Ici, ce n’est pas le Far West. Flic, pas cowboy

Une étude réalisée par l’École nationale de police du Québec (ENPQ) à la demande de Québec démontre que les tirs policiers constituent la principale cause de blessures et de décès lors d’interventions policières. 

La chercheuse Annie Gendron du Centre de recherche et de développement stratégique de l’ENPQ s’est penchée sur les circonstances de 143 interventions policières pour lesquelles des enquêtes indépendantes ont été menées entre 2006 et 2010. Elle a établi que celles-ci ont souvent en commun qu’elles découlent d’événements imprévisibles, lors d’interventions spontanées auprès d’individus ayant un état de conscience altéré.

L’étude en quelques chiffres

La très grande majorité (79,7 %) des policiers impliqués dans les événements étudiés étaient patrouilleur au moment de l’intervention. 

Près des trois quarts des individus auprès de qui ils ont dû intervenir étaient armés d’une arme blanche ou d’un objet contondant (41,1 %) ou d’une arme à feu (32,8 %).

Près de 79,3 % des individus impliqués étaient dans un état de conscience altéré par un problème de santé mentale, un état d’intoxication ou les deux au moment des faits.

Un peu moins de la moitié (46 %) des tirs policiers atteignent la cible visée alors qu’ils se font à une distance moyenne de 4,3 mètres. 

Le quart (25,5 %) des événements avec tir policier impliquent une situation représentant une tentative de suicide par policier interposé.

L’École nationale de police du Québec a déjà modifié le programme de formation initiale qu’elle offre aux aspirants policiers pour qu’elle reflète mieux les réalités présentées par l’étude.

 

 

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Le jugement dans l’affaire de l’agent de police James Forcillo est tombé. 6 ans de prison pour tentative de meurtre.

Son crime? Avoir fait d’un usage inutile, excessif et déraisonnable de la force mortelle contraire à son entraînement.

Autrement dit, avoir tiré sur une personne alors qu’elle ne présentait pas manifestement, une menace imminente pour sa vie.

Le juge Then en est arrivé à la conclusion que l’entraînement de l’agent Forcillo aurait dû lui faire comprendre que Sammy Yatim (la victime âgée de 18 ans au moment des faits) ne représentait qu’une menace potentielle tandis que du côté de la Couronne les procureurs ont qualifié dans leur réquisitoire l’acte de lâche

L’histoire de James Forcillo, l’homme qui se croyait au Far West, est assez classique des récriminations que l’on fait assez souvent aux forces de l’ordre. Utiliser leur arme à feu dans des situations qui pour le citoyen ordinaire, raisonnable, ne semblent pas justifiées. Bref, d’avoir la gachette un peu (trop) facile. 

L’animadversion du juge Then va dans ce sens. 

 

Selon le juge Then, le comportement de l’agent Forcillo «représente un échec fondamental à comprendre son devoir de protéger toutes les vies et non seulement la sienne».

 

Le contre-argument qui lui est opposé – sans parler du fait que toute critique de certains actes de la police est obligatoirement une opinion anti flic, criminelle, un peu comme faire la critique du gouvernement israélien c’est démontrer de son antisémitisme (on passera sur le boycott d’Israël devenu un crime haineux) – est celui de dire qu’il est aisé de critiquer la police quand on ne vit pas leur quotidien.

Que nous les citoyens englués dans notre banalité oisive et sécurisée, ne pouvons pas comprendre la difficulté du travail de ceux qui – pour reprendre les mots d’un républicain américain – protègent la société du chaos et de l’anarchie.

Nous ne mettons pas nos vies en péril à chacune de nos interventions, nous ne savons rien du stress permanent que vivent les policiers, qu’il fait bien de l’ouvrir quand nous ne sommes pas en frontline et que nous ne nous offrons pas dans un engagement sacrificatoire pour que survive l’ordre, la sûreté, la société, la civilisation. Le monde. L’univers.

Nous sommes des citoyens d’une grande banalité, avec une existence insipide, égoïste, ingrats et chialeux. Citoyens clabaudeurs et regimbeurs. Les policiers ne nous méritent pas. 

Le sous-contre-argument est l’ombre du premier. Nous ne sommes pas à la place du policier qui flingue un individu parce que, comme dans le cas de l’agent Forcillo, la victime était menaçante et brandissait un couteau.

