement le titre du livre de Recherches amérindiennes au Québec n’ont évidemment pas été les mêmes pour les deux groupes. À vrai dire, il serait odieux d’en faire la comparaison tant le tribut qu’ont dû acquitter les peuples autochtones est incommensurable. Le fait est que l’interface n’a jamais fonctionné. Bien qu’il puisse être rassérénant de penser que les Européens se soient transformés au contact des Amérindiens, la rencontre a surtout pour effet d’européaniser le Nouveau Monde ; elle n’a pas « autochtonisé » les nouveaux arrivants (à l’exception sans doute de quelques individus : rien toutefois d’une lame de fond).

Dès le départ, la construction du Québec s’est toujours réalisée à l’intérieur de cadres social, culturel et institutionnel essentiellement européens. Hormis quelques emprunts aux cultures et modes de vie de certains peuples autochtones – emprunts assez marginaux somme toute, presque toujours utilitaires et immanquablement passés à la moulinette normative européenne – ces derniers n’ont pour ainsi dire jamais eu d’impact déterminant dans les choix collectifs qui ont modulé les règles de l’espace public québécois, aux origines comme par la suite, puisqu’ils en ont pratiquement toujours été exclus. – Daniel Salée,  Les peuples autochtones et la naissance du Québec : Pour une réécriture de l’histoire ?,  Revue Recherches sociographiques Volume 51, numéro 1-2, 2010, p. 13-325  / à lire aussi Yves Chrétien, Denys Delâge et Sylvie Vincent, Au croisement de nos destins : quand Uepishtikueiau devint Québec, préface de Serge Bouchard, Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, 2009, 92 p. / Mathieu d’Avignon et Camil Girard (dirs), A-t-on oublié que jadis nous étions « frères » ? Alliances fondatrices et reconnaissance des peuples autochtones dans l’histoire du Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, 180 p.

 

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Un racisme systémique historique et institutionnel

Le réseau de télévision privée québécois TVA dévoile le résultat d’un sondage réalisé par la firme Léger où l’on apprend que tout près de 20 % des Québécois s’estiment et s’avouent raciste. Ce chiffre de 20 % pourrait avoir l’air à priori très important dans une société qui se targue souvent d’être ouverte sur le monde et l’immigration importante […] Selon le coup de sonde, les hommes sont un peu plus racistes que les femmes et c’est dans le Centre-du-Québec où il y a peu d’immigrants qu’on retrouve la population qui se dit la plus raciste (30 %). Par contre les plus jeunes Québécois sont moins enclins à s’avouer peu ou plutôt racistes. Ils sont seulement 2 % chez les étudiants universitaires et près de 13 % dans la tranche d’âge des 18-24 ans.

 

Ce racisme systémique n’est qu’une institutionnalisation insidieuse d’un racisme à la fois historique, ancré dans les mentalités (conscient et inconscient), à mots voilés pour ne pas dire couverts, aux attitudes généralement de repli et de mise à distance de l’autre cet inconnu de la diversité, des jugements empreints de préjugés qui ont la peau dure, un imaginaire construit à partir d’une représentation ethnoculturelle où prédomine l’idée centrale d’un Québec marmoréen et que tout le reste est un intrus sur lequel pèse une suspicion constante voire une dévalorisation systématique, une acceptation d’autrui proclamée dans les grandes déclarations constitutionnelles mais qui dans la réalité quotidienne est beaucoup plus limitée.

 

J’ai des préjugés. Et vous en avez aussi. Oui, oui, même vous qui pensez ne pas en avoir et êtes convaincus de traiter tout le monde sur un pied d’égalité.

J’ai des préjugés. Vous en avez aussi. Et d’une certaine façon, nous n’y sommes pour rien. Le cerveau est ainsi fait. Il est programmé pour exercer de la discrimination à notre insu. Même chez des gens qui s’opposent à toute forme de discrimination, nous disent des chercheurs en psychologie.

De mon côté, je pensais naïvement pouvoir déjouer le test. Parce que je savais quel était l’objectif. Parce que j’avais beaucoup lu sur le sujet. Parce que je suis très attachée aux valeurs d’égalité… 

Malgré tout, mon résultat au test d’association implicite Noir-Blanc a indiqué que, comme la plupart des répondants blancs (même si je suis officiellement une « minorité visible » selon Statistique Canada), j’ai une légère préférence automatique pour les Blancs par rapport aux Noirs.

J’ai été rassurée d’une certaine façon quand j’ai vu les résultats du professeur Richard Bourhis. Il a hésité à me les montrer. « Ça fait deux semaines que j’y pense ! Est-ce que je vais le dire ou pas ? Ça m’a troublé ! »

Il a sorti une feuille de son porte-document avec l’air humble et penaud de ceux qui s’apprêtent à faire un aveu compromettant : forte préférence pour les Blancs ! Pour un homme qui a consacré une bonne partie de sa vie à la lutte contre les préjugés, voilà qui était aussi choquant que décourageant.

Comment expliquer un tel résultat pour un professeur qui est lui-même spécialiste de ces questions et qui a à cœur la lutte contre la discrimination – le documentaire-choc de Radio-Canada La leçon de discrimination auquel il a collaboré est utilisé dans plusieurs pays du monde comme un outil pédagogique pour enrayer les préjugés ? « Ce n’est pas parce qu’on est spécialiste d’un domaine qu’on est à l’abri des préjugés et des idées reçues de notre société ! », me dit le professeur.

Ces tests en disent plus long sur les rapports de pouvoir dans notre société et les catégories qui y sont valorisées (hommes, blancs, minces, jeunes, etc.) que sur les individus qui passent le test. 

Ils témoignent des stéréotypes ambiants, qui peuvent être nourris par le milieu dans lequel on a grandi, l’éducation que l’on a reçue, les images véhiculées dans les médias.

Il faut aussi savoir que l’être humain a une tendance spontanée à favoriser les membres de son propre groupe, explique Richard Bourhis. On aimerait croire que les enfants naissent sans aucun préjugé et que c’est la culture qui les corrompt. Mais des études ont montré qu’ils avaient en fait la même tendance que les adultes à avoir des attitudes négatives à l’égard des gens qui n’appartiennent pas au même groupe qu’eux.

 

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Il y a du racisme systémique au Québec. Ce n’est pas seulement moi qui l’affirme, les statistiques et les données factuelles abondent en ce sens.

