L’Accord de Paris (sur les changements climatiques) est un foutage de gueule

« Quel droit international face au changement climatique ? » de Sandrine Maljean-Dubois[1] est une réflexion sur ce que devrait être l’après-Kyoto, publiée dans la Revue juridique de l’Environnement et antérieure à l’Accord de Paris. En ce sens, rétrospectivement, il peut servir de grille d’évaluation dudit Accord.

Quelle est la nature du droit international post-Kyoto ? Répondre à cette question, avant toute chose, c’est faire un état des lieux. Si l’auteure reconnaît d’emblée les progrès réalisés grâce à la Convention-cadre des Nations sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992 et son Protocole adopté à Kyoto[2] en 1998 – ayant permis une relative réduction[3] des émissions des gaz à effet de serre durant sa « première période »[4], elle remarque aussi que ces « effets positifs » sont restés trop limités pour pouvoir remplir toutes les promesses et les obligations de la communauté internationale. Face à « l’explosion des émissions » des pays dits émergents et l’augmentation significative des émissions mondiales, le régime international semble à la fois impuissant à protéger l’humanité en menant « une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques »[5] et incapable de permettre une meilleure adaptation devant les impacts du phénomène.

Ce régime est dans cette perspective devenu inopérant. Ainsi, la chercheuse tente de proposer ce qui serait susceptible de constituer un nouveau cadre juridique plus opérationnel. Selon elle, il est impératif qu’il soit ambitieux et devienne le « socle d’une gouvernance internationale du climat élargie ». C’est-à-dire que d’un côté l’Accord de Paris devrait être l’occasion de prendre aux mots les engagements étatiques de maintenir (bien que probablement insuffisant[6]) l’augmentation moyenne de la température de la planète en-dessous de 2°Celsius d’ici 2100 (soit une réduction de 40% à 70% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050) en interdisant une révision à la baisse de leurs contributions nationales. Cela nécessite la continuité d’un régime contraignant et l’élaboration d’un mécanisme international de contrôle plus « robuste ».

De l’autre côté, le prochain cadre juridique devrait être le fondement d’une gouvernance mondiale plus inclusive : généralisation des obligations en mettant fin à la binarité « Pays industrialisés » (qui depuis la CCNUCC et Kyoto ont l’obligation d’« agir immédiatement » et faire preuve d’exemplarité compte tenu de leur rôle historique dans la formation et l’aggravation du problème climatique) et « Pays en développement (encouragés à agir) ; harmonisation des différents « espaces conventionnels[7], institutionnels » ainsi que des normes d’évaluation ; reconnaissance des actions des acteurs infra-étatiques tout autant la promotion des partenariats public-privé. Bref, un régime international « défragmenté » à la nature intégrative.

Maljean-Dubois propose un texte de solutions. Ces dernières ne sont ni hors de portée ni particulièrement impossibles. En peignant de manière précise le visage d’une problématique protéiforme, elle a su ne pas tomber dans le naïf, l’idéalisme béat et stérile, de telle sorte que ses solutions ambitieuses sont empreintes d’un remarquable pragmatisme sans sacrifier les principes juridiques internationaux élaborés depuis 1992. La prouesse a le mérite de l’accessibilité et de l’efficacité. L’Accord de Paris a-t-il répondu à cette attente ? L’Accord de Paris fait « pschitt [8] ».

Malgré les vivats du Bourget, dans ce merveilleux monde chantonnant la ballade des gens heureux[9], l’Accord de Paris est un tintamarre de Castafiore[10]. Presque une escroquerie[11]. En effet, cet Accord présenté comme un post-Kyoto du XXIe siècle est un anachronisme pour au moins deux raisons.

Première, en voulant gagner en flexibilité[12] il jette aux orties le caractère contraignant du régime international de 1997[13]. Or, devant le péril climatique[14] et le chaos qu’il annonce, l’obligation de sécurité collective[15] qu’il impose, en arriver à un traité international de la nature de la SDN[16][17] est proprement irresponsable[18]. Deux ans après son entrée en vigueur, le nouveau régime international a la gueule de bois[19], et semble plutôt foutu[20] (le retrait américain – deuxième pollueur mondial – en juin 2017, les échecs de Marrakech[21] en 2016 et de Bonn[22] en 2017).

Deuxième raison, l’Accord de Paris peu ambitieux n’a pas saisi l’opportunité de « repenser la gouvernance internationale du climat » en s’ouvrant et en intégrant les « contributions » – d’ailleurs importantes[23] – complémentaires[24] des acteurs infranationaux[25] et autres non-étatiques et en se décloisonnant juridiquement[26][27].  La gouvernance internationale présente est une action fragmentée et un forum d’États où la coopération reste ambiguë[28].

