
Bande sonore : Kacey Musgraves – Butterflies
Hier, Dorothée et moi avons eu un rencard au Starbucks sur la rue Catherine-Ouest, elle était dans un legging si transparent que je n’ai pas eu besoin d’ajuster mes lunettes pour voir tous les détails savoureux d’un corps irréaliste. Irréaliste comme une perfection inconcevable. Dorothée est inconcevable et transparente, pour le coup je suis passé au travers durant les deux longues heures qu’a duré ma torture. Je la regardais et ce que je voyais était un vide dans un legging, un vide ennuyeux, mais un vide ennuyeux agréable à mâter, la définition même de la beauté contemporaine, et je suis assez munificent. Normal, je suis de bonne humeur. Ma bonne humeur vient du fait que j’ai pu quitter le Starbucks sans être interpellé par la flicaille ameutée en ce lieu de racisme insidieux par un employé ou un patron inquiet de me voir violer la loi tacite qui veut qu’une tronche comme la mienne ne puisse poser son pauvre cul tranquillement dans les fauteuils Ikea du café. J’ai pu sortir du Starbucks sans être menotté, tout en ayant l’impression d’avoir souillé un espace où ma seule présence fait chuter le prestige de la marque. C’est vrai, je n’ai pas vu beaucoup de personnes faire des selfies de leur breuvage, juste pour montrer à leur auditoire réseau social à quel point elles sont cool, et bien entendu particulièrement corniauds. J’étais dans le décor, cela gâchait tout. Dorothée, quant à elle, était toujours dans son legging, diaphane et vaporeuse, nous avons trotté dans le gris moche de la ville insipide.
Rencard. Nan. On dira « préliminaires ». Dorothée ne cherche pas l’amour, je n’ai pas le cœur à jouer les princes charmants, tous les deux avons nos raisons de ne vouloir qu’une partie de baise dans les règles de la chose. Pour dire, de la façon la plus perverse et crasse possible, aux antipodes du classicisme assommant dont les clercs et autres ensoutanés nous ont vanté les mérites. On ne baise qu’une fois, comme dit le YOLO – You Only Live Once. Alors pourquoi se faire chier. Dorothée a été très claire là-dessus : « Je veux de la bite. Une belle bite. T’as une belle bite ? » Je réponds invariablement à cette question et à celles qui en sont des déclinaisons par la même phrase : « Oh, tu sais, je n’ai pas les mêmes critères esthétiques que les autres… » Et d’ajouter à la suite de l’autre question qui ne se fait jamais attendre – « As-tu une grosse queue ? T’sé comme il se raconte sur les Noirs… » : « La vérité est empirique… »
Dorothée ne m’a pas demandé ce que cela signifiait, elle a de la culture en masse, c’est donc avec une certaine aisance que nous sommes quittés de la taille et de la beauté de ma verge à la philosophie de Quine en passant par la pensée de Mill et de Husserl pour finir sur celle de Frege. Bien évidemment, j’ai bandé comme un cheval tout le long, il a fallu sortir du mouroir starbucksien pour que la transparente Dorothée daigne par un détour cul-cul ou bite-bite montrer que son cerveau est la partie la plus aphrodisiaque de sa personne. Je la regardais et je voyais Lacan discourir sur la vérité et le sens en pissant sur la religion.
Lacan portait un legging qui vu de face laissait entrevoir le vide absolument exquis entre ses cuisses et des lèvres barbies aux traits rigoureusement harmonieux, qui de dos présentait de manière optimale le p’tit cul « tout à fait acceptable » schwartzwaldien. De plus, Lacan a une paire de seins qui n’a pas l’aspect inquiétant, menaçant, des bazookas à la mode. De visu, l’un de ses seins tiendrait impeccablement dans la paume de ma main. C’est pour moi important d’avoir véritablement les choses en main. D’avoir en main comme dirait Mélissa – l’autre Québécoise de souche dans mon animalerie de pure race – « de quoi de solide », je dirais de fin et délicat, et non point d’outrancier, de débordant, d’encombrant.
D’où mon étonnement devant toutes ces poitrines excessives passées sur le billard, ou naturellement explosives, qui rendent de nos jours totalement gaga les mâles et femelles. En même temps, la mode est à la grosseur, au gigantisme, à l’incommensurabilité, à l’énormité, à la macrosomie fécale – non pas fœtale, mais fécale. Gros cul, grosses boules, grosse bite, grosses lèvres, gros compte en banque, gros égo, grosse maison, grosse caisse, grosse dépression, grosse crise existentielle, grosse angoisse, gros délire, grosse déception, grosse envie, etc. C’est la fureur de la grosseur. Pas du gros cœur par contre, ni gros tout court, faut pas déconner. Dans ce monde macrothropophage, j’ai des exigences lilliputiennes, ce qui fait de moi une personne clairement hors du temps, un personnage bizarroïde vivant dans la quatrième dimension. Cela me convient plutôt bien. Allez savoir pourquoi.