Il faut lire l’étude de Richard Y. Bourhis, Annie Montreuil, Denise Helly et Lorna Jantzen « Discrimination et linguicisme au Québec : Enquête sur la diversité ethnique au Canada » parue dans la revue Canadian Ethnics Studies en 2007dans laquelle la majorité de la diversité culturelle francophone fait face à des « formes d’exclusion sur le marché de l’emploi » à cause de leur couleur, de la langue ou de l’accent ; du taux de chômage deux fois élevé chez ces citoyens de facto de seconde zone (selon les plus récentes données) qui vient renforcer le sentiment que malgré le nombre d’années, enquêtes après enquêtes, la situation est loin de s’améliorer.

 

 

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Nous sommes rentrés dans une période d’élections municipales, le moment désigné pour faire le point sur la représentativité des minorités visibles au sein du conseil municipal de Montréal.

Pour une population atteignant les 30%, en 2016, selon les chiffres de la ville c’est 4 des 103 élus. Au niveau de l’Assemblée nationale du Québec, en janvier 2016, pour les 11% de la population québécoise, c’est 5 députés issus des minorités visibles et ethno-culturelles sur un total de 125.

Que dire de la hausse des discriminations raciales pour ce qui est de l’accès au logement comme le constatait Radio-Canada en février 2017 ? Des annonces de location de logement qui spécifient ne pas souhaiter recevoir des candidatures de potentiels occupants arabes, noirs, chinois ? Celles qui exigent l’envoi d’une « description » de sa personne et des locateurs qui ne se cachent pas pour dire qu’ils ne veulent pas vous louer un logis parce que vous êtes une « race », ou ceux qui avouent « avoir de la misère avec les ethnies » ?

 

Le communautarisme Blanc : un mur entre « Nous autres » et « Eux autres »

Des propos qui rappellent ceux de Daniel Gay dans son essai sociohistorique Les Noirs du Québec (1629 – 1900) publié en 2004 démontrant qu’il existait chez les Québécois « Blancs » une espèce de Gentlemen Agreement excluant les Québécois « Noirs » de l’accès à la propriété immobilière de telle sorte que cette minorité s’est retrouvée ghettoïsée.

Le communautarisme n’est pas uniquement la manifestation d’une volonté de vivre « entre nous » des minorités visibles et ethno-culturelles, c’est également l’intention de la majorité ethnique blanche de les ostraciser. De construire un mur invisible, infranchissable, entre « Nous autres » et « Eux autres ». Cela se voit dans certaine ségrégation urbaine ou résidentielle – des « Gated Communities » d’un autre genre, tacite mais redoutablement efficace, et qui est constituée au-delà de l’appartenance sociale (les catégories sociales favorisées blanches demeurent généralement dans un secteur résidentiel restreint et monochrome, excluant de fait généralement celles à revenu similaire d’autres « origines ethno-culturelles ».

A l’inverse il n’existe pas, contrairement à la perception, de ghettos ethniques (à Montréal par exemple) c’est-à-dire des « espaces caractérisés par une concentration extrême des minorités visibles« ).  Qu’elles soient riches ou pauvres. 

 

 «On parle tout le temps du petit Maghreb, mais c’est un petit bout d’artère commerciale qui n’est pas 100 % maghrébine. On a l’impression que les Maghrébins sont tous concentrés autour, mais ce n’est pas vrai, affirme-t-elle. Il y a un peu de branding là-dedans.

 

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Ainsi vivre « entre nous » incarne souvent la seule option disponible pour les minorités – l’alternative étant de vivre « seul ». Ce n’est pas faute d’avoir essayé de s’intégrer aux « autres », c’est davantage que l’on ne les veut pas « avec nous autres », on les veut ailleurs.  

Il y a un communautarisme Blanc au Québec, il est un refus conscient ou inconscient de mixité raciale. Et ce dans tous les champs socio-économiques du Québec. De l’accès à la propriété immobilière, de la constitution de quartiers résidentiels, de la production de biens, ou des regroupements professionnels etc., aucun pan de notre société n’est épargnée.

 

Racisme systémique : le cas du Barreau du Québec, illustration d’un ordre professionnel conscient, reconnaissant la problématique et résolu à y apporter des solutions

A titre d’illustration le Barreau du Québec, un des ordres professionnels les plus importants de la province, constataient concernant la sous-représentation des minorités visibles que « Des obstacles de nature systémique persistent et nuisent à la pleine intégration de tous à la profession« . Le Barreau dresse un portrait édifiant : 

 

La sous-représentation des minorités visibles se manifeste aussi dans les postes de
pouvoir et de direction : associés dans les grands cabinets, directeurs de services
juridiques ou juges.

 

[À des fins de comparaison, les données sur l’ensemble des membres sont présentées entre parenthèses.]

 

 

Cette « discrimination systémique » – formulation utilisée par le Barreau du Québec – à laquelle font face les « avocats racialisés » se manifeste de plusieurs manières :

 

 

Quelques exemples courants de préjugés raciaux et ethno-culturels rapportés par le Barreau du Québec :

 

 

Conscient de cette problématique et résolu à la solutionner durablement, le Barreau du Québec a entrepris l’ambitieux projet Panorama « pour une plus grande diversité ethnoculturelle et une véritable inclusion dans la profession » d’avocat. Concrètement, « le recrutement, la rétention et l’avancement des avocats issus de groupes ethnoculturels au sein des cabinets et des contentieux au Québec. Pendant trois ans, les cabinets et les contentieux partenaires du projet s’engagent à partager les meilleures pratiques pour atteindre une plus grande diversité ethnoculturelle et une véritable inclusion dans leurs milieux et dans la profession ». Le projet Panorama est « l’un des sept éléments inclus dans le plan d’action en matière de diversité ethnoculturelle que le Barreau du Québec a adopté en 2014, à la suite de la publication du rapport Forum – Pour une profession inclusive« .

Est-ce que cela marche? Une statistique : en 2008, seuls 3% des avocats québécois étaient membres d’une minorité visible et ethno-culturelles, en 2015, c’est 6% des avocats québécois appartenaient aux minorités visibles. En 2016, ils sont désormais 7%.  Ce n’est pas encore l’idéal, mais il y a là une volonté claire et une détermination manifeste de changer la donne. La dynamique est enclenchée du côté du Barreau, en espérant que l’effort soit maintenu et accentué. 

Et les autres ordres professionnels? Aucune loi ne les force à entreprendre une telle démarche, et la grande opacité qui règne sur cette question ne présume pas une situation reluisante. C’est presque du « Circulez il n’y a rien à voir ». Encore combien de temps faudra-t-il se mettre la tête dans le bas à sable?