On rétorquera : il vaut mieux ça que rien. Donner du temps au temps. Seulement, concernant le réchauffement climatique, le temps est un luxe que l’humanité ne peut plus se permettre. Alors oui au rien clair au lieu de quelque chose en clair-obscur[29] qui vaut pareil. Le rien tandis que « notre maison brûle »[30] aurait peut-être provoqué ce scandale tel un électrochoc salvateur dans l’opinion publique internationale, nourri une mobilisation d’ampleur[31]. Possible. Comme le dirait le célèbre poster[32] : I Want to Believe.

 

 

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[1] Directrice de recherche au CNRS – Centre national de la recherche scientifique, un organisme public français de recherche.

[2] Kyoto avait pour finalité d’établir les modalités d’atteinte de « l’objectif ultime de la Convention » (article 2 de la CCNUCC – « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » pouvant menacer les « écosystèmes », la « production alimentaire » et « le développement économique d’une manière durable ».

[3] Comme le note l’auteure, si le Protocole de Kyoto envisageait une réduction d’au moins 4% des émissions anthropiques de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990, celle-ci a été de 24%. Sauf qu’il faut aussi attribuer cette réduction aux facteurs extérieurs au régime international tels que le ralentissement économique observé dans le monde (principalement en Europe centrale et orientale), le « découplage entre la croissance économique et la consommation énergétique », etc.

[4] Soit de 2008 à 2013, le Protocole de Kyoto adopté en 1997 n’étant rentré en vigueur qu’en 2005.

[5] Préambule de l’Accord de Paris.

[6] Il n’y a pas de consensus sur la question, de nombreux scientifiques estimant contrairement au GIEC que le maintien de l’augmentation de la température de la planète en-dessous de 1,5°C d’ici 2100 empêcherait raisonnablement de prévenir les effets dévastateurs et imprévisibles du réchauffement climatique. Ce seuil plus exigeant oblige d’ici 2050 une réduction de 80% à 90% des émissions de gaz à effet de serre, donc des politiques et des actions de lus grande envergure. Un changement radical et profond.

[7] Droit international du commerce, de la mer, etc. aux règles juridiques particulières touchant à divers aspects de la problématique climatique et donc potentiellement complémentaires.

[8] « Onomatopée popularisée entre autres par le président français Jacques Chirac : « Ce n’est pas qu’elles se dégonflent, c’est qu’elles font pschitt » – http://www.ina.fr/video/I09055890

[9] Gérard Lenorman – La ballade des gens heureux : https://www.youtube.com/watch?v=Wzkz9IABhPk

[10] Bianca Castafiore, https://fr.wikipedia.org/wiki/Bianca_Castafiore

[11] « On comprend mieux, à la lecture de certains articles, pourquoi l’Accord de Paris ne peut être dit universel et juridiquement contraignant. Il repose sur des engagements volontaires et n’importe quel pays peut faire défection au bout de trois ans. » – Maréchal Jean-Paul, « L’Accord de Paris : un tournant décisif dans la lutte contre le changement climatique ? », Géoéconomie, 2016/1 (N° 78), p. 113-128. URL : https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-1-page-113.htm

[12] « La flexibilité revêt dans ce cadre deux significations. La première est le caractère minimal, souple, soft, des mesures de transparence adoptées, la seconde est la logique de différenciation entre les États industrialisés et les États en développement qui prévaut dans la mise en œuvre de ces mesures. Cependant, le concept même de flexibilité permet de désigner plus largement des éléments variés de l’accord, qui, dans leur ensemble, traduisent une logique de compromis et un nouveau paradigme du régime international sur le climat. » – Lemoine-Schonne, M. (2016). « La flexibilité de l’Accord de Paris sur les changements climatiques. » Revue juridique de l’environnement, volume 41,(1), 37-55. https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2016-1-page-37.htm.

[13] Objectifs chiffrés, mécanismes de contrôle moins « allégés », existence de sanctions

[14] Orru Serge, « Du développement durable à l’humanité durable », Vraiment durable, 2012/2 (n° 2), p. 55-61. / Tabeaud Martine, « Les territoires face au changement climatique », Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 2009/4 (N° 56), p. 34-40.

