Les intellos lisent Wikipédia, et (surtout) ne le disent pas

Oscar et moi nous nous sommes disputés, il y a plus d’une décennie. Disons que nous avons eu une discussion vive, un échange passionné, un débat sous tension. Je ne me souviens plus du sujet de la controverse, mais je me rappelle du moment précis durant lequel Oscar a voulu arracher ma tête du reste de mon corps. Il était dans une colère noire.

Ce qui mettait Oscar, mon vieil ami, dans une furie destructrice de l’Autre, l’origine du mal, c’était mon acte d’humiliation. Nous débattions, et à un point de cette guerre d’idées devenue au fil de l’échange une guerre d’égos il m’a fait comprendre qu’il avait raison puisque Wikipédia disait la même chose que lui.

Ma réponse a fusé : « Nan, t’es pas sérieux, vraiment ?! Wikipédia ?! Ce truc d’incultes finis ?! C’est ça ta source ?! Eh ben.. En même temps que veux-tu personne n’en attend pas moins de toi.. » Le public qui nous servait d’auditoire a ri, une partie a applaudi, Oscar n’a pas su répliquer, il ne me l’a jamais pardonné. C’était il y a plus d’une décennie.

A chaque fois qu’Oscar et moi nous nous sommes revus, il est revenu sur cet épisode, il ne l’a jamais digéré. J’avais été méprisant et condescendant, digne de ces débatteurs qui n’ont pas raison, mais qui ne veulent pas avoir tort. Depuis, notre tendre enfance – qui ne fût pas toujours d’une grande tendresse – nous avions été formés à l’école pour être des matadors du débat – et beaucoup matamores. Aucune pitié, et faire gicler le sang de son objecteur. Nous avions été formés à convaincre – quitte à passer par l’insulte plus ou moins déguisée, la mauvaise foi totale, la malhonnêteté intellectuelle. Faire avancer le débat n’était pas l’objectif, les joutes oratoires n’avaient pas ce but; tout était une question de rhétorique, d’arguments, de stratagèmes,  et de mise-à-mort. La persuasion, avant tout. Et beaucoup d’orgueil, de vanité. 

Oscar et moi avions fait les mêmes études et avions eu les mêmes enseignants rhéteurs. Au secondaire, nous avions lu L’art d’avoir toujours raison de Schopenhauer, nous le récitions par cœur. Nous maîtrisions tous les retors de la Dialectique éristique. Oscar n’était donc pas un ange, si je lui avais offert la même occasion il m’aurait pulvérisé. Il n’aurait pas hésité. Tirer pour tuer. C’était la dynamique presque attendue de tout débat. Nous étions de purs sophistes et des Cicéron en devenir. Ce jour-là, j’ai tiré et tué Oscar. La foule a joui.

En réduisant Oscar a un Wikipédia inculte et d’incultes, j’appliquais à la lettre l’ « Ultime stratagème » de Schopenhauer :

Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant., cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est : on pourrait appeler cela argumentum ad personom pour faire la différence avec l’argumentum ad hominem. Ce dernier s’écarte de l’objet purement objectif pour s’attacher à ce que l’adversaire en a dit ou concédé. Mais quand on passe aux attaques personnelles, on délaisse complètement l’objet et on dirige ses attaques sur la personne de l’adversaire. On devient donc vexant, méchant, blessant, grossier. »

L’ultime stratagème dans le but d’en arriver au stratagème 8 :

« Mettre l’adversaire en colère, car dans sa fureur il est hors d’état de porter un jugement correct et de percevoir son intérêt. On le met en colère en étant ouvertement injuste envers lui, en le provoquant et, d’une façon générale, en faisant preuve d’impudence. »

Parce que se mettre en colère dans un débat d’idées est généralement perçu de façon négative, on donne l’impression de perdre ses moyens et de n’avoir rien à dire. Le public retient la colère, l’émotion de colère, l’incapacité à se contrôler, l’absence d’argument rationnel, mais surtout la violence de la colère. Le public ne s’attarde pas sur la violence du propos ayant provoquée délibérément la colère légitime ou l’insulte ayant blessée toute dignité qui se respecte, le public garde en mémoire la réaction de violence somme toute humaine d’un être aussi sensible que soi, réaction convenue dans des conditions que l’on ne tolérerait pas.

Le public oublie qu’il aurait réagi exactement de la même manière – c’est un être humain, il se compare et se dit qu’il vaut mieux, alors il juge et fait tomber la guillotine sur celui ou celle qui pète un câble devant l’ignominie.

La violence est inadmissible dans nos sociétés d’une violence inouïe, sournoise, avec nos guerres civiles larvées. Cette violence qui ne se dit pas, n’élève pas la voix, mais qui s’exprime avec un sadisme redoutable dans les échanges à l’apparence « Peace & Love ». C’est pourquoi si vous l’avez remarqué de nos jours, plus personne ne se met en colère de façon ouverte. On ne veut pas passer pour violent, et l’on ne perd jamais une occasion d’humilier l’Autre ou de lui faire comprendre qu’il est d’une connerie innommable en usant d’un lexique propre sur lui et une attitude tout à fait courtoise. Nous vivons une société de la forme, de la perception, du sentiment. La forme prône sur les restes.

Oscar et moi vivions une époque où la violence ouverte claire franche directe comme le dirait les fachos de nos jours était décomplexée, les propos trucidaient l’Autre dans le débat de gladiateurs, la plèbe prenait son pied et levait le pouce approbateur. Ce n’était pas un idéal, au moins cela avait le mérite de ne pas avancer masqué.

Aujourd’hui, à certains égards les choses ont peu changé. Je suis tombé dernièrement sur l’échange Onfray et Moix à l’émission On n’est pas couché animé par Ruquier, c’est violent à la fois intellectuellement et par le langage – autrement dit, la petite insulte du comptoir de bistrot avec beaucoup plus d’intelligence et de vocabulaire. Mais c’est net, l’on comprend les positions et les arguments des improbateurs, l’on comprend qu’il est fort peu probable qu’ils passent leurs vacances ensemble, l’on comprend qu’ils appartiennent à des mondes diamétralement opposés sans jamais désespérés d’une possible conciliation des points de vue – puisque au fond tout est une question de volonté et d’humilité. Cet échange est très franco-français, culturellement parlant. On gueule et s’engueule en France. On est souvent dans une dynamique d’arrogance et de mépris, car presque tout le monde en France – plus précisément à Paris – est un intello qui se revendique et s’affirme.

Et comme tout le monde se croit plus ou moins intello ou est convaincu d’avoir de la matière grise susceptible d’une intronisation dans l’olympe des académiciens, tout le monde considère l’Autre comme un abruti total, irrécupérable. Faut bien pour se mettre en valeur avoir un plus petit que soi. Généralement. Encore une fois, cette vision totalisante est une exagération certaine, elle est caricaturale, mais le propre de la caricature qui tend à englober et à dissoudre dans un réel homogène des particularités irréductibles c’est cela. Grossir le trait pour dresser un portrait général.

C’est légitime, subjectif, et ne devrait pas avoir la prétention d’autre chose. Le cas contraire, ce n’est plus de la caricature, c’est de la bêtise, et pour le coup le jugement n’est pas de valeur, il est factuel. La bêtise est un manque de bon sens, et parfois – beaucoup – d’intelligence. Une caricature intelligente n’a pas la prétention de dire la vérité, mais une certaine vérité. Aussi conne et pertinente que le réel auquel elle s’attaque. Encore une fois, il est attendu que l’on ne soit pas tous d’accord sur la question.

Oscar en colère était caricaturale en perdant tout ce qu’une caricature a de pertinent. En faisant de lui un Wikipédia bipède ou personnifié, j’invalidais son propos sans faire la démonstration de son inintelligibilité, simplement en moquant sa source. C’était une facilité.

Oscar est devenu un de mes meilleurs amis, un frère, même s’il ne me l’a jamais excusé. Je lui ai demandé pardon il y a quelques années. Je me suis rendu compte que certains évènements sont de véritables traumatismes qui ne peuvent être guéris ou dont la guérison ne peut être envisagée que par l’obtention d’un pardon sincère répondant à des excuses de la même nature. Même si je suis bien conscient que Oscar m’aurait fait la même chose, je lui devais des excuses, je l’avais blessé d’une façon insupportable – avec le temps je dirais absolument inacceptable, et il vivait depuis toutes ces années avec les séquelles.

De nos années estudiantines, la plupart des gens en parlant de lui ne se souviennent que de ce moment terrible. Oscar, je l’ai réduit à ce souvenir qui l’a défini aux yeux de tous, et pratiquement pour l’éternité. Je ne pourrais sans doute jamais réparer ma faute, Oscar ne cicatrisera sans doute jamais.