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Racisme systémique : le cas des secteurs public et privé

Que dire du fait que « Les minorités visibles sont encore trop rares parmi les employés du secteur public québécois » – toujours une enquête de Radio-Canada constatant que sur « 500 organismes employant plus de 600 000 travailleurs » il y a un « retard accumulé par plusieurs institutions dans l’embauche de personnes de couleur » au point que c’est un manque de « 25 000 employés issus des minorités visibles ».

Le constat date de janvier 2016 et tente de faire un état des lieux : « La Société des alcools du Québec (SAQ) ne compte que 38 minorités visibles parmi ses quelque 6000 employés. À Hydro Québec, il n’y a que 312 personnes de couleur sur un effectif de plus de 20 000. 

La Commission scolaire des Patriotes, en Montérégie, fait aussi figure de mauvais élève. Elle n’emploie que 12 personnes de minorités visibles alors qu’elle devrait en compter 584, selon la cible fixée par la CDPDJ.[Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse]». Pourtant, les « minorités visibles » c’est 11% de la population québécoise, seulement 5% sont embauchés dans le public malgré les politiques officielles et incitatives.

Et c’est le secteur public, où l’on s’attend à un comportement plus inclusif.

 

Souleymane est un biochimiste formé en Union soviétique avec plusieurs années d’expérience en Europe et en Afrique de l’Ouest. Depuis qu’il a immigré à Montréal avec sa famille il y a huit ans, ce bel Africain bien noir a eu mille et un petits boulots, tous très loin d’un laboratoire. Personne ne remet en cause ses compétences, mais personne n’embauche le scientifique. « Désolé, lui dit-on souvent, le poste a été pourvu hier ». Une fois, j’ai appelé pour m’informer du poste « pourvu la veille ». Pour une Québécoise sans accent, le poste était encore vacant.

Depuis mon retour d’Afrique il y a trois ans, je tombe des nues. Je réalise avec stupéfaction que le Québec est beaucoup plus raciste que je ne l’avais jamais imaginé. J’ai longtemps été bercée par l’illusion que le Québec n’était pas raciste, ou si peu. Pour avoir vu un racisme plus ouvert et répandu en France et aux États-Unis, j’étais convaincue que mon pays était un des endroits les plus tolérants au monde. La chanteuse béninoise Angélique Kidjo me disait récemment aimer Montréal parce qu’elle n’a jamais subi de racisme ici. Sans doute n’a-t-elle jamais cherché de travail ici.

Une discrimination qui prend sa source dans un racisme apparemment bien enraciné, dans les cours d’école. Il y a quelques années, quand ma soeur a décidé d’adopter un 2e enfant haïtien (une petite fille), mon neveu, Tim, était déçu :  « Les amis vont être méchants avec elle à l’école, comme avec moi. J’aimerais mieux qu’elle soit beige comme toi, pas brune comme moi. » Les enfants sont cruels, me suis-je dit, envers tous ceux qui sortent du moule. Je refusais d’y voir du racisme. J’avais tort. Un enfant de 5 ou 6 ans n’invente pas une remarque raciste, il répète ce qu’il entend autour de lui.

Sophie Langlois, « Québec raciste?« , Radio-Canada, 5 juin 2012

 

Une chargée des ressources humaines m’avouait récemment en « off » qu’elle a assisté à plusieurs actes de discriminations raciales dans le recrutement des infirmières dans un hôpital montréalais bien connu – dont je tairais le nom. Qu’il lui a été dit que des « candidates de la sorte » ne sont pas sélectionnables. Cette responsable de ressources humaines, blanche, trouvait cela « révoltant » et qu’en 2017 l’on en soit encore là.

Qu’ajouter de plus ? Quand l’on sait toutes les difficultés du réseau de santé de pallier au manque du personnel médical, de l’attente de plusieurs années pour voir des spécialistes, de l’attente interminable pour recevoir des soins infirmiers basiques, de la pénurie de médecins ou de la gestion calamiteuse des effectifs, et que l’on se rend compte qu’il y a des ressources formées au Québec qui sont écartées parce qu’elles ne sont pas de la bonne communauté ethnique et culturelle, que les ordres professionnels font le nécessaire pour restreindre drastiquement l’accès à certaines professions à une certaine clientèle qui se retrouve être largement appartenir à la diversité, que des médecins et ingénieurs étrangers n’ont d’autre choix de survie que de finir caissiers dans une supérette ou chauffeurs de taxi, on est en droit de se demander : est-ce qu’il ne s’agit pas d’un racisme systémique ? C’est-à-dire d’une forme de traitement inégalitaire, injuste, intentionnel, culturel d’une catégorie d’individus racialisés ?

Oui, ça l’est. Oui, c’est du racisme systémique.

Dans le privé, c’est pire : 

 

« Les minorités visibles représentent 20,3 % de la population du Montréal métropolitain. Pourtant, elles occupaient moins de 5 % des postes de haute direction en 2015. Cela représente une diminution par rapport à 2012, car les minorités visibles formaient alors 5,7 % de la haute direction. L’étude a été menée auprès de plus de 3000 dirigeants dans six secteurs clés.

C’est dans le secteur privé que la représentation des minorités visibles est la plus faible : moins de 2 % des membres des conseils d’administration et hauts dirigeants en sont issus. Parmi les 60 compagnies [les plus importantes] qui ont été analysées, dont le siège social est à Montréal, on a pu observer que seulement neuf ont des minorités visibles au sein de la haute direction et seulement trois avaient des minorités visibles dans leur conseil d’administration en 2015. […] 

Le secteur de l’éducation traîne aussi la patte avec un recul de 6,4 % depuis 2012. En 2015, 3,5 % des membres de conseils d’administration et hauts dirigeants de cégeps et d’universités étaient issus de minorités visibles. Nous pensons que c’est un processus […] interne. Ce n’est pas qu’il n’y a pas un bassin de candidats potentiels, mais c’est parce qu’il doit y avoir quelque chose dans le processus de recrutement qui doit faire défaut ou qui ne met pas en avant l’importance, la nécessité d’avoir de la diversité au sein de candidats et d’employés dans une organisation », explique Julie Savaria, assistante de recherche du rapport Diversité En tête »

– Marie-Laure Josselin, « Les minorités visibles sous-représentées dans les postes de dirigeants », Radio Canada, 14 décembre 2016

 

Et dans le monde des affaires et de l’entrepreneuriat qu’en est-il?