 

En effet, selon le code de déontologie policière, l’usage de la force doit être proportionnel à la menace.

Cette règle n’est jamais appliquée pour la force policière, mais un simple citoyen qui répondrait à un coup de poing par un coup de poignard serait accusé d’homicide.

 

Nous, les citoyens lambda, qui n’avons pas assisté à la scène, nous qui sommes de l’autre côté de l’arme qui tire, en face, nous ne pouvons comprendre ce qu’il se passe dans la tête d’un flic qui vise pour tuer.

Peut-être du fait que généralement nous sommes morts ou gravement blessés.

Mais bon, là n’est pas la question.

Elle n’est pas de savoir ce que peut ressentir un citoyen ordinaire dans une interaction avec un policier, désormais le risque mortel auquel il s’expose. Cette interrogation est hors de propos, car le citoyen ordinaire est réputé dangereux, en rébellion, hostile.

Le citoyen ordinaire est un criminel, réel ou potentiel. Le citoyen ordinaire n’est pas un ange, ce n’est pas un saint. Il a toujours quelque chose à se reprocher, à cacher. Il n’est pas innocent. On a toujours un truc à lui reprocher.

Le flic, lui est le good cop. On lui trouve souvent des circonstances atténuantes.

 

Des enquêtes “indépendantes”

De 1999 à juin 2013, il y a eu 416 enquêtes indépendantes, celles qui sont menées par des policiers sur ceux d’un corps policier différent.

Sur ce nombre, à ce jour, 379 ont menées à… aucune mise en accusation.
34 cas n’ont pas été complétés.

 

James Forcillo n’est pas veinard, il eût été au Québec ou au Texas, l’esprit corporatiste, les petits arrangements entre amis, la justice, l’opinion publique l’auraient soutenu et auraient manifesté pour sa libération. Un cop reste un good cop. Par principe. Ce n’est pas un citoyen. 

 

[…] la parole du détenteur de l’arme à feu, l’agent de la paix (sic) en tant que membre d’un corps policier et d’une institution étatique, tend à valoir davantage que celle des citoyens ordinaires, que ce soit devant les tribunaux ou dans l’espace public.

On l’a vu à maintes reprises lors des «enquêtes» de la police sur la police lorsqu’un citoyen a été abattu par un policier, alors que les «résultats» de ces «enquêtes» affirment péremptoirement qu’aucune faute de nature criminelle n’a été commise.

Pensons aux cas de l’homicide de Freddy Villanueva par le policier Jean-Loup Lapointe, policier qui porte toujours une arme à feu sur lui et conserve son droit de tuer. Je pense aussi à cet homme, abattu sur la rue Berri, devant chez moi, ce lundi 3 février, alors qu’il avançait vers un policier dans un état second et armé d’un marteau.

Il m’est difficile de comprendre que le policier n’ait rien trouvé de mieux, pour le «maîtriser», que de l’abattre en pleine rue tout en risquant des dommages collatéraux, comme c’est déjà arrivé pour cet infirmier ce rendant à son travail en juin 2011.

 

 

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Nous les citoyens de tous les jours qui ne portons pas la casquette rouge et le pantalon-pyjama, ne pouvons posséder la capacité de procéder à l’évaluation d’une situation problématique, périlleuse, dans un court laps de temps.

Nous ne pouvons jauger du degré de mise en danger.

C’est sans doute vrai.

 

 

 

Ce que nous les citoyens ordinaires, incapables d’évaluer quoique ce soit, vides d’aptitudes analytiques ou de jugement, voyons c’est un individu armé d’un couteau, d’un marteau, clairement dans un état mental second, titubant, délirant, qui se fait froidement abattre. Moins qu’un pitbull

Nous ne pouvons pas savoir. Nous ne sommes pas des policiers. Nous n’avons pas la formation en matière de désescalade et de tir réactif qu’ils suivent

Nous ne savons rien de ce qu’il leur est enseigné dans leur école. Nous sommes ignorants, et nous devons approuver l’usage que nous pensons disproportionné de la force létale en rejetant systématiquement la faute sur l’individu gisant dans son sang, après avoir reçu la balle qui a exécuté la sentence de culpabilité.

Ou les balles. Certains policiers étant à l’instar de James Forcillo plus généreux que d’autres. 