 

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« Depuis sa création en janvier 2001, par l’Américain Jimmy Wales, plus d’un million d’articles ont déjà été écrits. Aujourd’hui, l’encyclopédie existe dans 90 langues, la version francophone comptabilise à elle seule près de 80 000 articles, tandis que le Wikipédia anglophone compte à ce jour plus de 350 000 articles. Et c’est loin d’être fini, le projet Wikipédia comprend désormais un dictionnaire (Wikitionary), un recueil de citations (Wikiquote) et un catalogue de documents historiques dans le domaine public (Wikisources). »http://www1.rfi.fr/actufr/articles/061/article_33309.asp

 

Il y a plus d’une décennie, Wikipédia était une inculture extraordinaire. Aujourd’hui, c’est une source de connaissances qui abreuve la curiosité des personnes, nourrit les intellos, et qu’il est interdit de citer dans ses recherches scientifiques (ou universitaires), encore moins de l’assumer publiquement. Une question de qualité et de crédibilité dit-on. Et c’est une décennie plus tard une vraie connerie. Wikipédia est de nos jours une plateforme de collaboration et de contribution du savoir dont les membres sont souvent des universitaires, des diplômés, des experts dans le domaine. C’est une encyclopédie réformable par toute personne ayant la capacité intellectuelle de le faire. C’est un forum d’échanges de points de vue qui vire quelques fois en des guerres d’opinions et de subjectivités comme dans la vie ordinaire des gens ordinaires. Ces guerres sont normalement accessibles à tout internaute qui peut s’en faire une idée, Wikipédia sur cet aspect est transparent, on sait d’où vient ce que l’on lit et quel consensus a été trouvé sur ce que l’on lit. Wikipédia est d’autant plus transparent que contrairement aux encyclopédies de mon enfance – j’appartiens à la génération précédente de celle qui est né avec un ordinateur ou un bidule technologique entre les mains, à mon époque on naissait avec un pavé encyclopédique d’un millier de pages format papier entre les  mains que l’on apprenait à exploiter en même temps que l’on apprenait à lire – l’on peut retracer les sources, les évaluer, et contribuer si l’on le souhaite à la vulgarisation du savoir. En d’autres mots, Wikipédia ce n’est pas du n’importe quoi.

Cette opinion n’est pas la plus partagée par la bande d’intellos snobinards que j’ai dû me farcir dans une soirée montréalaise il y a peu de temps. C’est une connaissance post-doctorante de l’université réputée la plus marxiste du Québec qui a eu l’outrecuidance de dire « T’sé, j’ai lu sur Wikipédia que Boris Vian était peu reconnu de son vivant, j’ai toujours pensé le contraire, c’est quand même drôle hein qu’un tel géant n’ait été reconnu comme tel qu’après sa mort, comme quoi tout n’est pas perdu ! »

Ceux qui nous écoutaient ont retenu « Wikipédia ». Sa source. Les regards réprobateurs disaient « Ah ! Wikipédia… ». Les mêmes qui dans leurs thèses doctorales utilisent les références de Wikipédia sans jamais avouer leur origine – je le sais d’autant plus qu’il suffit de tomber sur la page Wikipédia parlant du sujet de leur recherche pour retrouver les mêmes références présentées dans leurs thèses. Citer des sources de Wikipédia sans toutefois reconnaître qu’elles proviennent de Wikipédia, je nomme ça de la malhonnêteté. Citer Wikipédia en snobant Wikipédia c’est la bêtise même. C’est méprisable.

 

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Lorsque Oscar et moi avions débattu, Wikipédia n’était pas ce que l’encyclopédie en ligne est aujourd’hui. Et je dirais que même si Wikipédia n’était pas d’une qualité irréprochable à l’époque cela ne justifiait pas ma réplique, mon insulte. Oscar aurait pu souligner que le Larousse que je lui opposais n’était pas dénué de tout reproche, que les opinions passant pour des définitions canoniques quasi universelles y étaient aussi biaisées que les personnes qui les écrivaient. La preuve, le Petit Robert ne disait pas toujours la même chose que le Larousse. Je le sais, j’ai grandi avec les deux. Durant mon enfance et jusqu’à ce que je sois admis à l’université, ma mère chaque année achetait le Larousse et le Petit Robert. Je suis né dans une maison remplie de Larousse datant des années 1980 jusqu’au crépuscule des années 1990, j’ai grandi dans une maison où les piles d’encyclopédies et de dictionnaires encyclopédiques remplissaient toute chambre à coucher – pour dire, constituaient une immense bibliothèque à eux seuls. Les différences n’étaient pas seulement de l’ordre de la formulation, quelques fois le fond était antagoniste. Le Petit Robert disait une chose, le Larousse autre chose. Dans ce cas, la définition que je retenais était celle du celui des deux ouvrages qui avait la plus grande notoriété en termes de crédibilité – celle citée par mes enseignants, je veux dire le Larousse pour les plus conservateurs et le Robert pour les ouverts à la pluralité des sens. J’étais dans un permanent aller-retour entre les deux.

« Le Larousse est un dictionnaire encyclopédique c’est-à-dire qu’il parle des choses. C’est pour cela qu’il comporte des illustrations (photos, dessins, schémas). Il consiste à donner les premiers éléments de connaissance sur un maximum de sujets ou de notions. Seconde caractéristique : il est plus facile d’accès, familial, plutôt orienté vers la vie courante en se limitant aux sens les plus fréquents d’un mot et aux explications de base. Il est aussi plus adapté pour être feuilleté un peu au hasard.

Le Robert est un dictionnaire de langue c’est-à-dire qu’il parle des mots. Il sera donc plus précis pour détailler les différents sens d’un vocable et ses constructions possibles dans une phrase. Par exemple, la définition du verbe « commencer » indique la différence de sens entre « commencer à » (se mettre à faire quelque chose) et « commencer par » (faire une chose pour pouvoir en faire une autre après).

C’est ce qui permet d’écrire avec plus de précision, avec l’aide de deux autres caractéristiques : des phrases d’écrivains pour comprendre comment le mot s’utilise dans un contexte précis et des renvois analogiques : pour la plupart des mots, ce dictionnaire propose d’aller en voir d’autres, très proches, pour comprendre la différence et choisir le bon. C’est ce qui permet de progresser vers plus de précision à l’écrit.

Mais il permet aussi de mieux lire les textes, en particulier littéraires, de mieux comprendre le mot et ses effets, en précisant l’époque où il s’utilisait ou bien son registre. Par exemple, dans la toute dernière phrase de l’Ile mystérieuse de Jules Verne, le narrateur rappelle que les naufragés étaient arrivés sur l’île « pauvres et nus ». Contresens possible… mais le petit Robert permet de faire la différence entre quelques emplois courants de « nu » (« être tout nu » / « tête nue » / « appareil vendu nu » = sans accessoires, etc.) et le sens littéraire qui se trouve ici (devenu très rare aujourd’hui) : « mal vêtu, misérable ».

Cette enfance écartelée entre le Larousse et le Petit Robert m’a fait comprendre deux choses essentielles : le savoir est protéiforme et il n’y a pas d’accès unique à la connaissance, il y a une multiplicité de portes d’accès. Encore faut-il garder en tout temps ou aussi longtemps et aussi souvent que l’on le peut l’esprit critique. J’avais onze ans, douze ans.

Ainsi lorsque j’ai répondu à Oscar, j’étais bien conscient que Wikipédia n’était pas le Larousse ou le Petit Robert mais qu’en termes de qualité d’information rivalisait déjà avec ces derniers, que ce qui les séparait relevait davantage de la notoriété, du snobisme, de l’ignorance si l’on souhaite faire preuve d’euphémisme ou de la connerie si l’on ne le veut pas. Je savais que dans l’opinion du public, Wikipédia était méprisable, nous étions tous faits du même bois. Alors, j’ai joué sur le préjugé défavorable facile, j’ai tué Oscar.

 

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« La première question que l’on pose habituellement, au sujet de Wikipédia, est celle de sa fiabilité. En décembre 2005, la revue scientifique Nature décide de tester la fiabilité de Wikipédia en la comparant à la célèbre Encyclopaedia Britannica, monument encyclopédique outre-Atlantique. Le test porte sur 50 articles scientifiques, soumis à des experts pour évaluation. Le taux d’erreur serait de 2,93 par article sur la Britannica et de 3,86 sur Wikipédia, qui l’emporte en termes d’accessibilité et de volume d’information disponible. L’équipe éditoriale de la Britannica conteste la méthodologie de l’étude. Wikipédia serait basée sur la confiance et la négociation, non sur la science ; la qualité de ses articles correspondrait à celle que l’on peut attendre d’un élève de lycée. Toujours est-il que les erreurs relevées dans Wikipédia sont corrigées très vite, beaucoup plus vite que sur la Britannica. La rapidité du processus d’édition est au cœur du succès de l’encyclopédie collaborative en ligne.

En décembre 2007, un test du magazine allemand Stern déclare la version allemande de Wikipédia largement vainqueur dans une compétition qui l’oppose à la Brockhaus Enzyklopädie, riche d’une tradition vieille de deux siècles et d’un prestige inégalé outre-Rhin. Le test est conduit par le Service de recherche scientifique de Cologne, réputé pour son sérieux.

