
[…] être célèbre, au XXIe siècle, ce n’est pas porter un nom mais avoir un visage qui a été vu en photo par des milliers, voire des millions de gens.
[…] l’essentiel est d’être vu comme une personne extraordinaire.
La traque médiatique (et maintenant la « chasse aux stars » sur Internet), après avoir exploré la vie publique des intéressés, fouille désormais leur vie privée : ils n’ont donc plus de vie privée, sauf dans la clandestinité. […]
Il est clair qu’aujourd’hui toute personne « visible » est devenue éligible : il y a soixante ans, les mannequins n’avaient même pas de prénom. Puis elles ont eu des pseudonymes. Maintenant, les top modèles portent leur vrai nom, ont une vie, des amours et des opinions. Voilà pour le pouvoir révélateur de l’image.
Journet Nicolas, « La célébrité est-elle une nuisance ? De la visibilité . Excellence et singularité en régimes médiatiques . Nathalie Heinich , Gallimard, 2012, 590 p., Sciences humaines 4/2012 (N° 236) , p. 40-40
Kim Kardashian a sauvé le monde du sérieux insipide qui tentait de le plonger dans des tréfonds infernaux, de la monotonie affligeante des discours sur le pourquoi du comment, des politiques qui donnent la rage.
Elle a, de par son expertise certifiée en vide intellectuel, par ses performances vocales casserolièrisées, offert aux adulescentes en crise de tout, des raisons d’y croire.
Elles savent désormais que pour régner dans les cimes de la célébrité, quitter le nobody pour le legend, il suffit de suivre fidèlement le parcours exemplaire de cette entité créée par la bêtise (ECB).
Produire une sextape, jouer les victimes à fond, et tout faire – absolument tout – pour rester sous le feu des projecteurs.
Warhol croyait au quart d’heure de célébrité, aujourd’hui c’est largement insuffisant. C’est une vie entière que l’on voudrait dans la gloire.
Alors pour y parvenir, faute de persévérance, de travail, d’abnégation et de conviction, on se met à nu.
On écarte les jambes et on laisse le monde s’enthousiasmer de nos performances sexuelles.
Dans les chambres d’étudiant, les cameras ont remplacé les livres, les Kim Kardashian se filment en priant que le scandale leur apporte l’ivresse du fame. La culture de la facilité comme une nouvelle peste, et la contagion est un like viral.
Restent deux autres versants du problème : les célébrités et leurs admirateurs. Pourquoi se prêtent-ils au jeu du voir et d’être vu ? Tous inconvénients mis à part, peu de gens célèbres résistent au plaisir d’être regardés, recherchés et contemplés comme des rois ou des dieux : « C’est comme une drogue, disent certains, le jour où ça finit, on plonge dans la déprime. »Pour les admirateurs, c’est plus complexe, car tous les degrés existent.
le « fan » ou la « groupie », qui s’active à approcher l’objet de son désir ou à compiler la moindre relique le concernant, il faut comprendre que son attachement à la personne des célébrités est une source inépuisable d’émotions, allant de la passion érotique jusqu’à l’identification valorisante, en passant par le frisson de la communion de groupe.
Journet Nicolas, « La célébrité est-elle une nuisance ? De la visibilité . Excellence et singularité en régimes médiatiques . Nathalie Heinich , Gallimard, 2012, 590 p., Sciences humaines 4/2012 (N° 236) , p. 40-40
On ne peut qu’aimer cette époque qui donne l’impression que n’importe qui avec n’importe quoi peut devenir une légende. Entre Olympe des Parvenus et Panthéon des superficialités.
Cette époque est la seule dans l’histoire du monde qui offre une telle chance d’égalité devant le non-sens, et ça c’est une avancée majeure, comme on dit un progrès.
Rien de bien grave puisque l’on aime ça.
Il faut apprendre à vivre avec son temps. Avec les pantalons slim ridicule ou au milieu des fesses, le short ultra mini qui empêche les flatulences de respirer librement – les pauvres, le jeans montrant de gros bouts de cul comme des morceaux de viande sur le comptoir d’une boucherie lambda, le caleçon ou le string Calvin Klein synonyme contemporain de beauté intérieure.
Il faut vivre avec son temps.
Avec le développement de la télévision dans la seconde moitié du xxe siècle, le phénomène prend à la fois une nouvelle ampleur et une nouvelle inflexion : les objets d’admiration perdent de leur exceptionnalité et gagnent en quotidienneté, permettant à de simples animateurs de télévision (Chalvon-Demersay S., Pasquier D., 1990), puis à des gens ordinaires (avec la « télévérité » dès les années 1980 [Mehl, 1996] et la « téléréalité » à la fin des années 1990 [Segré, 2008]), d’accéder au désormais fameux « quart d’heure de célébrité » octroyé à tout un chacun que pronostiquait l’artiste américain Andy Warhol en 1968 (Warhol, 1975).
Heinich Nathalie, « La consommation de la célébrité », L’Année sociologique 1/2011 (Vol. 61) , p. 103-123
Il faut vivre avec son temps.
Kim Kardashian devrait recevoir le Prix Nobel, elle le mérite. Elle et ses soeurs, ses amies, et j’en passe.
Elles ont ouvert le boulevard à la surconsommation des célébrités. Du famous snapchat.
Tout ceci mérite bien un Nobel.
Sans elles, c’est toute une jeunesse sclérosée qui aurait finie dans les décombres. Au moins là, elle se trouve une raison d’exister : être une star.
Du rien, certes. Mais au fond, on s’en fiche.
Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont appelé le « monde du renom » (Boltanski et Thévenot, 1991) : vulgarité, avec le règne de la foule et des masses sans éducation ; irrationalité, avec l’histrionisme des vedettes et l’hystérie de leurs admirateurs ; idolâtrie, avec l’inauthenticité d’une adoration détournée de ses vrais objets ; vanité, avec de « fausses gloires » qui n’existeraient pas sans une « construction sociale » ; aliénation à une « société du spectacle » qui détourne le peuple de ses valeurs authentiques ; nature simplement « marchande » de ces objets fabriqués pour alimenter un marché.
Heinich Nathalie, « La consommation de la célébrité », L’Année sociologique 1/2011 (Vol. 61) , p. 103-123