Dorothée, je l’ai rencontrée dans la rue. Non ce n’est pas une prostituée. Juste une fille qui avait la jupe soulevée par le vent et dont le string bleu irradiait – en reprenant George Sand dans ses Légendes rustiques – de fabulosité et de merveillosité universelle. Je venais de laisser Viviana grimper dans un des cercueils roulant de Montréal que des personnes un peu malhonnêtes appellent « autobus ». Je suis allé vers elle et je lui ai dit qu’elle avait eu une bonne idée de porter une culotte ce matin-là en sortant de chez elle. Le pire aurait été de voir une sans-culotte déshabillée par le souffle printanier très coquin. Elle a apprécié le culot. J’étais chanceux, je venais de sortir vivant d’un ascenseur datant des années 1930. Elle m’a dit « Dorothée », j’ai répondu « Dave », elle a fait « Daveee… Hum… C’est assez cute… » Mouais. Comme un nourrisson tout grassouillet. Je ne l’ai pas dit. J’ai souri. Puis, finalement, peu de temps après nous étions au Starbucks, la jupe avait cédé la place au legging.
Dorothée m’a raconté ce matin après notre nuit de chevauchées walkyriennes sous la direction de Wagner que lorsque je l’ai abordée elle a tout de suite vu que je n’étais pas un pervers. Du moins selon son expression « Un en-manque de sexe ». Je ne puais pas le désespoir. Et que je n’étais pas gros. Du moins toujours selon son expression « Pas un gros plein de soupe », elle a ajouté « Désolé, ça a l’air assez superficiel comme ça, que veux-tu je suis superficielle ! » J’ai répondu « Tant mieux. » Que voulez-vous que je vous dise, la superficialité rules the world, du politique à l’hyperbourgeoisie en passant par le précariat et autres aristocraties. Tout le monde est superficiel. Tout le monde dans la grande comédie humaine veut avoir la performance la plus superficielle possible, et briller aux yeux de putains d’insignifiants. Et tout le monde réclame du real. Ou se réclame du real. Ou de la profondeur. Alors quand Dorothée s’assume dans sa superficialité, je suis sous le charme, elle est authentique, d’une vérité incontestable, d’un sens cohérent. J’ai bandé, et elle s’est occupée du reste.
Durant les ébats, elle m’a demandé de la traiter de salope. Je n’en ai pas été capable. Le féministe en moi. Je l’ai traitée de chienne et de cochonne. C’était plus respectueux. Elle l’a apprécié. « Tu es vraiment féministe ?! » « Je ne sais pas… Possible… » « Tu es ou tu n’es pas ! Pourquoi tu compliques toujours tout ?! » Dorothée voulait savoir si elle se faisait culbuter par un féministe avec une paire de couilles comme Hillary ou par un vagin avec un pénis comme les lutteuses de l’UFC ou tous ces gros bras qui saturent les salles de sport. Insatisfaite par mon silence, elle a remis son legging et à claquer la porte. La scène est assez surréaliste, j’en conviens. Mais c’est Montréal. Les gens y sont spécialement créatifs et imaginatifs. Vous ne savez jamais sur quel Salvador Dali névrosé vous tomberez, ou avec quelle version Lars Von Trier vous êtes entrain de vous saouler la gueule. Entre Melacholia, Antichrist, Nymphomaniac, et Dogville. Vous ne savez jamais à quel moment les gens vont vous faire une scène qui vaudra tous les Oscars. Dorothée m’a envoyé un message sur le réseau social bleu. « On se revoit quand ? » J’ai écrit « La semaine prochaine, les prochains jours sont très chargés pour moi ». Cette fin de semaine, ma programmation est : Jenny Alba & The Law of Sin, Melissa Sparrow & The Pirate of the Carribean, Marie-Ève Blondie & The Harddest Part. Une playlist honnête qui change des escroqueries du Billboard.
Il y a quelques minutes, Dorothée m’a envoyé un autre message sur le réseau social lapis : « Dis, qu’est-ce t’apprécie chez moi lol ». « Ton cerveau quand il porte un legging ». Après un moment de flottement, elle a repondu : « Ah okkk », « Tu aimes les leggings ??? » J’ai dit : « J’aime les filles qui portent des leggings ». Elle a posé la question évidente : « Pourquoi ??? » J’ai déposé mon Tolstoï : « Parce que c’est montrer en couvrant, c’est se dévoiler en jouant avec les limites, c’est provocateur tout en laissant planer le doute, c’est susciter la sensualité sans être seulement dans la vulgarité, c’est la séduction et le jeu qui lui est propre, ce n’est pas de la pornographie, et la pornographie ce n’est pas mon truc. J’ignore si je suis clair ? » « Oui, c’est tout à fait acceptable ! lol » Dorothée, une vraie connasse.
Il y a quelques secondes, Dorothée a changé de photo de profil. Elle est transparente et banale. Une transparence et une banalité en legging, c’est déjà ça. J’appuie sur « J’aime ».
Bande sonore : Cœur de pirate – Prémonition