Cinquante articles appartenant à des domaines variés (et non plus seulement au domaine scientifique, comme dans le test de Nature) sont soumis au test, selon quatre critères : l’exactitude, la complétude, l’actualité et la clarté de l’information. Wikipédia est déclarée gagnante pour quarante-trois articles sur cinquante, la note moyenne étant de 1,6 pour Wikipédia et de 2,3 pour la Brockhaus, selon le système de notation allemand. Le jour même de la mort de Luciano Pavarotti, l’information a été retranscrite sur le site de Wikipédia, alors que ce n’était évidemment pas encore le cas sur l’édition papier de la Brockhaus lorsque le test fut lancé, quelques mois après. Wikipédia l’emporte aussi sur le critère de l’exactitude – une victoire étonnante des citoyens lambda. La Brockhaus ne l’emporte que sur le critère de la clarté, certains articles de Wikipédia ayant été jugés mal organisés, ou truffés de détail de faible pertinence. » – Foglia, Marc. « Faut-il avoir peur de Wikipédia ? », Études, vol. tome 410, no. 4, 2009, pp. 463-47

 

Faut-il mépriser Wikipédia ? Je ne sais pas. Vous ferez ce que vous voudrez. Néanmoins, ce que je peux dire – à l’instar de certaines études menées et des « Critiques de Wikipédia » que l’on retrouve d’ailleurs sur un article éponyme disponible sur la plateforme collaborative – c’est que l’encyclopédie (en ligne) est souvent truffée d’erreurs ou d’approximations, que les articles ou les fiches sont quelques fois orientées avec des sources (primaires, secondaires, tertiaires) qui donnent l’apparence d’objectivité alors qu’il n’en est rien, que la crédibilité « scientifique » des contributeurs pose certaines questions, que la fiabilité de l’information est sujette à caution, que le projet en lui-même souffre d’influences politico-idéologiques manifestes et de partisannerie, que le système de contribution anonyme n’est pas sans défaut même si l’on peut comprendre l’intention qui le soutient, etc. Etc. Etc. Le gros problème de Wikipédia comme de toutes les autres encyclopédies c’est la prétention à la neutralité absolue. Personne, intellectuelle, scientifique, ordinaire, lambda, n’est neutre.

 « Le principe fondateur de Wikipédia intitulé La neutralité de point de vue atteste de l’aspiration du site à présenter une information fiable et dépourvue de tout biais idéologique – un principe qui exige une écriture équilibrée dans le cas d’opinions diverses ou opposées. En un premier temps, on analyse la mise en mots du principe de neutralité tel qu’il est conçu par Wikipédia, pour le définir et le confronter avec les postulats des linguistes de l’énonciation et des analystes du discours du siècle dernier. En un deuxième temps, l’analyse critique d’un extrait de l’entrée « Lehi » permet de s’interroger sur la conformité de la rédaction des entrées aux règles de l’encyclopédie. L’écart qui ressort de l’analyse soulève la question de savoir à quoi réfère en réalité le concept de « neutralité » dans les entrées que les contributeurs qualifient comme telles. L’examen de la discussion montre que dans le processus qui confère à une entrée la mention « article de qualité », à savoir entre autres « neutre », les valeurs de convivialité et de coopération entre les contributeurs l’emportent sur le devoir d’impartialité et de suspension de la prise de position. […]

L’approche négative est explicitée par cette définition : « ne représenter aucun point de vue comme étant la vérité ou le meilleur point de vue » (« Wikipédia : Principes fondateurs »). La définition marque une rupture entre « le point de vue » et « la vérité ». Représenter un point de vue comme étant la vérité implique l’usage dans l’énoncé d’« effets d’objectivité » (Koren 1996). D’après cette définition, la rédaction devrait donc éviter cette pratique linguistique. De plus, cette directive vise à mettre en garde les rédacteurs contre la conviction de pouvoir détenir la Vérité absolue. D’autre part, cette définition souligne le devoir du rédacteur de s’éloigner de toute évaluation des points de vue qu’il décrit ou d’établir la moindre hiérarchie entre son propre point de vue et celui des autres. Représenter un point de vue comme étant le meilleur suppose une évocation plus ou moins implicite du savoir du rédacteur, mais aussi de ses goûts, de ses valeurs et de ses opinions. Pour que le texte soit pluraliste, la rédaction devra éviter tout signe linguistique qui sous-entendrait une préférence ou une objection du rédacteur vis-à-vis du point de vue présenté. La neutralité se traduirait donc dans le contexte de Wikipédia comme une absence de prise de position – explicite ou implicite –  par le contributeur.

Or, le savoir acquis à ce jour dans les sciences du langage permet de penser qu’il s’agit là d’un mythe inspiré par une conception rationaliste du langage, comme le démontre Koren à propos du journalisme (ibid.). Cette conception ne tient pas compte des acquis de la linguistique moderne. Celle-ci a en effet établi depuis Saussure qu’il n’existe pas de locuteur absent de ses propres dires : tout énoncé résulte d’une série de sélections et de décisions impliquant nécessairement une prise de position. Rappelons ici l’affirmation de Kerbrat-Orecchioni (2009 [1980] : 79) : « toute unité lexicale est, en un sens, subjective, puisque les ‘mots’ de la langue ne sont jamais que des symboles substitutifs et interprétatifs des ‘choses’ ». » – Rivka Dvira, « L’Éthique du discours dans Wikipédia : la question de la neutralité dans une encyclopédie participative », Argumentation et Analyse du Discours, 17 | 2016, http://journals.openedition.org/aad/2286

Depuis Thomas Kuhn nous savons que tout penseur est le produit de son environnement, ce qui se traduit dans la perspective adoptée dans l’examen d’un phénomène ou d’un objet (découpage de l’objet, approche de l’objet, etc.), par le langage utilisé ou le vocabulaire, par les orientations données à des éléments explicatifs, par le contexte historique, etc. Personne ne peut et ne saurait être neutre, dès lors ce que l’on attend des penseurs ou des gens c’est une forme de subjectivité objective – l’expression d’un point de vue susceptible d’être falsifiable dans le sens de Karl Popper et issue d’une méthodologie satisfaisante qui serait universalisable, c’est une présentation équilibrée des faits complémentaires et contradictoires (pour dire relevant de l’honnêteté intellectuelle qui est nécessaire dans le choix éclairé que fera le lecteur). Personne n’est neutre parce que personne n’est une page blanche, un vide, un néant. Nous avons tous un penchant pour ou contre quelque chose, nous avons un passif fait d’expériences, nous avons une sensibilité construite dans notre participation au monde social ou de socialisation dans lequel nul ne peut être imperméable aux influences, nous évoluons au quotidien dans une existence constituant un champs d’expérience et d’expérimentation, inconsciemment ou consciemment nous sommes transformés et nous sommes positionnés quelque part.

L’objectivité n’est pas la neutralité, l’objectivité suggère la critique sur sa propre identité ou sensibilité, la confrontation avec ce qui nous est différent au point souvent de nous être incompatibles, l’ouverture au contraire et la reconnaissance du contraire. L’objectivité est une humilité, ce que l’on dit, ce que l’on pense, ce que l’on perçoit n’est pas un absolu, la vérité est un mythe. Alors, on se doit de tenir compte de la diversité, de comprendre sa pertinence, de montrer en quoi elle constitue une limite à notre propre vision des choses et donc une voie alternative explicative légitime. L’objectivité c’est la juxtaposition des différences et la nuance introduite dans le propos. Le crime originel de Wikipédia, et des autres, c’est de prétendre à la neutralité ce qui est une impossibilité. Le crime de toute opinion est de laisser croire à l’absence d’influences alors que nous sommes tous pollués par une multitude d’influences. Le crime de toute réflexion supposément neutre est de se raconter des histoires et d’y croire. La réflexion devrait être une pluralité de vérités qui se contredisent, se complètent, et permettent de nous faire tous avancer vers l’idéal de vérité – tout au moins vers un consensus de connaissance non-canonique, c’est-à-dire exprimant l’état actuel du savoir et invitant au progrès, à la reforme, à la remise en cause. La connaissance, le savoir, n’est pas une parole sainte. C’est ce qu’elle a de plus intrinsèque.

« En introduction de l’ouvrage Les encyclopédies : construction et circulation du savoir de l’Antiquité à Wikipédia, M. Groult souligne la différence entre l’Encyclopédie des Lumières et les dictionnaires qui l’ont précédé, tel l’ouvrage de Chambers, la Cyclopaedia. « On est désormais dans une forme moderne de pensée scientifique où l’entendement a pris la place de l’érudition », écrit M. Groult (2011b, 15). À la différence de l’Encyclopédie de Chambers, l’Encyclopédie des Lumières ne puise pas dans les livres la totalité de sa matière. Diderot reproche à Chambers de ne pas avoir rencontré d’artistes, alors qu’il y a pour un encyclopédiste tant de choses à apprendre dans les ateliers. À la définition des mots vient désormais s’ajouter celle des choses signifiées par les mots. L’Encyclopédie devient pour cette raison même une œuvre collective. Les éditeurs ont fait appel à de nombreux savants et artistes, chacun rédigeant les articles traitant de la science ou de l’art dont il était spécialiste. Enfin, il appartient à chaque auteur, dans les articles qu’il rédige pour l’Encyclopédie, de fixer les limites de sa discipline et d’en compléter le vocabulaire. Nous sommes en présence d’une conception ouverte du savoir dont l’origine revient à Bacon.