 

It was later determined that eight of the nine shots fired hit Yatim. Surveillance video indicates that Yatim was lying on the ground when the last six shots were fired.

 

L’individu avait des antécédents criminels. L’individu était connu des services de sûreté. L’individu avait purgé une peine de prison. L’individu avait menacé d’autres individus. L’individu marchait bizarrement. L’individu avait une apparence inquiétante. L’individu, neutralisé. Définitivement. Bon débarras.

Le flic est devasted, suspendu sans solde durant 48 heures. Le flic a une famille.  L’individu n’en a pas. Ou ce n’est pas si important. C’était un salaud. Et les salauds, bon beh, leurs familles, on s’en fout. Voilà. 

 

106 citoyens tués par une balle policière en 12,5 ans.
4 policiers tués par balle en 11 ans.

La mort de chaque policier est une tragédie que nous voudrions tous éviter.
La mort d’un citoyen l’est-elle moins ?

 

 

Personnes décédées suite à une intervention policière à Montréal / Persons who died following a police intervention in Montreal :

Serge Laforest, 33, d. le 16 avril 1987

Mark White, 30, d. le 14 août 1987

Anthony Griffin, 19, d. le 11 novembre 1987

Bernard Laforest, 26, d. le 20 juin 1988

José Carlos Garcia, 43, d. le 7 octobre 1988

Yvon Lafrance, 40, d. le 3 janvier 1989

Norman Major, 29, d. le 28 septembre 1989

Leslie Presley, 26, d. le 9 avril 1990

Jorge Chavarria-Reyes, 22, d. le 22 novembre 1990

Fabian Quienty, 25, d. le 25 janvier 1991

Yvan Dugas, 36, d. le 19 avril 1991

Fritzgerald Forbes, 22, d. le 14 juin 1991

Marcellus François, 24, d. le 18 juillet 1991

Armand Fernandez, 24, d. le 4 novembre 1991

Arthur Vahan Sukias, 37, d. le 31 janvier 1992

Trevor Kelly, 43, d. le 1 janvier 1993

Paolo Romanelli, 23, d. le 9 mars 1995

Martin Suazo, 23, d. le 1 juin 1995

Philippe Ferraro, 67, d. le 26 juin 1995

Nelson Perreault, 38, d. le 15 avril 1996

Daniel Bélair, 39, d. le 17 mai 1996

Michel Mathurin, 49, d. le 17 juin 1996

Richard Whaley, 29, d. le 10 novembre 1996

Yvan Fond-Rouge, 36, d. le 30 avril 1998

Michel Charette, 36, d. le 17 juin 1998

Jean-Emmanuel Beaudet, 27, d. le 23 juin 1999

Jean-Pierre Lizotte, 45, d. le 16 octobre 1999

Carl Ouellet, 34, d. le 31 mai 2000

Luc Aubert, 43, d. le 16 juillet 2000

Sébastien McNicoll, 26, d. le 18 juillet 2000

Michael Kibbe, 19, d. le 8 février 2001

Michel Morin, 43, d. le 4 septembre 2002

Wilson Oliviera, 24, d. le 12 avril 2003

Michel Berniquez, 45, d. le 28 juin 2003

Rohan Wilson, 28, d. le 21 février 2004

Stéphane Coulombe, 35, d. le 24 juin 2004

Benoît Richer, 28, d. le 2 juillet 2004

Daniel Annett, 42, d. le 25 juillet 2004

Maurice Leblanc, 59, d. le 4 juillet 2005

Mohamed Anas Bennis, 25, d. le 1 décembre 2005

Vianney Charest, 51, d. le 9 juillet 2007

Quilem Registre, 39, d. le 18 octobre 2007

Fredy Villanueva, 18, d. le 9 août 2008

Claude Racine, 55, d. le 28 juin 2010

Jean-Claude Lemay, 48, d. le 26 janvier 2011

Patrick Saulnier, 26, d. le 6 février 2011

Mario Hamel, 40, d. le 7 juin 2011

Patrick Limoges, 36, d. le 7 juin 2011

Julien Gaudreau, 25, d. le 11 juin 2011

Farshad Mohammadi, 34, d. le 6 janvier 2012

Jean-Francois Nadreau, 30, d. le 16 février 2012

Robert Hénault, 70, d. le 8 août 2013

Isidore Havis, 72, d. le 17 août 2013

Donald Ménard, 41, d. le 11 novembre 2013

Alain Magloire, 41, d. le 3 février 2014

René Gallant, 45, d. le 31 mai 2015

Sylvain Beauchamp, 53, d. le 13 mars 2016

Bony Jean-Pierre, 46, d. le 4 avril 2016

André Benjamin, 63, d. le 25 avril 2016

 