 

Au Québec, le débat sur les immigrants, surtout les minorités visibles, est de plus en plus explosif. Or, dans cette ambiance tendue, la 40e édition du Concours provincial Arista a dévoilé les 27 finalistes de ce tremplin fabuleux pour la relève d’affaires québécoise. Point délicat, la diversité est absente de cette liste !

Rapidement, Diversité artistique Montréal (DAM), l’organisation qui défend, entre autres, la diversité culturelle dans les arts et la culture, à Montréal, est montée au créneau avec un communiqué virulent qui montre du doigt les résultats tronqués de ce plus prestigieux événement de la Jeune chambre de commerce de Montréal (JCCM). Objectivement, comment peut-on ne pas avoir une meilleure représentation des Québécois issus de l’immigration, particulièrement des minorités visibles, dans un concours comme l’Arista, alors qu’ils sont dynamiques dans le monde des affaires ?

Selon l’Indice entrepreneurial québécois de 2016 produit par le Réseau M de la Fondation de l’entrepreneurship du Québec, le taux des propriétaires des entreprises parmi les immigrants est sensiblement le même que pour l’ensemble de la population, avec un écart positif considérable pour les immigrants sur le plan des intentions et des démarches pour créer une entreprise.

Plus encore, cet Indice affirme que « les répondants immigrants ont presque deux fois plus de chance de se retrouver parmi les chefs de file que les non-immigrants ».

Visiblement, c’était le cas de la cuvée 2017 de l’Arista. Indéniablement, le processus de sélection mis en place par la JCCM n’a pas permis de refléter minimalement la réalité du terrain. Il faut l’améliorer.

 

 

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Racisme systémique sur le marché du travail

Faut-il encore le souligner qu’à diplôme et compétence égales une minorité visible québécoise a plus de chance de ne pas être retenue pour une entrevue en vue de l’obtention d’un emploi qu’un Québécois dit de souche ?

 

«Sur le marché du travail, plus on monte dans la hiérarchie des entreprises, plus les minorités visibles deviennent invisibles.» – Marie-Thérèse Chicha, professeure
à l’école de relations industrielles et titulaire de la Chaire en relations ethniques à l’Université de Montréal

Les programmes d’accès à l’égalité échouent, car il n’y a ni sanctions ni pénalités, juge Mme Chicha. «L’expérience au Québec à plus petite échelle ou à l’étranger a démontré que c’est seulement quand il y a une obligation et des sanctions que les employeurs respectent les programmes», ajoute-t-elle.

 

Les articles de journaux ne manquent pas de relayer les récits de ces minorités très instruites, diplômées d’universités et écoles québécoises, qui se retrouvent à être soit pas sous-employées soit pas employées du tout.

 

« La situation d’Arnaud Djintchui Ngongang illustre bien ce problème. Ce jeune diplômé d’origine camerounaise de 36 ans a beaucoup de mal à se trouver un emploi malgré ses qualifications. Titulaire d’un doctorat en chimie, il est installé au Québec depuis décembre 2011.

À l’époque, le Canada recherchait des chimistes, sa demande d’immigration a été accélérée, et il a obtenu sans problème la citoyenneté canadienne. Son doctorat de l’Université de Munich en Allemagne est reconnu ici. En 2013, il devient membre de l’Ordre des chimistes du Québec. Il entame même un post­doctorat à l’Université de Montréal pour mettre toutes les chances de son côté. 

Mais le temps passe et toujours pas d’offre d’emploi » – Azeb Wolde-Giorghis, « Le défi de trouver du travail pour les diplômés issus de l’immigration », Radio Canada, 18 février 2016

 

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Racisme systémique dans les médias, le monde artistique et le milieu culturel

Dois-je encore faire remarquer la sous-représentation médiatique, artistique, des minorités visibles dans le paysage québécois ?

Un « constat d’échec » selon Sophie Prégent de l’Union des Artistes (UDA) : « Notre télévision n’est pas représentative. »

Dans La Presse, Hugo Pilon-Larose en janvier 2015 référençait « moins de 5 % des rôles principaux des émissions de fiction québécoises les plus populaires de l’automne dernier étaient tenus par des comédiens de minorités visibles. La situation n’est guère meilleure dans les grands théâtres de Montréal, qui affichent un pourcentage inférieur à 5 % pour leur saison 2014-2015 ».

Peu de minorités visibles à la télévision, et si l’on reproche à ces dernières de ne pas suffisamment rejoindre les écoles formatrices adéquates, il faudrait se demander pourquoi ?

Peut-être parce que le sentiment est que tout ça finalement ne mène à rien puisque à la base le système donne l’impression qu’il n’en rien à faire et agit à leur faire comprendre qu’elles ne sont pas voulues. Plusieurs acteurs du milieu artistique montréalais vous le diront les rôles majeurs ou principaux ne sont pas écrits pour « eux autres », les annonceurs vous diront « Le public aura de la misère avec ça et s’attend à des gens bien de chez nous », les maisons de production musicale ne diront pas le contraire (sauf si en tant qu’artiste issue de la diversité on rentre dans le stéréotype attendu). Ces minorités visibles nées et qui ont grandi dans un milieu où les références étaient monochromes, ont-ils envie de tenter leur chance quant au fond elles savent que depuis le temps elles n’ont aucune chance ?

À quand une présentatrice du téléjournal aux origines Autochtones ? Une Céline Dion d’origine asiatique ? Un Idriss Elba québécois ? Un Xavier Dolan d’origine arabo-persique ? Un Barack Obama provincial ? Un Alexandre Taillefer d’origine haïtienne ? Etc. Combien de siècles le Québec va-t-il rester dans le déni avant de reconnaître à quel point la province est structurellement raciste ? Combien de temps devra-t-elle nier ce problème, éviter la question, prétendre sans pince-rire qu’à force de vouloir en parler on rendrait les gens encore plus racistes qu’ils ne le sont, vraiment ?

 

« Nous avons un bassin d’acteurs issus de la diversité. Je peux bien les proposer à tout le monde, mais si personne n’en veut, je reste avec mon catalogue. […] Quand j’ai vu que 19-2, au Canada anglais, présentait un Noir dans un des deux rôles principaux, je me suis dit : « Zut, ils sont rendus plus loin que nous » », concède Sophie Prégent.