Dans l’article intitulé « Le chantier sans maître, l’Encyclopédie et la question de la technique », P. Caye rappelle que « Bacon conçoit la recherche scientifique, le développement technologique et d’une façon générale la marche de la société comme un chantier sans maître, qui se déploie spontanément sans anticipation ni projet déterminé » (Caye, 2009, 454). Il montre comment le travail éditorial de Diderot procède dans l’Encyclopédie de la même conception. Diderot, écrit-il, vise à « donner la parole au chantier sans pour autant lui imposer un maître : il s’agit de la parole propre du chantier et non de celle d’une instance extérieure et supérieure » (Caye, 2009, 459). Cette « parole propre au chantier » est, selon nous, produite par la multiplicité des points de vue dont l’Encyclopédie est composée. Diderot énonce dans le Prospectus de l’Encyclopédie que « le nombre des systèmes possibles de la connaissance humaine, est aussi grand que le nombre des esprits » (Prospectus, 8).

Tous les systèmes possibles de la connaissance humaine sont des points de vue s’exerçant à l’intérieur de l’Encyclopédie, et l’on comprend qu’il soit ici utile de recourir à une métaphore architecturale afin de rendre compte des possibilités offertes par l’Encyclopédie en matière de visualisation des connaissances. Parler de conception ouverte du savoir signifie que non seulement le nombre des points de vue est infini mais aussi qu’ils participent tous à la connaissance humaine sans suivre d’autre règle que celle de l’ordre encyclopédique qu’ils composent par eux-mêmes. Ainsi Diderot attend-il des auteurs comme des lecteurs de l’Encyclopédie qu’ils fassent moins preuve d’érudition que d’acquisition d’un point de vue sur la connaissance. […]

Il est dès lors permis de mettre en évidence un questionnement qui pourrait faire sens lors de l’examen d’autres tentatives d’organisation et de visualisation des connaissances. Ainsi s’agit-il, selon nous, de considérer l’édition électronique de l’Encyclopédie en revenant aux problèmes épistémologiques inhérents à toute conception encyclopédique de la connaissance. En effet, quelle que soit l’imperfection de l’ouvrage que nous ont laissé Diderot et d’Alembert ou celle des éditions numériques contemporaines et à venir, c’est en développant un point de vue sur les connaissances humaines que notre lecture sera à la hauteur des possibilités intellectuelles que nous offre l’Encyclopédie. » – Fauvergue, Claire. « L’Encyclopédie hors du livre », Revue d’anthropologie des connaissances, vol. 8, 4, no. 4, 2014, pp. 781-805.

 

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Wikipédia n’est pas exempt de griefs. Comme toute œuvre humaine l’encyclopédie en ligne, collaborative et participative, n’est pas parfaite. Mais ces critiques ne sont pas uniquement spécifiques à Wikipédia, on pourrait aisément les diriger contre d’autres mastodontes du savoir encyclopédique, on pourrait s’interroger sur le financement des entreprises privées derrière ces « géants » de la diffusion de la connaissance sur les Internets, on pourrait trouver à redire sur les « experts » subventionnés par de grands groupes privés, on pourrait s’étonner quelques fois du ton de certains articles qui en matière de partie pris ne font pas toujours dans la subtilité, on pourrait être interloqués de certains raccourcis ou approximations ou critiquer la perspective adoptée dans l’analyse ou la présentation de tel sujet, etc. Etc. Etc.

Dans un article publié en 2009 (et dont la dernière modification date de juin 2018) sur Clubic, Frédéric Cuvelier comparait les différents « titans » de l’encyclopédie en ligne en se basant sur certaines variables telles que l’ergonomie, le contenu, les contributeurs, la pertinence des informations, entre autres choses :

« Comment tester des encyclopédies en ligne ?

Quels sont les critères sur lesquels une encyclopédie en ligne peut-elle être jugée ? Sa pertinence, tout d’abord. Pour cela, nous comparerons le contenu des différentes encyclopédies sur deux sujets que nous maîtrisons bien, en informatique (la technologie RAID) et en physique (le boson). Il convient également de vérifier la réactivité de l’encyclopédie : nous effectuerons donc une recherche sur une personnalité qui a connu une actualité récente (Roman Polanski) ainsi qu’un fait dont tous les médias ont parlé ces derniers jours (le oui irlandais au traité de Lisbonne). Nous tenterons aussi d’apprécier la capacité des différents acteurs à proposer un contenu multimédia riche et varié, grâce à des articles sur le système solaire et l’oscillateur harmonique. Pour vous renseigner sur le style d’écriture des encyclopédies (engagé, neutre, réservé…), nous effectuerons une recherche sur un article polémique (la loi Hadopi). Enfin, grâce à des sujets sur la discographie d’un artiste (Pink Floyd) ou un article sur un lieu précis (La Nouvelle Calédonie), nous testerons l’exhaustivité de l’information fournie.

S’ils ces critères sont prépondérants pour juger les encyclopédies sélectionnées, ils ne conditionnent pas à eux seuls leur qualité. Nous discuterons donc également de la diversité des thèmes traités, du nombre d’articles disponibles, de l’ergonomie générale des différents sites et également de l’aspect participatif des 6 encyclopédies sélectionnées.

 

Hachette Multimédia [qui obtient la note de 0/5]

Nous aurions vraiment aimé vous présenter l’encyclopédie en ligne d’Hachette. Vraiment. Oui mais voilà, ce site semble tout aussi à l’abandon que le support optique vendu par Hachette et qui date maintenant de 2007. Il nous a été ainsi impossible de nous abonner à cette encyclopédie, malgré nos nombreux essais (deux ordinateurs différents, avec Firefox ou Internet Explorer). Nous avons également tenté de joindre Hachette à ce sujet, et visiblement rares, très rares sont les personnes qui s’occupent de l’encyclopédie en ligne.

 

[…] Larousse [note obtenue : 2/5]

L’encyclopédie en ligne de Larousse, contrairement à celle d’Hachette ou à Universalis, est gratuite. C’est son premier atout. En effet, le modèle économique choisi par Larousse est inédit dans le monde des encyclopédies en ligne, puisque les publicités financent le contenu de fond produit par Larousse tandis que les internautes peuvent participer de façon active à augmenter le nombre d’articles traités. Cette double source d’informations permet-elle à Larousse de damer le pion aux autres encyclopédies ? […]

Si Encyclopédie Universalis n’a pas encore franchi le cap de la contribution, Larousse l’a fait. Et le fait savoir. La page d’accueil du site fait en effet la part belle aux contributeurs à grands coups de photographies qui occupent la moitié de la page avec une sélection des meilleures contributions placées sous ces visages. De plus, il suffit de cliquer sur l’une des petites têtes présentes pour voir s’afficher une page qui lui est dédiée et dont le contenu ne dépend que du contributeur, puisque l’on peut y ajouter un descriptif complet en plus des liens vers ses articles et ses médias. Un système de vote et de commentaires est également présent pour valoriser le travail de l’auteur tout en indiquant au lecteur la qualité de l’article.

Tout comme sur Wikipedia ou Knol, il est très simple de devenir contributeur pour Larousse : l’inscription est très rapide et vous permet de commencer à rédiger vos articles. Le système est le même que sur Knol : les articles sont modérés. En pratique, seul l’auteur peut en modifier le contenu, à moins évidemment d’accepter de la part d’un tiers une collaboration, ce qu’il est particulièrement simple de faire. […]

Si l’encyclopédie en ligne de Larousse est effectivement gratuite, les contre-parties sont elles aussi bien réelles. La première d’entre elles est évidemment la présence de publicité sur le site. Elle n’est pas vraiment envahissante, mais surprend un peu, notamment le cadre situé à droite de la page. Mais là n’est pas le principal problème. En effet, le plus gênant est probablement le manque de réactivité du site, probablement dû à des effectifs rédactionnels relativement réduits. La preuve de cette latence un peu longue se trouve sur la page d’accueil, dans le cadre « Evènements à la Une ». Le dernier a été rédigé le 22 septembre et évoque les albums remastérisés de Beatles sortis le 9 septembre et le match Serbie-France, qui a eu lieu à la même date. De même, les articles issus de la collection Larousse ne sont pas forcément de première fraîcheur et le oui irlandais au traité de Lisbonne n’est pas encore référencé dans la page idoine. […]

Le style des articles présents sur le site de Larousse varie selon l’auteur, bien évidemment. Mais la ligne éditoriale semble objective et se passe de certains éléments que propose Wikipedia : une recherche sur Roman Polanski vous fournira sa biographie et son œuvre, mais n’évoquera pas les soucis actuels du réalisateur.

Du fait de l’ouverture à la contribution, il est relativement attendu que les derniers éléments technologiques ne soient présents sur le site que par la bonne volonté d’un passionné érudit. Certes. Ainsi, on ne trouve rien concernant Hadopi sur ce site, ni même concernant la technologie RAID (qui est une incursion en territoire ennemi). Plus grave cependant, une recherche sur la nuit de la St Barthélémy ne nous a fourni aucune réponse. Gênant. En revanche, le recours aux contributions permet de bénéficier du travail de passionnés qui sont capables de rédiger des articles très pointus sur un sujet précis. Mais est-ce là le souhait principal d’un utilisateur d’encyclopédie ?