 

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Le sous-sous-contre-argument qui est ressorti dans le contexte d’un usage criminel de la force par les services policiers se résume simplement : la vie des agents de police est en danger à chacune de leurs interventions, parce que les gens – vous et moi – sont fous et agissent dangereusement, qu’il est de leur faute s’ils se font descendre comme du gibier (encore que la saison de la chasse est rigoureusement encadrée) car ils n’ont pas obtempéré immédiatement dès le premier aboiement policier (en supposant qu’ils ne soient pas sourds, autistes ou souffrant d’un handicap, saouls, intoxiqués, paralysés, etc.). 

Le boulot de flic n’est pas une sinécure. Nul ne le conteste. Nombreux sont ceux qui en meurent.

 

De 1874 à 2002, soixante-et-onze (71) policiers sont morts en devoir sur le territoire de l’île de Montréal. 

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Et nous sommes, nous les citoyens ordinaires bien heureux d’être secourus, protégés, par ces professionnels.

Si nous sommes conscients de leur dévouement, de la difficulté de leur job, si nous sommes respectueux et reconnaissants de leur mission, ce respect et cette reconnaissance ne devraient pas être une raison pour leur apporter notre soutien indéfectible, plein et entier, indifféremment des circonstances. Nous ne devons pas nous sentir contraints de valider leurs abus, d’être une caution aux dérapages, de les appuyer quand ils ont tort et quand ils causent du tort. 

Ce respect et cette reconnaissance ne devraient pas se constituer en une omerta qui tente de museler la critique et de bâillonner des agissements abusifs de la part d’une faction voyou sans doute ultra minoritaire.

Nous sommes en droit de dire que le rôle de la police n’est pas de se faire craindre par les citoyens mais de les rassurer.

Nous devrions pouvoir attendre de ces agents de la paix qu’ils aient le sang-froid nécessaire à l’exercice de leur devoir, qu’ils maîtrisent suffisamment les moyens, les processus, d’une intervention pacifiée, d’abord, en premier lieu, prioritairement, avant toute chose.

Un flic n’est pas de par la nature de son travail un sanguin, sinon il y aurait des cadavres à chaque coin de rue.

 

Selon la Couronne, Forcillo a brisé la confiance du public, et il doit être tenu pour responsable au plus haut degré de ses erreurs, parce qu’il n’a pas suivi le protocole sur la désescalade de la violence.

 

Un flic n’a pas à  ouvrir le feu sur les citoyens en prétextant la panique, la perte de son calme, l’environnement anxiogène.

Il n’est pas dans la norme, acceptable, qu’il s’autorise à agir en cowboy du type Lucky Luke. Le contrôle de soi ne s’ankylose pas dans un intensif moment émotionnel. Il n’est pas attendu qu’il se laisse dépasser par la situation comme n’importe qui.

Il est censé avoir reçu les outils pour ne pas agir comme la personne ordinaire, l’individu lambda, vous et moi.

Si tel n’est pas le cas, alors il se pourrait que la sélection, l’évaluation psychologique, la formation des forces de l’ordre, soit problématique. Et c’est une irresponsabilité qui ne saurait être tolérée dans toute société civilisée, démocratique. 

Le citoyen n’a pas à plaindre la dureté du travail des policiers comme il n’a pas à prendre en pitié la lourde charge de responsabilité qu’implique le métier de médecin, ou d’ingénieur, de soldat (sauf s’il s’est engagé dans un temps de mobilisation générale) ou des pressions quotidiennes que peut subir un Premier ministre.

Surtout cela ne saurait devenir une justification, un argument permettant de relativiser les fautes, les manquements flagrants à leurs devoirs.

Car personne n’accepterait de diluer, de diminuer, les fautes de l’individu ordinaire au motif que la job qu’il a consciencieusement choisie est pénible. Qui plaint les chauffeurs de taxi pour les risques inhérents à leur métier? 