 

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Au Canada, la situation n’est pas complètement flatteuse malgré des progrès indéniables, la professeure Minelle Mahtani qui s’est penchée sur la question « affirme que les médias de divertissement [canadiens] partagent plusieurs des problèmes présents dans les émissions américaines, illustrant une tendance similaire à sous- ou mal représenter les minorités visibles. Elle écrit que cette sous-représentation « suggère une futilité ou une non-existence [de ces groupes] ». – Mahtani Minelle, « Representing minorities: Canadian media and minority identities », Canadian Ethnic Studies/Etudes Ethniques au Canada, 2001, pp. 99-133.

 

 

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Et non (tous) les Québécois ne sont pas racistes

« Si on vous demandait un mot pour décrire les immigrants qui se trouvent au Québec, qu’est-ce que ce serait ? », a-t-on demandé à des Québécois dits « de souche », dans le cadre d’un vox pop géant publié aujourd’hui visant à prendre le pouls des citoyens sur les enjeux de racisme. « Courageux », ont-ils souvent répondu. Ou encore « travaillants ».

« Si on vous demandait un mot pour décrire les Québécois, qu’est-ce que ce serait ? », a-t-on aussi demandé à des immigrés. « Accueillants » fut l’un des mots choisis le plus souvent.

Les réponses au questionnaire de La Presse ont généralement quelque chose de réconfortant. Même si l’exercice n’a aucune prétention scientifique, il nous tend le miroir d’une société globalement ouverte à l’immigration.

Ai-je été surprise par ces réponses ? Non, pas surprise du tout. 

L’un des reportages les plus enthousiasmants que j’ai faits l’année dernière était campé à Saint-Ubalde, village de 1400 habitants situé entre Québec et Trois-Rivières. Un petit village au grand coeur qui s’était mobilisé pour accueillir une famille de réfugiés syriens.

Ce Québec généreux fait moins de bruit que les groupuscules d’extrême droite. Il fait rarement les manchettes. Mais il est bien vivant. 

 

Le Québec est systémiquement parlant raciste. C’est un fait. Est-ce à dire que tous les Québécois sont racistes ? Non.

Néanmoins, il reste encore en 2017 une proportion non-négligeable, effarante, de racistes et un degré assez préoccupant de racisme, étonnant à notre époque qui se veut si moderne, si ouverte, si « mondialisée ».

Est-ce que le Québec a plus de racisme que les autres provinces canadiennes ? Je n’en ai cure. Sincèrement. Le bordel chez le voisin n’est pas ma préoccupation, c’est le foutoir chez moi qui m’intéresse, car je vis là-dedans. Je n’ai pas à me comparer au pire ailleurs pour me trouver convenable, je dois pouvoir me comparer à la meilleure version de moi-même, celle que je veux être, celle à laquelle j’aspire, et celle qui inspirera sans doute les autres à faire mieux.

Se comparer doit permettre de progresser et non de rester dans le statu quo. Se comparer doit favoriser le développement des idées nouvelles et pas conforter l’immobilisme ou privilégier le nivellement par le bas.

Nous avons un problème, il est spécifique parce qu’il s’est développé dans notre environnement singulier, qu’il se manifeste de façon particulière, et qu’il doit être traité selon nos processus de conciliation et de pacification.

Et je vous en prie épargnez-moi l’argument d’un racisme des deux bords, franchement c’est celui qui est le plus imbécile.

Pourquoi ? Parce que dans le contexte québécois le racisme anti blanc est un épiphénomène comparé au cancer qu’est le racisme anti diversité et qui rend malade le corps institutionnel et social, ainsi on ne peut mettre au même niveau des attitudes haineuses de quelques-uns, d’un groupe pratiquement insignifiant et ce racisme culturel puissamment discriminatoire qui ne se dit pas trop, qui ne se montre pas trop – exception de ces dernières années et de ces derniers mois –  qui est implicite, sournois, tout en restant profondément enraciné dans le système, la psyché.

L’argument « racisme anti blanc » au Québec est une ânerie, et c’est un euphémisme. Faut pas comparer l’incomparable.

 

« L’Enquête sur la diversité ethnique (2003) réalisée par Statistique Canada porte sur les antécédents ethniques et culturels de la population canadienne. L’enquête révèle que 93 % des Canadiens n’ont jamais ou rarement été victimes de discrimination ou de traitements injustes en raison de leurs caractéristiques ethnoculturelles. Cependant, les personnes disant avoir été victimes de discrimination appartenaient habituellement à des minorités visibles et étaient plus souvent des immigrants récents plutôt que des Canadiens de deuxième ou de troisième génération. »

 

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Le privilège Blanc comme négation d’une réalité non-blanche : le refus, le déni, la non-prise de conscience

Combien de Blancs se sont-ils faits refuser un travail du fait de leur couleur ou de leur origine ethnique ?

Combien n’ont pas eu accès à un logement du fait de celle-ci ? Combien ont connu des traitements humiliants dans le service à la clientèle du fait de leur face ou de leur intonation « ethniques » ?

Combien se sont-ils faits traiter comme des indésirables dans les restaurants, des bars, des lieux de loisir, simplement parce qu’ils avaient une certaine tronche ? Combien ont été injuriés de « Sales blancs ! » ?

Combien ont-ils eu à montrer patte blanche parce qu’ils étaient présumés coupables ou indignes de confiance à cause de leur couleur ? Combien entendent-ils tous les jours à quel point ils sont idiots, « Pas vite vite », qu’ils sentent mauvais et qu’ils sont malpropres, qu’ils parlent forts et crient, qu’ils sont trop émotifs ou émotionnels, qu’ils n’ont pas la sensibilité esthétique, qu’ils n’ont pas une grande créativité, qu’ils sont présumés « être du trouble », seulement à cause de leur couleur ?

Combien doivent-ils justifier, expliquer, clarifier, le fait que les Blancs ne sont pas tous pareils ?

Combien doivent-ils être contraints de condamner et de se désolidariser des actes d’un énergumène comme ceux du terroriste de la mosquée de Québec afin de montrer qu’ils sont « corrects » ? Combien sont-ils ? Combien subissent-ils ce racisme anti-Blanc ?

Je doute que vous soyez très nombreux.

Pour ceux qui n’ont jamais vécu les situations susmentionnées, vous êtes des veinards, on nomme ça le « Privilège blanc ». C’est-à-dire l’ensemble des avantages sociétaux dont vous bénéficier en raison de votre couleur comparativement aux « autres races » et cela sans souvent vous en rendre compte. 

 

« Le privilège blanc est un racisme qui soutient, mais se distingue du racisme institutionnel et individuel. Il les soutient parce qu’ils sont tous deux dépendants des privilèges des personnes blanches (que les concernés s’en rendent compte ou non). Il s’en distingue dans son intention.