A contrario, l’article sur la Nouvelle-Calédonie comporte un historique complet, bien rédigé, avec quelques illustrations, une carte et les principales données. En revanche, l’article n’atteint pas l’exhaustivité de Wikipedia et ne propose pas d’actualités récentes sur l’île. Précisons également que chaque article propose, dans le corps du texte, des liens souvent pertinents, discrets et bien placés, en nombre restreint, contrairement à ce que l’on trouve sur Wikipedia. Pour finir, louons la fonction d’impression du site, qui adapte la mise en page de l’article de façon efficace. […]

 

Encyclopædia Universalis [note obtenue : 3/5]

La réputation de l’Encyclopédie Universalis n’est plus à faire : 30 000 articles, 20 000 photographies, tableaux, dessins ou schéma, 400 cartes, le tout rédigé par 7 000 auteurs tous plus qualifiés les uns que les autres. En effet, point de contribution des lecteurs ici, tous les articles sont écrits par des professeurs d’université ou des philosophes érudits. Cela ne suffit évidemment pas à construire la renommée dont bénéficie Universalis : quels sont donc les autres arguments de cette encyclopédie en ligne ? […]

Bon point également pour la bibliographie complète systématiquement présente en fin d’article. Les fiches rédacteurs sont quant à elles présentes non pas pour vanter les mérites des auteurs qui n’ont certainement pas besoin de cela, mais pour mettre en avant tout le sérieux qui se dégage de l’encyclopédie.

Le contenu d’Universalis est varié et pourra satisfaire les petits comme les grands. La preuve avec les fiches de lecture, qui répondent de façon adéquate à un travail de collégien. Dommage qu’un lien ne permette pas d’avoir un accès à l’ensemble de fiches publiées. Enfin le « laboratoire » est là pour satisfaire ceux dont la curiosité scientifique n’a pas de limite. L’astuce est bien trouvée de la part d’Universalis, qui place là un espace attrayant en réutilisant simplement les animations présentes dans ses différents articles scientifiques.

Concernant nos différentes recherches, nous avons pu observer que la vie privée de Polanski n’était pas évoquée sur Universalis, que la technologie RAID ou la loi Hadopi n’ont pas d’entrée dédiée, tout comme le récent traité de Lisbonne. La raison à cela est simple : les articles datent pour la plupart de 2006. Sur Universalis, Michael Jackson est encore en vie… Autre reproche : l’article sur les Pink Floyd est relativement petit et sans image alors que l’utilisation de ces dernières paraît pertinente pour ce genre d’articles. A contrario, l’article sur la nuit de la St Barthélémy est complet, riche et écrit avec un recul historique approprié. […] Dernière critique que l’on pourrait formuler : le ton choisi par certains des rédacteurs est loin d’être neutre. La preuve avec cet extrait d’un article sur un le meilleur joueur de tous les temps : « En Allemagne, Zinédine Zidane retrouve la forme de ses plus belles années. En quelques jours, il renvoie à leurs chères études d’arrogants Espagnols, hypnotise les magiciens brésiliens, élimine des Portugais pugnaces. La France est en finale, le 9 juillet 2006 au Stade olympique de Berlin. Mais, à quelques minutes de l’issue de la rencontre, Zidane est justement exclu du terrain par l’arbitre pour avoir répondu aux provocations verbales d’un obscur défenseur italien par un violent coup de tête. » […] Contrairement aux encyclopédies présentées précédemment, Universalis nous donne enfin l’impression d’être sur une encyclopédie. Les dossiers d’initiation, particulièrement, nous semblent tout à fait pertinents. Les dossiers de fond, au nombre de 98, présentés sur la page d’accueil (en ce moment « Exclusion et Solidarité ») sont moins convaincants. En effet, ce ne sont en fait que des pages de connaissances agrégeant les articles liés au sujet. L’effort est louable, mais ne vaut pas la rédaction d’un article complet.

 

Wikipedia [note obtenue : 4/5]

Impossible de passer à côté de Wikipédia dans notre article, mais aussi sur le Net : l’encyclopédie libre est aujourd’hui un site extrêmement puissant et compte parmi les plus visités de la planète. Fort de ses 857 580 articles en français (sur 13 millions au total, Wikipédia se place en leader de la connaissance face aux autres encyclopédies évoquées. Réputation usurpée ? Nous allons vérifier cela immédiatement.

Un contenu de qualité

Wikipedia a longtemps été et est toujours pointé du doigt concernant la qualité du contenu mis en ligne. En effet, le système est presque intégralement contributif et la qualité des articles est directement liée à la bonne volonté et à la compétence des rédacteurs. Toutefois, le nombre important de participants amène les articles à se bonifier au fur et à mesure des différentes versions. Ainsi, sur plus de 850 000 articles en français dont dispose l’encyclopédie, 581 sont à l’heure actuelle déclarés « articles de qualité » par le site lui-même et 724 sont présentés comme « bons articles ». Les premiers sont reconnaissables par l’étoile qu’ils affichent dans le coin supérieur droit de leur page, tandis que les seconds présentent deux étoiles plus petites.

Le fonctionnement contributif associé à la conception même du site (facilement référencé dans Google) permet donc de générer un grand nombre d’articles donc certains sont exemplaires d’exhaustivité et de précision. La page d’accueil rappelle de plus que Wikipedia est bien une véritable encyclopédie en ligne : les portails thématiques, l’espace « Lumière sur… », l’image du jour, les cadres « Le saviez-vous ? » ou ceux des actualités et des évènements forment une page particulièrement riche. Au sein des articles, la présence de liens vers les documents liés en début de paragraphe, de notes et de références en bas de page, ainsi que les articles connexes et lien vers le portail correspondant complètent de façon pertinente (dans la plupart des cas) les articles consultés.

Ajoutons à cela que la mise à jour des articles est sans conteste la plus rapide, mais reste perfectible : si la page sur les îles Samoa recense déjà le tsunami de fin septembre, l’article sur les tsunamis, qui référence les évènements les plus meurtriers, ne le mentionne pas. En revanche, les championnats du monde d’escrime qui ont lieu actuellement possèdent une page qui est régulièrement mise à jour avec un avertissement précisant ce statut. […]

Tout un chacun peut modifier un article sur Wikipedia. C’est pourquoi il convient d’afficher la plus grande transparence possible au lecteur afin d’éviter les débordements qui ont pu avoir lieu par le passé et existent encore. Un historique complet des modifications et la comparaison simple entre deux versions d’un article aident en cela.

Wikipedia est depuis ses débuts un terrain de jeu idéal pour qui a des velléités à faire d’un article un tribune de ses propres opinions, oubliant l’objectivité nécessaire à la rédaction d’un article encyclopédique. Pour éviter ce genre de problème existe la possibilité de bannir un « contributeur », bien sûr, mais le site a également mis en place un outil plus pédagogique qui doit tendre à rendre les articles les plus neutres possible. Il s’agit des discussions. Ces pages ont pour but de récolter les avis de chacun en ce qui concerne la façon de rédiger un article sur un sujet. Malheureusement, ces discussions tournent parfois à l’affrontement et n’aboutissent pas toujours au résultat escompté. Cela reste une bonne initiative de Wikipedia, qui ne manque pas de signaler la présence de ce genre de fil de discussion sur les pages portant sur des sujets polémiques.

Même si les efforts de Wikipedia sont louables, la rédaction entièrement basée sur la contribution et l’auto-gestion conserve son lot de problèmes, notamment les soucis de pertinence sur certains articles peu contrôlés par la communauté. L’autre défaut principal de l’encyclopédie libre concerne le manque pattant de contenu multimédia : si quelques animations voient le jour ça et là, elles sont encore trop peu nombreuses, tout comme les photos. Lorsqu’elles existent, elles ne sont pas forcément pertinentes et servent parfois d’illustrations esthétiques sans apporter une réelle plus-value à l’article. Les animations présentes sont également trop souvent de piètre qualité.

Les raisons de cette limitation se trouve probablement du côté de l’aspect libre de l’encyclopédie : en effet, rares sont les animations, images et autres vidéos libres de droit comme cela est nécessaire sur Wikipedia. Cependant, la médiathèque libre du site (Wikimedia Commons) s’enrichit de nouveaux contenus de jour en jour et compte à ce jour près de 5 millions de fichiers. […]

Diderot, dans son Encyclopédie parue en 1751, définissait les enjeux d’un tel ouvrage : « Le but d’une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre, d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ». Force est de constater que le passage du support papier à l’Internet est sans conteste un excellent moyen d’exposer et de transmettre au plus grand nombre la connaissance rassemblée. Dans la forme donc, pas de problème. Dans le fond, c’est moins évident.

En effet, le principal problème des encyclopédies en ligne ne réside pas la transmission des données (mis à part pour Hachette, évidemment), mais dans la collecte de celles-ci. Si Universalis se refuse encore et toujours à faire appel au peuple pour compléter sa base de connaissance, tous les autres acteurs du domaine ont cédé aux sirènes du contributif. Le succès incontestable du modèle Wikipedia n’y est évidemment pas étranger.