 

De par sa nature, le métier de policier comporte beaucoup de risques. L’un des dangers liés à ce métier au Canada est l’homicide.

La seule autre profession qui expose davantage ses employés aux homicides est celle de chauffeur de taxi, avec un taux environ le double de celui des policiers.

 

Respect. Maître-mot. Il est réciproque, nécessairement.

 

Le SPVM [Service de Police de la Ville de Montréal] adopte trois valeurs fondamentales : le respect, l’intégrité et l’engagement. Elles sont les piliers qui doivent guider en tout temps les comportements et les actions des membres de la direction, des policiers et du personnel civil.

Le respect, c’est agir et se comporter envers les autres avec considération et dignité, en étant ouvert aux différences.

 

Les policiers sont des super-héros. Les pompiers aussi. Ainsi que tous les corps de métier qui visent à protéger le citoyen ordinaire, qui peuvent demander l’holocauste ultime, en tout instant, en faisant juste son boulot.

Les super-héros ne sont pas au-dessus des personnes. Ils sont dans la foule qu’ils protègent.

Et quelques fois, ils sont payés par celle-ci. Parce que les super-héros, dans la vie de tous les jours, ne travaillent pas gratis.

Il arrive qu’ils soient bénévoles, qu’ils agissent plus humainement que la normale postmoderne, pareillement que le citoyen ordinaire qui se fait soldat à l’Armée du Salut, ou qui se jette dans les flammes au péril de sa vie. 

 

Qu’ils s’appellent Spencer Stone, Alek Skarlatos ou encore Lassana Bathily, ils ont tous en commun d’être devenus, suite à de tragiques évènements, des « héros ordinaires ».

Les deux premiers, américains et militaires de formation, sont parvenus à éviter qu’une fusillade sanglante ne se produise, le 21 août 2015, dans le Thalys reliant Amsterdam à Paris, en maîtrisant l’assaillant.

Le troisième, simple employé de l’Hyper Cacher attaqué en janvier 2015 à Vincennes, a sauvé pas moins de 10 personnes en leur permettant de se réfugier dans la chambre froide du magasin.

Mais il y a également tous ces anonymes qui, chaque jour, se mettent parfois en danger pour défendre autrui : en s’interposant lors d’une agression dans les transports en commun, en sauvant un enfant de la noyade…

Qui sont ces personnes qui, dans des situations périlleuses, parviennent à réagir rapidement et efficacement afin de protéger ou sauver autrui?

Pour certains, tout ne serait qu’une question de courage, teinté d’un léger soupçon d’inconscience. Pour d’autres, l’altruisme constituerait le moteur essentiel de ces actes héroïques où l’on oublie son intérêt personnel au profit d’un bien plus général, celui de l’humanité au sens large.

Et si être un « héros ordinaire » demandait un peu de tout cela en même temps ? Sommes-nous tous capables de nous révéler héroïques ou n’est-ce le fait que de certaines personnalités bien particulières ? 

Frédéric Vincent est psychanalyste et sociologue, auteur du livre Le réenchantement initiatique du monde – Des mythes et des hommes (ed. Detrad, 2014). Selon lui, le héros mythique ou fictionnel habite en chacun de nous et est indissociable du héros ordinaire, qui peut se révéler lors de situations extraordinaires. 

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Les policiers doivent protéger et servir. Ce n’est pas rien.

Protéger signifie défendre l’ordre public, empêcher les atteintes aux libertés des personnes, mais aussi encourager l’existence d’un espace public pacifié et contribuer à sa préservation.

Servir implique l’acte d’aider, d’être utile à quelque chose, se mettre à la disposition de quelqu’un, remplir les fonctions qui nous sont dévolues. 

 

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a pour mission de protéger la vie et les biens des citoyens; de maintenir la paix et la sécurité publique; de prévenir et de combattre le crime et de faire respecter les lois et règlements en vigueur (articles 48 et 69 dela Loi sur la police, L.R.Q. c. P-13.1).

 

En ce sens, la police agit en vigie mais aussi en facilitateur. Par sa proximité avec les citoyens, par son expérience du réel qui quelques fois est étranger au politique, par les liens qu’elle tisse avec les différentes communautés, elle représente  l’un des piliers du  vivre-ensemble, de la gestion des rapports sociaux.

