Dans sa tête le monde bigarré, hétéroclite, avec ses couleurs disparates aux harmonies désaccordées, cohérent dans son incongruité, ce monde sorti des imaginaires de la réalité, construit à partir des distorsions du réel est une énigme.
Il le regarde avec des yeux d’aveugle.
Anamorphoses du présent avec ses indigences, ses turpitudes, ses laideurs de la morale, ses matérialités disetteuses, ses réflexions sur la corporéité qui finissent dans un joyeux gaspillage comme des feux d’artifice dans un ciel noir de sang séché.
Il regarde les ombres rebelles paver les chemins de la canonicité avec cet air pathétique qu’il a vu chez les esprits pliés et les âmes brisées. What a wonderful world.
C’est dans la position couchée qu’il voit mieux le monde : les dessous salingues, l’odeur et la couleur pouacres des anges, les dieux squalides.
La position du mort pour mieux voir le vivant.
Il a une rationalité folle. Une folie hologramme avec des dimensions parallèles qui ne rentrent en collision que pour en créer d’autres, plus confusionnelles, plus insanes.
C’est la folie émancipatrice de la stérilité de la logique normative, certains en diraient alogique et ils auraient tort, sa folie va bien au-delà de ça.
Dans sa psyché, que j’imagine tourmentée par le chaos, il y a ces tableaux pollockiens peints dans un acte all-overien, des visions impulsives de sa thymie immortalisant la fugacité des moments qui ne s’accrochent à rien et que rien n’accroche.
Il est pour les uns une pétition de principe, pour les autres un anti-principe, je crois qu’il est un non-principe sur laquelle les idéologies les plus fallacieuses perdent leur latin et rend inapplicable le jugement apodictique.
Je l’ai rencontré la première fois, il y a quelques années. Station Fabre, ligne bleue, au bas des escalators mécaniques, accueillant les hordes lymphatiques qui s’engouffrent dans le ventre de la terre.
Raccompagnant les baudruches qui émergent des souterrains vomis par le vétuste train du progrès, et chacun se demandant sans vraiment oser quand enfin il ira s’écraser contre le mur, et les rendre, enfin, libres. Free at last.
Station Fabre. Ou l’inconsistance de l’ordinaire dans son expression la plus brutale. Anthracite, presque assombrie, insalubre, figée dans l’obsolescence. Même ceux qui désirent exhaler le dernier soupir lui refusent cet honneur.
Station Fabre, une déjection sur la ligne des pauvres, une escale dans le conduit intestinal menant l’urbanité en déliquescence jusqu’au prolapsus anal.
Il y avait fait ses quartiers, c’était son empire d’étron, et lorsqu’il recevait ses invités il leur tendait la main, paume ouverte en direction du cœur, mais il ignorait une vérité essentielle : les zombies n’en ont plus.
Je ne crois pas qu’il m’ait un jour reconnu, qu’il se souvienne même de m’avoir connu, encore moins de nos conversations. La folie n’a pas la mémoire de l’éléphant, elle n’est pas condamnée à faire semblant de savoir.
Elle oublie en se renouvelant, c’est à chaque fois un moment différent, véritablement nouveau. En rupture, discontinue. Abrupt, frais.
Le plus important est sans doute que je m’en souvienne; moi comme lui au bas des escalators mécaniques dans lesquels courent ceux qui se perdent, ceux qui rampent en marchant, bipèdes à l’aplaventrisme affirmé, décomplexé, à l’obséquiosité toujours extraordinairement pareille.
Je ne suis ni le gardien ni le portier. Je suis l’épitaphe sur la pierre tombale.