Deux philosophies s’affrontent alors : celle de Wikipedia, adoptée par Knol, qui préconise le tout participatif, et celle de l’Encyclopédie Universalis, qui ne fait appel qu’à des érudits dans chaque domaine. Oublions pour le moment Knol, qui ne parvient dans aucun domaine à la cheville de Wikipedia. Chaque option possède ses avantages et ses inconvénients : si Wikipedia bénéficie d’une exhaustivité et d’une réaction excellente, Universalis s’assure quant à lui d’une pertinence à toute épreuve. Au milieu de ces deux mondes, Larousse propose un compromis, bénéficiant à la fois du catalogue Larousse et de la contribution de lecteurs passionnés. Le modèle est viable, basé sur la présence de publicité, mais semble finalement prendre davantage les inconvénients des deux modèles que leurs qualités : les internautes ne rédigeant que des articles relativement pointus. Le contenu « chaud » est mis de côté alors que les articles de fond, ceux-là mêmes que l’on attend d’une encyclopédie, se font rares.

L’avenir de l’encyclopédie en ligne appartient à Wikipedia ? Peut-être, tant ce site est déjà puissant et présent dans la tête de nombre d’internautes. L’aspect libre de l’encyclopédie est également un atout majeur de Wikipedia, qui autorise par exemple les écoliers à reproduire son contenu sans enfreindre le droit d’auteur. Mais il lui faudra corriger ses erreurs de jeunesse, ce qu’il tarde quelque peu à faire. Au début de cette année, suite à la modification des pages et l’annonce de la mort de Ted Kennedy et Robert Byrd, Jimmy Wales, cofondateur de Wikipedia, a évoqué la possibilité de modérer les modifications. Ce système n’est toujours pas mis en place.

De même, l’exhaustivité et la pertinence de certains articles sont démontrées, mais la plupart restent imparfaits. Bien sûr, la qualité des articles augmente avec le nombre de contributeurs, mais le propos n’est pas toujours adapté à tous les publics. […] » https://www.clubic.com/article-303120-1-comparatif-encyclopedies-ligne.html

 

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L’article de Cuvillier est l’illustration de ce que j’ai nommé précédemment la subjectivité objective. La présentation équilibrée des faits, même si selon la prédisposition du lecteur il est possible d’y identifier un certain parti pris, ou pas. L’article se donne une méthodologie satisfaisante, relève les insuffisances, tente d’expliquer des aspects de l’objet qui seraient alambiqués, n’adopte pas un ton péremptoire, laisse place à la discussion. Mais au-delà de tout ça, constitue une avancée sur la question. Oui l’article de Cuvillier n’est pas paru dans les revues scientifiques, doit-il pour autant être méprisé ? Le fond et la méthode ne sont-ils rien par rapport à la réputation du support de publication ? Est-ce que les grandes revues spécialisées en sciences humaines, sociales, etc., ne publient-elles pas des réflexions dites « scientifiques » et souvent d’une connerie innommable ? La fin de l’histoire de Fukuyama, le Choc des civilisations de Huntington, etc. – articles scientifiques au départ avant de devenir des livres bestsellers – publiés par des organes institutionnels de la littérature scientifique ne sont pas sans défaut, bien au contraire. S’arrêter aux détails insignifiants que sont le titre de l’organe de publication, à la notoriété du site web, au curriculum vitae du rédacteur, est une absurdité. C’est le fond de la pensée qui importe. Adopter une attitude contraire est légitime, et c’est du snobisme ou de l’ignorance crasse, les deux sont à la fois complémentaires et interchangeables. Pour dire, encore une fois, la connerie.

 

« Certains professeurs interdisent l’utilisation de Wikipedia, constate Colette Brin, qui enseigne le journalisme à l’Université Laval. Moi, comme professeure de journalisme, je suis en faveur de la liberté de l’information, et l’idée d’interdire un site ne me plaît pas trop. On peut évaluer la qualité de l’information qu’on trouve sur Wikipedia dans la mesure où on fait une recherche parallèle. Pour des événements récents, Wikipedia est certainement meilleure qu’une encyclopédie traditionnelle.»https://www.protegez-vous.ca/Technologie/wikipedia-une-encyclopedie-fiable

 

Cette connerie est une règle que l’on retrouve dans les universités. Les étudiants sont invités à éviter à tout prix de citer Wikipédia – puisque l’encyclopédie en ligne n’a pas la réputation du Larousse, de Universalis, de Britannica. Lorsque l’étudiant souhaite définir une notion telle que le néolibéralisme, il doit aller chercher un énoncé définitoire publié dans un dictionnaire, une revue ou un livre « convenables » – les correcteurs et autres évaluateurs s’attardant d’abord sur cet aspect trop prépondérant de la source. Or, il arrive très souvent que l’étudiant ainsi que l’enseignant google la notion et débute sa recherche par Wikipédia, tombe sur un énoncé tout à fait acceptable mais ne puisse pas l’exploiter aux fins de sa recherche. L’étudiant ou l’enseignant préfèrera citer la note de bas de page de l’article Wikipédia plutôt que Wikipédia, et pour toute personne habituée à l’encyclopédie en ligne la supercherie sera évidente. On fera semblant de ne pas le savoir. Les apparences sont préservées. Les intellos lisent Wikipédia et ne le disent (surtout) pas.

Wikipédia est une porte d’accès à la connaissance, ce n’est pas la connaissance. C’est une entrée dans le labyrinthe du savoir qui possède d’autres entrées et autant de sorties. Se limiter à Wikipédia est une faute, comme se contenter de lire le Larousse ou Universalis l’est aussi. Il est important de diversifier ces sources, de les évaluer, de les confronter, de les rapprocher, d’en faire la synthèse, et si l’on en a les moyens de les dépasser.

 

« Néolibéralisme

Larousse : « Doctrine qui veut rénover le libéralisme en rétablissant ou en maintenant le libre jeu des forces économiques et l’initiative des individus tout en acceptant l’intervention de l’État. »

Britannica : « Neoliberalism, ideology and policy model that emphasizes the value of free market competition. Although there is considerable debate as to the defining features of neoliberal thought and practice, it is most commonly associated with laissez-faire economics. In particular, neoliberalism is often characterized in terms of its belief in sustained economic growth as the means to achieve human progress, its confidence in free markets as the most-efficient allocation of resources, its emphasis on minimal state intervention in economic and social affairs, and its commitment to the freedom of trade and capital. »

Universalis : « Le terme de néo-libéralisme désigne le renouvellement des thèses économiques libérales à partir de la fin des années 1970. Les théories économiques libérales s’étaient d’abord développées à l’intérieur de l’économie politique classique, dont les figures de proue furent Adam Smith et David Ricardo. Elles ont été prolongées tout au long du XXe siècle au sein du courant néo-classique. Dès son origine, ce courant est composé de nombreuses écoles. Les trois plus importantes sont : l’école de Lausanne, fondée par Léon Walras, l’école autrichienne, fondée par Karl Menger, et l’école anglaise, fondée par William Stanley Jevons. Au-delà des nuances non négligeables qui les caractérisent, le dénominateur commun des approches néo-classiques est de représenter le monde comme une somme de marchés interdépendants sur lesquels des agents économiques rationnels effectuent leurs calculs compte tenu de l’information dont ils disposent, celle-ci étant plus ou moins parfaite et véhiculée par le système de prix. »

Wikipédia : « Le terme de néolibéralisme désigne aujourd’hui un ensemble multidimensionnel d’analyses d’inspiration libérale – ou supposées telles – qui partagent un socle :

d’orientations critiques : la dénonciation du poids de l’État-providence dans les pays développés après 1945 et de l’accroissement des interventions publiques dans l’économie

d’orientations positives : la promotion de l’économie de marché au nom de la liberté de l’individu et du développement économique ;

d’orientations politiques : la dérégulation des marchés (qui doivent se « réguler eux-mêmes » par le jeu de la concurrence et des « lois du marché ») et la disparition progressive du secteur public au profit du privé.

La signification du mot « néolibéralisme » a beaucoup varié au cours du temps : le terme ne fait pas consensus et son utilisation requiert une grande prudence, tant il a oscillé entre différentes significations :

Lorsqu’il apparaît, en 1844, le terme désigne – de manière assez générale – une forme de libéralisme qui laisse une intervention limitée à l’État.

Dans la même ligne, à la fin des années 1930, des économistes français – comme notamment Auguste Detœuf ou Louis Marlio – utilisent ce terme pour désigner une forme de libéralisme qui n’est pas forcément synonyme de laissez-faire (pour lequel on parle de libéralisme manchestérien). Ils soulignent seulement le fait, qu’à condition de le rénover ou de le reconstruire, ce régime peut – aussi bien sur un plan économique et social – être supérieur au dirigisme et au planisme alors en vogue (pensée contemporaine de l’ordolibéralisme allemand par certains côtés comparable). Dans cette lignée (entre les années 1950 et jusqu’à la fin des années 1970), le mot peut qualifier des économistes à tendant vers le social-libéralisme. Donald Moggridge présente ainsi John Maynard Keynes comme l’un des plus importants néolibéraux à défaut de meilleur terme pour le qualifier.