Le privilège blanc concerne les structures, pratiques et idéologies homogènes qui reproduisent le statut privilégié des blancs. Dans ce scénario, les blancs n’ont pas forcément l’intention de nuire aux personnes racisées, mais ils le font quand même parce qu’ils ne sont pas conscients de leur privilège blanc, et parce qu’ils accumulent les avantages sociaux et économiques en maintenant le statu quo. »

Laura Pulido, « Rethinking Environmental Racism: White Privilege and Urban Development in Southern California », Annals of the Association of American Geographers, vol. 90, no 1,‎ 1er mars 2000, p. 15

 

Pierre Tévanian dans ses « Réflexions sur le privilège blanc » (pp. 23-33) de l’ouvrage collectif Dans De quelle couleur sont les blancs : Des « petits Blancs » des colonies au « racisme anti-Blancs » paru en 2013 éclaire de ses lanternes (sous le prisme franco-français) en commençant par se poser cette question pour lui totalement incongrue : « Que veut dire être blanc ? »

Et de poursuivre « Jusqu’à un passé récent, je ne m’étais jamais posé une telle question, car jamais on ne m’avait interrogé à ce sujet. C’est du reste la première réponse que l’on peut apporter : « Être blanc, c’est ne pas avoir à se poser la question “qu’est-ce qu’être blanc ?, ne pas avoir, contrairement aux Noirs, Arabes et autres non-Blancs, à s’interroger sur soi-même, son identité […] »

La suite du texte est une analyse à lire pour ceux d’entre vous qui voudraient en savoir plus. Le propos liminaire de Tévanian illustre toute la difficulté qu’ont les Blancs à comprendre pourquoi les Noirs, les Arabes, les Asiatiques etc. ressentent-ils le besoin de se définir comme Noirs, Arabes, Asiatiques etc., de se regrouper dans des associations visant à défendre et à revendiquer leur identité, leur origine. Visant à constituer un réseau de soutien.

Il m’est arrivé plusieurs fois d’être interrogé par mes ex congénères Blancs sur la nécessité de créer une plateforme « Black Law Students », d’y voir du communautarisme, voire du racisme anti-Blanc. Je leur répondais ceci :

 

« Dis-moi combien d’avocats Blacks y a-t-il dans les grands cabinets ici à Montréal ? Combien y a-t-il dans les cabinets juridiques tout court ? Combien de juges Québécois issus de la diversité ? Combien de professeurs en droit d’origine ethnique ici à la faculté ? Combien de chargés de cours appartenant aux communautés culturelles ? Combien de minorités visibles as-tu vues dans les grandes soirées où se retrouvent le gratin juridique montréalais ? Combien de minorités visibles écrivent-elles dans le journal de la fac ? Combien sont-ils invitées et acceptées dans tous ces petits clubs fermés dont vous êtes presque tous membres ? Combien de procureurs de la Couronne d’origine ethnique as-tu déjà rencontrés ? Maintenant combien crois-tu que cette faculté si élitiste accepte et forme d’étudiants issus des communautés culturelles, et combien d’entre eux pourtant aussi brillants que les meilleurs ont les opportunités que toi tu as et qui te paraissent normales ? »

 

Généralement, la discussion qui s’en suit permet à mon interlocuteur de se mettre dans ma perspective, ma réalité, de la voir, et quelques fois de la vivre. Ce n’est pas original, Peggy McIntosh en 1988 dans son célèbre texte « White Privilege : Unpacking the Invisible Knapsack. » – « Défaire le sac à dos invisible » procède de la même façon. Elle regarde sa réalité avec d’autres yeux :

 

« En considérant les privilèges masculins non reconnus comme un fait établi, j’ai réalisé que, puisque les hiérarchies sociales s’entrecroisent, il était vraisemblable qu’il existait aussi un privilège blanc qui était nié et protégé de façon identique. En tant que personne blanche, on m’avait enseigné que le racisme infligeait des désavantages à un groupe humain, mais on m’avait aussi enseigné à ne pas voir un de ses aspects corollaires, le privilège blanc, qui m’offrait des avantages en plus.

Ayant réalisé à quel point les hommes s’appuient sur des privilèges inavoués, j’ai compris que l’essentiel des oppressions qu’ils infligent étaient inconscientes. Puis je me suis rappelé les charges fréquentes des femmes de couleur sur le caractère oppressant des femmes blanches qu’elles côtoient. J’ai alors commencé à saisir en quoi nous étions oppressives, même sans nous voir de cette façon. J’ai commencé à compter toutes les façons dont j’avais pu bénéficier d’un privilège de couleur de peau, tout en étant conditionnée à rester aveugle sur son existence.

Ma scolarité ne m’a donné aucun entraînement à me considérer comme un oppresseur, comme une personne bénéficiant d’avantages injustes ou comme une actrice d’une culture blessante. J’ai été éduquée à me regarder comme un individu dont la moralité dépendait de ma seule volonté individuelle. Mon éducation suivait le schéma souligné par ma collègue Elizabeth Minnich : les blancs sont éduqués à regarder leur vie comme moralement neutres, normatives et moyennes, ainsi qu’idéales. À tel point que lorsque nous agissons pour aider les autres, c’est regardé comme une façon de « leur » permettre d’être un peu plus comme « nous ».

Pour autant que je puisse en juger, ma collègue, mes amis et les connaissances Afro-Américaine que j’ai croisées quotidiennement ou fréquemment sur cette période, en ce lieu et dans le cadre de ce travail ne peuvent pas compter sur la plupart de ces situations :

2/ Si je dois déménager, je suis à peu près certaine de louer ou acheter une maison dans un quartier que je peux me payer et où je souhaite vivre.

3/ Je suis à peu près certaine que mes voisins dans cet endroit seront neutres ou accueillants.

5/ Je peux allumer la télévision ou ouvrir mon journal et voir que les gens de ma couleur sont largement représentés

6/ Lorsqu’on me parle de mon héritage culturel ou de la « civilisation », on me montre que ce sont des gens de ma couleur qui l’ont bâtie.

7/ Je suis certaine que mes enfants auront des manuels qui ne nieront pas l’existence de leur race.

12/ Je peux jurer, ou m’habiller avec des fripes ou ne pas répondre à mon courrier, sans que personne n’attribue ces choix à une mauvaise moralité, à la pauvreté ou à l’illettrisme de ma race.

14/ Je peux réussir dans une situation difficile sans qu’on crédite ce succès à ma race.