[15] Montouroy Yves, « Realpolitik et environnement. Quand le changement climatique et les ressources naturelles deviennent des enjeux de sécurité », Revue internationale et stratégique, 2016/1 (N° 101), p. 151-157. URL: https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2016-1-page-151.htm

[16] Les États Parties ont seulement une obligation de moyens – choix de moyens laissé à leur discrétion – et de transparence (Tabau Anne-Sophie, « Évaluation de l’Accord de Paris sur le climat à l’aune d’une norme globale de transparence », Revue juridique de l’environnement, 2016/1 (Volume 41), p. 56-70. URL : https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2016-1-page-56.htm). / Géraud de Lassus St-Geniès, « L’Accord de Paris sur le climat : Quelques éléments de décryptage », https://www.sqdi.org/wp-content/uploads/28-2_de-Lassus-St-Genies.pdf

[17] Soutou, Georges-Henri. « Réflexions sur l’échec de la sécurité collective et ses raisons », Transversalités, vol. 119, no. 3, 2011, pp. 177-188. / Moreau Defarges, Philippe. « De la SDN à l’ONU », Pouvoirs, vol. 109, no. 2, 2004, pp. 15-26.

[18] C’était d’ailleurs une des craintes de Maljean-Dubois : un cadre juridique international beaucoup moins contraignant qui s’avèrera – de facto – impuissant insuffisant tout en affaiblissant le droit international.

[19] Emilie Torgemen, « Climat : « Ce n’est pas fichu, mais…», s’inquiète Laurent Fabius », Le Parisien, 14 novembre 2017, http://www.leparisien.fr/environnement/climat-ce-n-est-pas-fichu-mais-s-inquiete-laurent-fabius-14-11-2017-7391112.php

[20] Le renvoi aux calendres grecques des discussions relatives à l’exploitation des énergies fossiles, à la « décarbonisation des économies », ou bien encore à l’appui financier aux mesures d’adaptation au changement climatique.

[21] COP22 visant à trouver les modalités d’application de l’Accord de Paris.

[22] COP23 mandaté pour trouver une règlementation « concrète » favorisant la limitation du réchauffement climatique en-dessous du seuil de 2°C

[23] Faraco Benoît, « Les organisations non gouvernementales et le réchauffement climatique », Ecologie & politique, 2006/2 (N°33), p. 71-85. URL : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2006-2-page-71.htm

[24] Fuentes Véliz Juan-Andrés, « L’évolution du rôle des organisations non gouvernementales dans le droit de l’environnement », Revue Européenne de Droit de l’Environnement, n°4, 2007. pp. 401-430.

[25] « […] l’accord de Paris est à mi-chemin entre les conventions internationales qui méprisaient parfaitement la société civile en l’omettant et les accords qui viendront dans le futur, qui seront dans l’obligation de faire réellement intervenir la société civile sous sa triple forme de collectivités territoriales, d’entreprises, et d’organisations non-gouvernementales représentant les peuples. » – Lepage Corinne, Huglo Christian, « Commentaire iconoclaste (?) de « l’Accord de Paris » », Revue juridique de l’environnement, 2016/1 (Volume 41), p. 9-12. URL : https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2016-1-page-9.htm

[26] Construisant des ponts avec d’autres régimes juridiques internationaux comme c’est le cas entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de la personne.

[27] Constituant pour Maljean-Dubois l’un des piliers d’un régime juridique international efficace

[28] « Le pari ambigu de la coopération climatique », Le Monde diplomatique, 15 décembre 2015, https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2015-12-15-COP21

[29] Lavallée Sophie, Maljean-Dubois Sandrine, « L’Accord de Paris : fin de la crise du multilatéralisme climatique ou évolution en clair-obscur ? », Revue juridique de l’environnement, 2016/1 (Volume 41), p. 19-36. URL : https://www.cairn.info/revue-revue-juridique-de-l-environnement-2016-1-page-19.htm

[30] Jacques Chirac, « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas », Sommet de la Terre, Johnnesbourg, 2002, https://www.youtube.com/watch?v=WgrHr-MOVBI

[31] D’ailleurs, ce sont les initiatives mobilisatrices de personnes physiques et morales (individus, groupements d’individus, entreprises) qui semblent avoir occupé le vide laissé par le droit international en adoptant des pratiques érigées en normes. – Bally Frédéric, « ‪Vers une transition énergétique citoyenne‪. La réappropriation des questions environnementales par les acteurs ordinaires », Rives méditerranéennes, 2015/2 (n° 51), p. 67-79. URL : https://www.cairn.info/revue-rives-mediterraneennes-2015-2-page-67.htm  / Peeters Anne, « La responsabilité sociale des entreprises », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2004/3 (n° 1828), p. 1-47. DOI : 10.3917/cris.1828.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2004-3-page-1.htm

[32] Poster I Want to Believe accroché dans le bureau de l’agent Fox Mulder dans la serie télévisuelle X-Files, https://newrepublic.com/article/126715/x-files-i-want-believe-posters-origin-story

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