À partir des années 1970, avec la montée en puissance des pensées de Milton Friedman et de Friedrich Hayek le mot néo-libéralisme prend un autre sens. Selon Michel Foucault, le néolibéralisme est présenté comme une technique de gouvernement, une politique économique et sociale étendant l’emprise des mécanismes du marché à l’ensemble de la vie, ce qui est contesté par les disciples de Friedrich Hayek qui voient le libéralisme comme une priorité donnée à l’action libre des individus contre toute « emprise », et jugent absurde toute « technique de gouvernement » voulant intervenir dans le marché, fût-ce pour en étendre l’influence. Friedman et Hayek sont désignés en France comme en étant les principaux inspirateurs[réf. souhaitée], bien qu’ils ne se soient jamais revendiqués du néolibéralisme, mais seulement du libéralisme. Au contraire de la signification précédente, leur libéralisme est anti-keynésien, et limite voire supprime l’intervention étatique. Le contexte économique marqué par la fin du système de Bretton Woods relance les discussions entre écoles économiques et leur intensité a contribué à populariser ce terme. »

 

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Le grand avantage selon moi de Wikipédia c’est que si vous vous rendez compte en tant que lecteur d’un problème avec un article, vous pouvez le modifier, et si une autre personne ne soutient pas votre modification, il y a débat et discussion ; en outre Wikipédia mettra généralement une bannière sur l’article en question afin d’indiquer aux autres lecteurs que celui-ci fait l’objet d’une controverse (une manière de dire « Faîtes attention ! », ou déclarera que l’article use d’un ton promotionnel comme une invitation à la méfiance ou à une plus grande vigilance) – ce qui me semble d’une transparence et d’une honnêteté remarquables. Combien d’encyclopédies en ligne ou pas ont cette pratique ? Combien de médias d’information sont-ils à même de reconnaître publiquement que le sujet présenté ne fait pas consensus dans la rédaction et que certains éléments de l’article doivent être pris avec toutes les précautions ? Vous me répondrez que la presse en l’occurrence ne validerait jamais la publication d’articles avec des éléments erronés et biaisés ou pas vérifiés, que les articles publiés sont présumés être le fruit d’un consensus au sein de la rédaction, et je serai tout admiratif de votre angélisme, de votre naïveté, de votre mauvaise foi. Combien de revues scientifiques sont exemptes de connivence, capables d’indépendance ? Combien de revues scientifiques ou de journaux spécialisés ne sont pas des sectes n’admettant essentiellement que des pensées allant dans le sens d’une politique éditoriale conforme à une idéologie politique déterminée ?

Je me souviens d’une professeure qui me disait il y a quelques mois qu’il lui avait été demandé de modifier son article de recherche en politiques mondiales sur la Russie parce qu’il ne correspondait pas à la position (bien naturellement pas clairement exposée ainsi) anti-Russe de la « prestigieuse » revue. Elle en a été offusquée et elle a refusé de s’y plier. Il y a quelques mois une autre connaissance professeur d’université me disait que l’on pouvait deviner sans lire un article scientifique son appartenance idéologique d’après le nom de la revue qui le publie. De telle sorte que les revues, les journaux spécialisés, sont des chapelles doctrinales avec des auteurs, intellectuels, professeurs d’université, journalistes, politologues, etc., vendus à une cause et défendant une école de pensée. Quelques fois, en lisant un article paru dans telle ou telle revue, l’on sait à quoi s’attendre en termes d’idéologie, je veux dire ce n’est pas dans Le Monde diplomatique que vous trouverez très souvent un article favorable au consensus de Washington ou vantant les mérites de Hayek. Est-ce à dire que ce biais idéologique en fait un journal pas sérieux ? Non. Le sérieux dépend de l’analyse des faits retenus et des hypothèses avancées, de l’intelligibilité du propos, de la véracité de l’observation. Le Monde diplomatique contient des articles avec un biais idéologique manifeste, néanmoins ceux-ci s’appuient sur un examen et une interprétation rigoureux des faits, des sources accessibles – et d’une certaine crédibilité intellectuelle –  et par là même susceptibles d’être évaluées. L’on n’est pas obligé d’approuver les conclusions des articles, par contre leur critique se doit d’être du même acabit.

Les gens ou les pensées intellectuelles sont biaisées. Ce n’est pas grave, comme susmentionné l’important reste leur capacité d’objectivité. Leur capacité à éviter que le discours intellectuel ne tombe dans la propagande du militantisme irrécupérable – celui qui contribue à l’obscurantisme tout en étant un affligeant mimétisme, et ayant un potentiel fascisant. L’intellectuel se définit comme une Lumière éclairant les ténèbres. C’est son rôle premier. Sa Lumière peut-être d’une teinte prédominante, toutefois elle doit pouvoir apporter une compréhension qui dévoile et non qui voile, doit pouvoir chasser les ténèbres et non en être une source. L’intellectuel tente de rendre net le flou, de saisir le réel et son (ses) sens afin que l’individu ordinaire ou la communauté des individus (scientifiques ou pas) accède à une compréhension permettant une évolution constructive de la discussion et le choix éclairé. Un intellectuel qui ne répond pas à cette définition n’en est pas réellement un, c’est un bigot, c’est un gardien du temple, un chien de garde, des ténèbres – un cerbère. Encore une fois ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une constatation factuelle. Fonctionnaliste, conséquentialiste, eudémonique, et certainement essentialiste voire déterministe, ma définition d’intellectuel est celle-là, exclusive oui, ne perdant pas de vue la responsabilité qu’elle implique. De ce fait, l’intellectuel diffère du sachant – digne d’une fiche encyclopédique – ou du banal érudit. C’est un engagé[1][2][3][4] à perpétuité contre l’obscurantisme – ce mal permanent.

 

« Sartre invente alors la figure de « l’intellectuel total » engagé sur tous les fronts de la pensée : il transcende les frontières entre littérature et philosophie qui structuraient le champ intellectuel d’avant-guerre – contribuant par-là à son unification, […] il définit l’écriture comme un acte, dépassant ainsi l’antinomie entre pensée et action qui avait largement sous-tendu les débats sur l’engagement des intellectuels jusqu’en 1940. […] Par un renversement, il assigne en outre à l’écrivain la responsabilité suprême de défendre la liberté partout dans le monde, […] Cette responsabilité est permanente. Elle concerne tous ses écrits, y compris les plus apolitiques. L’écrivain est engagé dans le monde contemporain et doit assumer cette responsabilité au quotidien. […] Bien qu’ils interviennent en tant que savants ou professeurs, et malgré le recours à des pratiques de contre-expertise, ce n’est pas au nom de leur compétence spécialisée, mais au nom de valeurs plus générales comme la vérité, dont ils s’estiment les gardiens, et d’une éthique professionnelle fondée sur la liberté et l’indépendance de l’esprit qui les préserve de l’abandon aux passions et de l’obéissance aveugle à l’autorité, ainsi que l’ont formulé Émile Duclaux, le directeur de l’Institut Pasteur, et Émile Durkheim. Expliquant que c’est plus en tant qu’hommes qu’en tant que spécialistes qu’ils ont mis « leur raison au-dessus de l’autorité », ce dernier souligne néanmoins la supériorité que leur confèrent leurs habitudes professionnelles en matière de jugement : « accoutumés par la pratique de la méthode scientifique à réserver leur jugement tant qu’ils ne se sentent pas éclairés, il est naturel qu’ils cèdent moins facilement aux entraînements de la foule et au prestige de l’autorité. » – Sapiro, Gisèle. « Modèles d’intervention politique des intellectuels. Le cas français », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 176-177, no. 1, 2009, pp. 8-31.

 

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Wikipédia n’est pas une œuvre humaine parfaite, c’est connu, c’est attendu, et quelques fois le degré d’imperfection de l’œuvre donne une impression de médiocrité. Toutes ces critiques sont-elles le propre de Wikipédia ? Les autres institutions sont-elles dénuées de toute critique ? Non. Au contraire, sur bien des aspects ils sont pire. Alors pourquoi se tire nourrit contre Wikipédia, pourquoi cette attitude condescendante envers l’encyclopédie participative et gratuite en ligne ?

« Wikipédia est une encyclopédie à laquelle tout le monde peut participer. Il suffit de cliquer sur le bouton « modifier », en haut à droite de chaque article, pour se retrouver auteur, et passer en quelque sorte de l’autre côté du miroir. Il n’y a donc pas de vérification a priori. Les barrières à l’entrée sont inexistantes [1][1] On parle dans ce cas de « soft security system » ou…. Chacun entre et ressort quand il veut, et publie ce qu’il veut. Le contrôle intervient a posteriori, sous la forme de la surveillance mutuelle. On peut espérer qu’une erreur introduite par mégarde ou par malveillance dans l’encyclopédie ne survivra pas longtemps : un lecteur, l’ayant repérée, se transformera en auteur pour la corriger. Du point de vue de ses partisans, l’encyclopédie est un véritable work in progress, et surmonte ses imperfections actuelles grâce à une sorte de « main invisible » harmonisant les contributions individuelles. On compte environ trente millions de modifications sur l’encyclopédie en français depuis sa création.