15/ On ne me demande jamais de parler au nom de ma race.

17/ Je peux critiquer notre gouvernement et expliquer combien je crains ses choix politiques et son comportement sans qu’on me regarde comme un intrus culturel

18/ Je suis à peu près certaine que si je demande à parler à « la personne en charge », je ferai face à une personne de ma race.

20/ Je peux facilement m’acheter des affiches, des cartes postales, des livres d’images, des cartes de vœux, des poupées, des jouets et des magazines pour enfants qui représenteront ma race.

21/ Je peux rentrer à la maison après un meeting politique en me sentant concernée plutôt qu’isolée, déplacée, débordée par le nombre, inaudible, tenue à distance ou même crainte.

22/ Je peux prendre un emploi dans une entreprise qui pratique la discrimination positive sans que mes collègues me suspectent de l’avoir obtenu à cause de ma race.

23/ Je peux choisir un café ou un restaurant sans craindre que les gens de ma race y soient refoulés ou maltraités.

25/ Si ma journée, ma semaine ou mon année ont été mauvaises, je n’ai pas besoin de vérifier chaque épisode négatif en me demandant si un facteur racial a joué.

26/ Je peux choisir des protections pâles ou des pansements de couleur chair, qui correspondront plus ou moins à ma couleur de peau.

J’ai systématiquement oublié chacun de ces points jusqu’à ce que je les couche sur le papier. Dans mon cas, les privilèges blancs étaient devenus un objet fuyant et élusif. La pression pour les éviter est grande, car pour y faire face, je devais oublier le mythe de la méritocratie. Si ces choses sont vraies, ce n’est pas tant que ça un pays libre. La vie d’une personne n’est pas ce qu’elle en fait. De nombreuses portes ouvertes à certaines personnes ne le sont pas à cause de leurs mérites.

Je pense que les blancs sont soigneusement éduqués à ne pas voir les privilèges blancs, de la même façon que les hommes sont éduqués à ne pas voir les privilèges masculins. Dès lors, j’ai commencé à me demander, de façon empirique, ce que pouvaient être ces privilèges blancs. J’en suis venue à voir les privilèges blancs comme un paquet d’avantages immérités sur lesquels je peux compter chaque jour, mais dont on attendait que je ne me préoccupe pas. Les privilèges blancs sont comme un sac à dos invisible et sans poids, rempli de réserves spéciales, de cartes, de passeports, de clefs sociales, de visas, de vêtements, d’outils et de chèques en blanc. […] »

 

Alors avant de raconter n’importe quoi, il est important de remettre les choses à leur juste place. Le racisme est une connerie, nous sommes tous d’accord là-dessus, mais opposer un phénomène très marginal d’un comportement relevant du crétinisme à une problématique d’une dimension aussi importante qu’est le racisme systémique, culturel, c’est absolument débile.

 

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Couvrez ce racisme systémique que je ne saurais voir

La Commission sur le racisme systémique au Québec a provoqué une levée de bouclier, entre le tollé et la bronca, chez les politiques, les médiatiques, le public, le « Blanc » Québec est presque hystérique devant cette « provocation » et cette « accusation » ignoble, « inacceptable ».

Mais ce sont toujours les mêmes qui parlent. Les minorités visibles et ethniques elles se bousculent devant la Commission. Pour une fois qu’on leur donne la parole, qu’elles peuvent enfin s’exprimer, dire leur réalité, se libérer, en espérant être comprises. Un vœu pieux ? On verra bien.

Pour l’instant, le rejet de cette Commission accablée de tous les maux en dit long sur l’ampleur du travail qu’il faut effectuer au Québec.

Si cette opinion publique a des difficultés à voir à quel stade est le cancer, qu’elle est autant sur la défensive, c’est parce qu’elle n’a eu de cesse de considérer d’abord les choses de son propre point de vue, de sa seule perspective. Elle ne voit pas le problème. Ou se refuse de le voir. À la fois l’un et l’autre.

Elle se considère comme propriétaire de la maison Québec sur le fronton duquel est inscrit en lettres capitales « Maîtres chez nous ». Les autres sont de simples locataires, ou des invités en transit. Ceux-ci ne peuvent pas trop rouspéter sinon qu’ils « retournent chez eux ». Les Autochtones y compris.

Parler du racisme systémique au Québec, c’est écorner l’image « Peace and Love », « Généreuse », « Rainbow » et « Open Minded » que l’on a créée de toutes pièces. C’est porter un coup au récit national, au storytelling. Ça fait mal, c’est douloureux.

Certes, il n’y a pas de violences raciales, de conflits raciaux ouverts, comme dans certaines sociétés occidentales, mais de là à dire que tout va bien dans le meilleur des mondes est un mensonge.

Il y a une violence raciste au Québec, elle est larvée, psychologique, subreptice, pernicieuse. Elle est inaudible pour la plupart du temps, elle ne s’exhibe pas tout le temps, elle ne se revendique pas explicitement, pourtant elle est présente et palpable.

Les gens sont moins ouverts qu’ils ne le prétendent, le système est moins inclusif qu’il ne le laisse penser, les mentalités sont encore rétrogrades – surtout lorsque l’on sort de la région montréalaise et que l’on s’égare dans le Québec moins cosmopolitain.

Le Québec profond. Il n’est pas rare d’entendre des commentaires ahurissants et de vivre des situations hallucinantes.

 

« Le racisme culturel considère que certaines différences culturelles sont indépassables et empêchent toute forme d’intégration dans la société de personnes d’une origine ethnoculturelle différente. Le racisme culturel prend souvent des formes plus subtiles que le racisme classique, ce qui exige l’adoption de nouvelles stratégies pour le reconnaître et le combattre. Une fois reconnu, il doit être combattu avec autant de fermeté que pour le racisme classique puisqu’il maintient tout autant les inégalités et les injustices sociales en tentant de justifier l’exclusion et la marginalisation de populations sur la base de leurs différences culturelles. La discrimination est une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les motifs interdits par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui a pour effet de détruire ou compromettre l’exercice des droits et libertés. Ces motifs sont : la « race », la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap. La discrimination peut se manifester autant par l’exclusion que par le harcèlement ou un traitement défavorable. »

 

Personnellement, j’en ai vécu mon lot, et je continue à les vivre, je vous épargne les détails. Et je ne connais pas une minorité visible dans mon entourage qui ne l’ait pas vécu. Quelques fois, c’est décomplexé, souvent c’est d’une subtilité qui frise le ridicule. Comme la fois où un mec, responsable du recrutement dans une entreprise, m’a demandé si je comprenais les mots qui sortaient de sa bouche, parce qu’il a supposé que du fait de ma couleur et de mon origine africaine que trahit mon patronyme j’étais un peu analphabète (« Non, je ne comprends que le langage des signes, si vous préférez des singes ! »).