 

Il convient de rappeler d’entrée quelles sont les caractéristiques les plus significatives de l’activité policière dans les pays démocratiques occidentaux. La police est d’abord dans tous les pays considérés une des rares administrations (quel qu’en soit le statut) à laquelle on peut faire appel en permanence, de jour comme de nuit, en semaine ou les jours fériés, pour intervenir dans toute situation qui ne peut se résoudre sans l’intervention de la puissance publique.

Bittner le dit dans une formule célèbre et profonde au delà de sa forme pittoresque : le policier est amené à intervenir chaque fois qu’il y a « quelque chose qui- ne- devrait- pas- être- en- train- de- se- produire- et- pour- lequel- il- vaudraitmieux- que- quelqu’un- fasse- quelque- chose- tout- de- suite » 

Pierre Favre, « Quand la police fabrique l’ordre social. Un en deçà des politiques publiques de la police ?», Revue française de science politique 6/2009 (Vol. 59) , p. 1231-1248

 

Ainsi si l’on veut constater – inter alia –  de l’état de déliquescence d’une société ou d’une civilisation, on observe l’action de sa police. On examine comment elle influence, façonne l’ordre social en définissant ce qui relève d’une répression ouverte et ce qui n’en relève pas (Pierre Favre).

Une police qui abat froidement les individus qu’elle doit protéger et servir, qui fait montre d’une immodération outrageuse, qui fait usage d’une violence hors norme, moralement insoutenable et inconcevable, dans le cadre de sa mission, en se fondant sur la peur, l’identité, l’apparence, le préjugé, dessine à la pointe sèche la gravure appuyée des ordres de pratiques sociales (Pierre Favre). C’est-à-dire fabrique l’ordre social. Et ce n’est pas toujours beau à voir. 

 

Qui pourrait dire qu’il ne s’agit pas là de production d’un ordre social, ou à tout le moins d’un façonnage de l’ordre social ? Et cet ordre social est façonné sans intervention des gouvernants ni usage de politiques publiques. Une récente enquête menée par Fabien Jobard et René Lévy en apporte une démonstration paradigmatique.

Les contrôles d’identité effectués par les policiers ne se fondent pas sur leur base légale, la recherche de personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction ou susceptibles d’attenter à la sécurité des personnes ou des biens, ou à l’ordre public.

Ils sont en fait déterminés par deux caractères physiques tels qu’ils sont perçus par les policiers : l’appartenance à une « minorité visible » (les Noirs et les Arabes sont beaucoup plus souvent contrôlés que les Blancs) et le style des vêtements portés (par exemple « hip-hop », « gothique » ou « punk »).

Ces pratiques policières sont évidemment illégales et en contradiction aussi bien avec les textes constitutionnels et législatifs qu’avec la déontologie policière. Elles n’en existent pas moins massivement et façonnent l’ordre social […] elles contribuent à perpétuer dans la société les stéréotypes sociaux et raciaux.

Elles ont de surcroît des conséquences lourdes sur la vie publique, puisqu’elles alimentent les conflits quotidiens entre policiers et jeunes, et constituent une des causes endémiques des problèmes que les banlieues connaissent.

Il y a bien production policière d’un ordre social en marge de toute politique publique (et même ici en contradiction avec les politiques publiques affirmées).

Pierre Favre, « Quand la police fabrique l’ordre social. Un en deçà des politiques publiques de la police ?», Revue française de science politique 6/2009 (Vol. 59) , p. 1231-1248

 

Le jugement dans l’affaire James Forcillo tombe donc au bon moment, dans un contexte nord-américain marqué par les protestations virulentes contre les violences policières. Des tensions, des inquiétudes, des affrontements, des morts, la confiance brisée, la suspicion, le rejet, la défiance, l’irrespect. 

Cette décision judiciaire est un soulagement. Elle envoie un message d’une fermeté salutaire et d’une limpidité qui a l’effet d’une piqûre de rappel : ici, ce n’est pas le Far West. Flic, oui. Cowboy, non.

Protéger et servir, oui. Terroriser et sévir, non.

Encore moins, sévir et se protéger. 

Le citoyen lambda, ordinaire, respire. Beaucoup mieux. 

 

 

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