Wikipédia est pourtant confrontée à un certain nombre de problèmes. Le « vandalisme », c’est-à-dire la possibilité d’endommager des articles à des titres divers, apparaît comme un corollaire inévitable de la liberté initiale de modifier les articles. Les contributeurs écrivent la plupart du temps sous un « pseudo », ce qui a pour effet de priver les articles de la garantie traditionnelle que représente la signature. La règle de la « neutralité du point de vue est le premier principe éditorial… » soulève la question de la place réservée à la critique. Faute d’un contrôle éditorial d’ensemble, on trouve des variations extrêmes dans la qualité ou la longueur des articles (l’entrée « Britney Spears » est plus longue et plus fournie que « Jacques Delors »). Ces évolutions doivent-elles inspirer la méfiance envers Wikipédia, voire nous dissuader de l’utiliser, comme nous sommes pourtant tentés de le faire quotidiennement ? Certes, ces problèmes ne sont pas tous apparus avec Wikipédia. En comparant celle-ci avec l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772) de d’Alembert et Diderot, on s’aperçoit que certains problèmes existaient déjà au siècle des Lumières : les jésuites dénonçaient, entre autres, l’anonymat des articles. Il en va de même de la possibilité d’insérer une note critique contestant la version des faits cautionnée par l’auteur, ou bien de la correction sauvage de certains articles. » –  Foglia, Marc. « Faut-il avoir peur de Wikipédia ? », Études, vol. tome 410, no. 4, 2009, pp. 463-47

 

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Wikipédia est le symbole de ce qui ne devrait pas exister dans le monde merveilleux du capitalisme forcené. Gratuit, collaboratif, participatif dans le sens de transparence et de démocratique. Surtout Wikipédia est gratuit. Cette gratuité qui ne vend pas vos données personnelles à des entreprises privées en contrepartie de votre utilisation du service, qui n’affichent pas des publicités intrusives et désagréables, une gratuité étrange dans un monde qui ne sait plus ce que cela signifie. La position du mastodonte encyclopédique nuit directement au modèle d’affaires de ses concurrents. De plus, il maintient une culture de l’accessibilité de la connaissance dans un monde où le savoir tend comme jadis à être le propre d’une certaine caste sociale.

Wikipédia représente à bien des égards un égalitarisme (relativement effectif ou sans doute insuffisant) que l’on ne retrouve plus beaucoup ailleurs. L’encyclopédie est donc à abattre. C’est un mauvais exemple pour le capitalisme et l’ultra libéralisme triomphant, sectaire, élitiste.

Dangereux aussi puisqu’il peut en inspirer d’autres, or nous sommes tous invités à devenir des agents de propagation et de défense du monde « pro business » contemporain. Prétexter la fiabilité, la qualité, des articles de Wikipédia afin d’interdire ou de s’interdire son exploitation intellectuelle est une décision sans fondement, réductrice, empreinte de préjugés défavorables et beaucoup d’intelligence.

 

« Références du savoir universel et de la langue française, l’Encyclopædia Universalis et Le Grand Robert sont proposés en versions numériques ou sous forme d’abonnement sur Internet. Ces ouvrages connus et reconnus ont-ils encore leur place à l’ère d’Internet ? C’est ce que nous avons voulu savoir en les confrontant à l’encyclopédie en ligne géante Wikipédia.

L’époque où la plupart des foyers disposaient de dictionnaires et d’encyclopédies parfois en plusieurs volumes est bel et bien révolue. Si la génération X peut encore avoir le réflexe d’ouvrir un dictionnaire ou une encyclopédie papier pour rechercher une information, ce n’est plus le cas des générations Y et Z, beaucoup plus habituées à faire leur recherche sur Internet. La situation n’est pas près de s’inverser, mais faut-il vraiment s’en plaindre ? Volumineuses, encombrantes et figées, les encyclopédies papier sont devenues obsolètes face à des ressources web interactives, instantanées et constamment mises à jour.

Comme si cela ne suffisait pas à enterrer les ouvrages de référence traditionnels, la fiabilité des contenus que l’on trouve notamment sur la principale encyclopédie en ligne Wikipédia s’avère en nette progression. Face au mastodonte digital, les éditeurs traditionnels tentent de s’adapter, quand ils ne jettent pas l’éponge, à l’instar de Microsoft qui dut se résoudre à fermer son encyclopédie Encarta en 2009. En France, les éditeurs de Larousse et des Dictionnaires Le Robert agrémentent désormais leurs ouvrages classiques d’une carte d’accès à un dictionnaire en ligne truffé de contenus interactifs. L’Encyclopædia Universalis et Le Robert y croient encore et continuent de développer des versions numériques de leurs ouvrages respectifs : Universalis 2018 et Le Grand Robert. Deux références pédagogiques françaises qui demeurent incontournables. […]

La même recherche sur l’article « Informatique » de Wikipédia conduit à un panel d’informations d’une précision assez impressionnante. De la définition du terme à son histoire, en passant par son équivalent en anglais, son évolution, les dates importantes, les sciences qui s’y rapportent, les appareils, les logiciels, les domaines d’utilisation, tous les sujets de l’univers de l’informatique sont accessibles d’une part via l’arborescence de son menu, mais aussi à travers un très grand nombre de liens externes et articles connexes, une bibliographie exhaustive, des médias via Wikimédia (la médiathèque sous licence libre de Wikipédia), et également des portails web : portail de l’informatique, portail des sciences, portail d’Internet… Sur ce sujet et bien d’autres, la pertinence des informations est largement démontrée, avec toujours l’avantage de mises à jour rapides et régulières. Sur cette même page, un bandeau signale une section nécessitant une actualisation à cause de contenus jugés obsolètes, ce qui permet par exemple sur quelles informations on peut s’appuyer ou non. […]

Dans un tout autre registre, une recherche sur le célébrissime peintre espagnol Picasso penche clairement en faveur de Wikipédia. Universalis référence certes 452 articles sur le sujet, mais les informations délivrées par Wikipédia dans son article principal se révèlent encore plus exhaustives, et surtout plus accessibles, notamment grâce à une présentation plus claire et synthétique. Le menu de l’encyclopédie universelle en ligne donne accès en un clin d’œil à toutes les étapes importantes de la vie et de l’œuvre du peintre (enfance, période bleue, cubisme, surréalisme, etc.), là où il faut se plonger dans une multitude d’articles aux titres moins parlants sur Universalis.

Deux requêtes ne suffisent évidemment pas à départager ces outils, mais elles soulignent l’efficacité redoutable du modèle contributif de Wikipédia. Face à l’encyclopédie universelle, Le Grand Robert et l’Universalis demeurent deux outils à l’intérêt pédagogique indéniable, mais qui s’adressent malgré tout à un public plus restreint d’utilisateurs, ayant besoin de contenus spécifiques dans le cadre de leurs études ou de leur métier. » – Jérôme Cartegini, « Les encyclopédies et dictionnaires payants peuvent-ils encore lutter face à Wikipédia ? Les ouvrages de référence à l’ère digitale », 6 octobre 2017, https://www.lesnumeriques.com/appli-logiciel/encyclopedies-dictionnaires-payants-peuvent-encore-lutter-face-a-wikipedia-a3331.html

 

Il y a plus d’une décennie, Oscar subissait mon mépris de Wikipédia. Aujourd’hui, je suis Oscar. Je lis et cite Wikipédia lorsque je considère que l’article de l’encyclopédie est digne d’intérêt et je n’en ai rien à faire de l’image que cela dira de ma personne ou de l’attitude des Autres. Leur mépris me laisse de marbre, ce sont leurs idées qui m’intéressent, ou les arguments qui soutiennent leur jugement. Dire c’est « inculte » n’est pas un argument, c’est une insulte, on peut convaincre un public avec un tel stratagème mais la seconde d’après personne ne se souviendra de ce que vous avez apporté d’important au débat et au monde, votre insulte et vous serez un non-évènement. Rien du tout. J’ai été un non-évènement dans le débat avec Oscar. Plusieurs personnes, malgré les années, se souviennent de ses arguments et ont gardé en mémoire mon insulte – ce qui signifie que je suis demeuré tout ce temps un propos vulgaire grossier irrespectueux, et pas une pensée. J’ai gagné, mais j’ai perdu.

 

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[1] Chabal, Emile. « Les intellectuels et la crise de la démocratie », Pouvoirs, vol. 161, no. 2, 2017, pp. 109-120.

[2] Howlett, Marc-Vincent. « Posture ou imposture de l’intellectuel ? », Présence Africaine, vol. 181-182, no. 1, 2010, pp. 289-297.

[3] Achcar, Gilbert. « L’intellectuel symbolique. Notes sur la marge des mémoires de Daniel Bensaïd », Lignes, vol. 32, no. 2, 2010, pp. 11-20.

[4] Noiriel, Gérard. « Michel Foucault : les trois figures de l’intellectuel engagé », Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques. Editions Karthala, 2005, pp. 301-330.

 

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2 réflexions sur “Les intellos lisent Wikipédia, et (surtout) ne le disent pas

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