J’ai eu de belles rencontres au Québec, et jamais aucune mauvaise expérience aussi traumatisante soit-elle ne me fera oublier la beauté de la Belle province, la chaleur humaine de certains cœurs, l’éclat de certaines âmes, l’authenticité de certains caractères.

Et je suis finalement très à l’aise pour le réaffirmer, non les Québécois ne sont pas tous racistes, oui le Québec a un problème de racisme systémique. Que ceux qui peuvent faire la nuance le fasse, quant aux autres que vous voulez que je vous dise, il n’y a rien à faire.

 

Cependant, je pense que le second mythe dont je parle, celui qui
accorde très peu de place au racisme dans la mentalité québécoise,
repose moins sur des chiffres que sur un postulat rarement explicité,
le plus souvent latent et même inconscient, selon lequel le peuple
canadien-français devenu québécois, ayant été lui-même longtemps
colonisé, dominé, méprisé (qui ne connaît les appellations classiques
de pea soup, frog, Canuck?), ne saurait lui-même à son tour dominer,
mépriser, ostraciser. Il y aurait ici l’idée qu’un peuple colonisé peut
difficilement devenir colonisateur, qu’avoir été ou être dominé enraie
tout esprit de domination, ou encore qu’un peuple faisant l’objet
de racisme ne peut pas être lui-même raciste.

Dans un tout autre ordre d’idée, le sociologue Daniel Gay publiait
à la fin de 2004 une étude historique très documentée, Les Noirs du
Québec, 1629-1900. Or, l’auteur raconte comment, au moment où il
concevait son projet et entreprenait la rédaction, les personnes à qui
il en parlait réagissaient avec scepticisme, voire avec des sarcasmes.
Une histoire des Noirs au Québec n’avait selon eux aucun intérêt,
aucune espèce d’importance. Ici encore, certes, on ne saurait parler
d’un racisme virulent, mais une telle indifférence teintée de mépris
pointe tout de même vers une force d’inertie de la société québécoise,
vers des formes discrètes et quelque peu sournoises de rejet de l’autre
et de racisme ou de xénophobie ordinaires. La question n’est pas ici
de se comparer, de proclamer tout de suite bien haut que d’autres
pays, d’autres peuples sont bien pires que nous. Ce genre d’autodisculpation ne peut avoir pour seul effet que de bloquer tout débat, de rendre impossible le moindre examen de la question.

Pierre Nepveu, Le racisme au Québec : éléments d’une enquête, Liberté,  pp. 53–76

 

Ces derniers temps, il ne faut donc pas parler de racisme systémique. Le PLQ vient de se prendre une déculottée dans une élection partielle pourtant largement à sa portée (puisque se déroulant dans un château fort du parti, un bastion libéral), comme un mauvais présage pour les élections de l’an prochain.

Un chroniqueur du Journal de Montréal l’avait prédit il y a peu avec une grande finesse : « Ça commencera dans la circonscription de Louis-Hébert […] . Le PLQ aura droit à sa fête du mouton. […] Les francophones de souche sont peut-être d’une bonne pâte mais pas totalement dépourvus de ressort […] ». C’est le Journal de Montréal, le quotidien du Peuple « francophone de souche », l’électorat populaire du Québec majoritaire – celui qui n’a pas des « électeurs racisés ». Et il veau ce qu’il vaut.

Philippe Couillard quant à lui, le Premier ministre québécois, se rend bien compte que son affaire de Commission montée à la va-vite pour tenter de s’attirer ce que Parizeau appelait le « vote ethnique » est un coup d’épée dans l’eau. Il songe à mettre sous glace les travaux de la Commission, le retour sur investissement n’est pas au rendez-vous. C’est cela avoir de la solidité dans ses convictions.

Philippe Couillard l’ignorait peut-être, les minorités visibles sont aussi des citoyens à l’instar des autres, bien avant une couleur et une appartenance culturelle. L’austérité ça leur parle aussi. Les petites magouilles. Le soutien aux petits amis riches contributeurs du parti. Et si le PLQ a perdu une circonscription imperdable, c’est aussi parce que cet électorat-là l’a sanctionné et n’a pas oublié. Mais cela aucun chroniqueur ne daignera le dire, parce qu’il est plus facile de faire passer cette cuisante défaite uniquement sous le prisme du refus de cette maudite Commission « multiculturaliste » aux accointances « islamistes ».

Ce qui est en fin de compte drôle, je veux dire hilarant, dans cette affaire de racisme systémique, c’est que s’il y a une ethnicisation du débat elle vient toujours de la majorité blanche. Les minorités visibles ne sont pas celles qui ethnicisent la discussion, elles parlent de leur histoire, de leur vécu, de leur expérience, de leurs aspirations, surtout elles s’interrogent et interrogent.

C’est la majorité blanche dans son obsessionnel besoin de s’ethniciser en définissant une identification souscrite par laquelle des individus ou des groupes ne sont plus tant assignés à résidence qu’ils s’autodéfinissent, délimitant des territoires identitaires (« eux/nous ») – pour paraphraser Michel Kokoreff dans « La banalisation raciale. À propos du racisme « anti-blancs » », Mouvements, vol. no 41, no. 4, 2005, pp. 127-135 – qui trace les murs-frontières de verre dans lesquelles elle espère que se tiennent tranquilles les « eux autres » invisibles. Des fantômes bien sages, assimilés comme il faut c’est-à-dire blancs comme linge.

Quelques mois après l’attentat terroriste de la mosquée de Québec, quelques temps après la vive polémique entourant l’octroi d’une terre pour la construction d’un cimetière musulman afin que les morts puissent comme dans les nécropoles catholiques être enterrés dans la dignité, quelques semaines après les manifestations du groupe néo-nazi La Meute, des têtes de cochon et autres vandalismes perpétrés contre les musulmans, et la banalisation de plus en plus de la parole raciste, il faut « Couvrir ce racisme systémique que je ne saurais voir / Par de pareils objets les âmes sont blessées / Et cela fait venir de coupables pensées ». Ainsi soit-il. Couvrons donc. Voilons. De la tête aux pieds.

 


Le texte de Peggy McIntosh (version originale) : white_privilege.

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